Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Charles V ou Charles Quint (suite)

De très récentes études insistent sur la religiosité de Charles, sur son « providentialisme » qui lui faisait voir l’action directe de Dieu dans tous les événements, trait mental caractéristique de cette époque. À remarquer aussi sa forte volonté, qui s’affirme à partir de son mariage en 1526 avec Isabelle de Portugal (1503-1539) ; jusque-là, le prince a été dirigé par son précepteur Guillaume de Chièvres.

L’héritage de Charles Quint, ce sont aussi les possessions qui, réunies, formeront un des plus grands empires des Temps modernes. Prince des Pays-Bas à la mort de son père Philippe le Beau en 1506, il est appelé au trône d’Espagne et à toutes ses dépendances italiennes ou américaines à la mort de son grand-père maternel Ferdinand II d’Aragon, en 1516. En 1519, enfin, il sera élu empereur du Saint Empire romain germanique.

Hasard, d’ailleurs, que ces héritages, dus à des accidents biologiques : la mort prématurée de son père à vingt-huit ans, la folie de sa mère Jeanne de Castille et aussi le fait que son grand-père, le roi d’Aragon, n’a pas eu de descendance de sa seconde femme, Germaine de Foix, épousée après la mort d’Isabelle la Catholique.

Du côté de sa grand-mère maternelle, Isabelle la Catholique, Charles reçoit la Castille, les Asturies, le León, la Galice, l’Estrémadure et l’Andalousie. De son grand-père maternel Ferdinand : l’Aragon, la Catalogne, le Levant, les Baléares et le royaume des Deux-Siciles, c’est-à-dire Naples, la Sardaigne et la Sicile. En plus lui échoit le Nouveau Monde récemment découvert et bientôt entièrement conquis, acquisition commune des Rois Catholiques.

Il est en possession, depuis 1506, de l’empire bourguignon, comme petit-fils de Marie de Bourgogne, sa grand-mère paternelle, la fille du Téméraire. Cet empire comprend : les actuels Pays-Bas et la Belgique, le Luxembourg, la Lorraine et la Franche-Comté. À la mort de son grand-père paternel, en 1519, l’empereur Maximilien Ier, Charles, élu empereur, prendra possession plénière des domaines héréditaires des Habsbourg en Autriche, mais il ne jouira dans le reste de l’Empire que d’un pouvoir limité.


Les débuts du règne et les premières difficultés

La première difficulté est de faire accepter son autorité par les Espagnols ; contre lui jouent le particularisme de l’Aragon et les droits particuliers des provinces, les fueros, mais aussi l’hostilité de Castillans partisans de sa mère Jeanne la Folle, enfermée au château de Tordesillas, mais considérée par eux comme la seule souveraine. Les Espagnols voient aussi d’un mauvais œil son élection à l’Empire, redoutant un souverain trop tourné vers les affaires de l’Europe centrale. En outre, les maladresses du jeune roi distribuant les emplois aux Flamands plus qu’aux Ibériques achèvent d’exaspérer les passions.

Aussi, lorsqu’en 1520 le nouvel empereur part visiter l’Allemagne, la révolte éclate-t-elle aussitôt, dirigée de Tolède par Juan de Padilla (1484-1521) et son épouse María Pacheco. Cette révolte, dite « des Comuneros », est à la fois aristocratique et populaire. Les insurgés sont vaincus à Villalar en 1521, et Juan de Padilla est exécuté. Adriaan Floriszoon, que Charles Quint a institué régent et qui sera élu pape l’année suivante, est l’artisan de cette victoire.

Lorsque l’empereur revient en Espagne en 1522, accompagné d’un nouveau chancelier, Mercurino Arborio, marquis Gattinara (1465-1530), il peut y imposer un pouvoir qui ne sera désormais plus jamais contesté et se consacrer aux grands problèmes de politique extérieure, ceux posés par l’Empire et la Réforme et ceux issus de ses luttes contre la France.

Dès 1519, il s’est heurté à François Ier à propos de l’élection impériale. Le roi de France n’a pas seulement en vue sa gloire personnelle, mais aussi des raisons impérieuses : les possessions de Charles Quint encerclent la France d’une manière presque parfaite.

Mais la réalité politique de l’Empire de Charles Quint est assez différente des apparences. Car, malgré ses efforts, l’empereur est considéré dans l’Empire comme un étranger, et, sauf dans ses États héréditaires d’Autriche, il n’y jouira jamais d’un bien grand pouvoir. Son autorité est encore plus contestée du fait de l’antagonisme religieux suscité par la Réforme. Ayant échoué à Worms dans son projet de réconciliation entre réformés et catholiques, il voit le roi de France se servir habilement des princes protestants d’Allemagne pour saper son pouvoir.

En fait, la trop grande étendue de ses possessions comme leur diversité sont une cause de faiblesse que saura exploiter le roi de France. Mais cette lutte ne concerne pas seulement des intérêts matériels. Il s’agit aussi de deux idéaux politiques qui s’affrontent ; d’une part, l’antique rêve impérial hérité des Hohenstaufen et de Charlemagne ; de l’autre, celui d’une conception nationale de l’État.

Cela pose d’abord le problème des idées politiques de Charles Quint. Voici ce qu’en dit son chancelier Gattinara : « Sire, maintenant que Dieu vous a fait la prodigieuse grâce de vous élever au-dessus de tous les rois et de tous les princes de la chrétienté, à un tel degré de puissance que seul jusqu’ici avait connu votre prédécesseur Charlemagne, vous êtes sur le chemin de la monarchie universelle, sur le point d’assembler la chrétienté sous un seul berger. » Cette conception reflète-t-elle la pensée de l’empereur ? À La Corogne, en 1520, son représentant prononce en son nom un discours où le centre des préoccupations impériales semble être la croisade contre l’infidèle, et où il n’est pas question de monarchie universelle.

Dans ce règne de près d’un demi-siècle, on distingue plusieurs phases. Dans la première, qui se termine vers 1531, l’idéal de Charles Quint semble bien être la croisade, mais les exigences de la politique comme la visite de ses possessions, la pacification de l’Espagne, la lutte contre la France en Italie l’absorbent tout entier. De plus, il échoue dans son désir de réunir les chrétiens de l’Empire par le moyen de négociations et de colloques.

Ensuite, durant une dizaine d’années (1531-1541), Charles semble sur le point de réaliser ses projets contre l’infidèle : défense de Vienne en 1532, expéditions de Tunis (1535) et d’Alger (1541). Mais cette politique a provoqué des mécontentements en Espagne et il a dû combattre de nouveau François Ier.