Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Charles V ou Charles Quint (suite)

Au cours de la troisième étape, l’axe se déplace vers le nord. Le roi de France est attaqué depuis les Pays-Bas, et le traité de Crépy-en-Laonnois (1544) donne à Charles Quint la possibilité de s’opposer par la force à la puissance des princes protestants dans l’Empire. Mais finalement, malgré des succès initiaux (victoire de Mühlberg, 1547), cette politique échoue. Trop confiant dans son triomphe, trop sensible à l’influence de son fils Philippe et de ses ministres d’Espagne, Charles Quint est revenu alors sur le règlement de sa succession.

En 1551, il a obligé son frère Ferdinand, roi des Romains depuis 1531, à assurer l’Empire à son fils Philippe au détriment de Maximilien (fils de Ferdinand). C’est la raison pour laquelle son frère non seulement ne le soutient pas dans sa lutte contre les princes réformés, mais même — selon certains historiens — aurait contribué à la trahison de l’Électeur de Saxe à Innsbruck, trahison qui aboutit au désastre devant Metz en 1552.

L’Empire de Charles Quint : un empire ou des États ?

On peut se demander quels furent, pour chaque État de l’immense Empire, les résultats du règne de Charles Quint. Si l’on considère l’Espagne, il faut séparer la Castille et l’Aragon. Pour l’Aragon, il semble que son intérêt coïncidait mieux avec la politique impériale. Depuis longtemps, une tradition y prônait l’expansion en Méditerranée, et le royaume des Deux-Siciles avait une dynastie aragonaise depuis 1282. Cette politique impliquait presque inévitablement un conflit avec la France, riveraine de la Méditerranée, et qui avait elle aussi des vues sur l’Italie.

Par contre, la vocation castillane, plutôt orientée vers l’Atlantique, surtout depuis la découverte du Nouveau Monde, était favorable à un accord avec le roi de France. Aussi l’opinion en Castille était-elle défavorable à la politique de Charles Quint, et l’on en trouve des échos dans les lettres de l’impératrice, régente en Espagne durant les absences de son époux.

Charles Quint, plus que le monarque universel qu’un petit groupe d’administrateurs et lui-même se sont plu à imaginer, fut l’héritier qui réunit sous un même pouvoir des États dont les traditions comme les intérêts divergeaient. Cet Empire n’exista que dans sa personne, car il ne s’étayait même pas sur une administration commune ni, a fortiori, sur un système économique cohérent.

Après la mort de Gattinara, le poste de chancelier ne fut plus pourvu. Dès lors, l’administration releva de deux institutions distinctes ; l’une, espagnole, chargée sous Francisco de los Cobos (v. 1477-1547) de gouverner l’Espagne et l’Italie, l’autre qui avait la haute main sur les possessions du Nord et de la Franche-Comté sous l’autorité de Nicolas Perrenot de Granvelle (1486-1550).

Quant aux masses, pour autant qu’on puisse le savoir, il semble qu’elles furent étrangères à tout sentiment de solidarité.

P. R.


La lutte contre la France

Le conflit avec la France commence en 1521. Les Français, victorieux au-delà des Pyrénées, sont battus dans les Pays-Bas ; le roi d’Angleterre Henri VIII se déclare pour Charles Quint, qui bénéficie aussi du soutien du pape. La trahison du connétable Charles de Bourbon compense l’échec de l’empereur en Provence. Voulant renouveler en Italie les exploits de Marignan, François Ier est fait prisonnier à Pavie en 1525 et conduit en Espagne. Il y signe l’année suivante le traité de Madrid pour obtenir sa délivrance : il consent alors à restituer la Bourgogne, clause de style qu’il est bien décidé à ne pas respecter, une fois libre.

Car le roi de France compte à juste titre avec l’effroi suscité en Europe par la trop grande puissance de son ennemi. Bientôt, Clément VII, pape de 1523 à 1534, se met à la tête d’une ligue composée des principaux États d’Italie ; mais cette intervention n’aboutit qu’au sac de Rome par les soldats du connétable de Bourbon (1527). Cependant, Henri VIII, à son tour, se rapproche de François Ier ; la paix des Dames, en 1529, consacre l’échec de Charles Quint dans la reconquête de la province de Bourgogne, qu’il appelle avec nostalgie : « notre pays ».

En 1530, l’empereur prend un décret contre les protestants allemands, qui ripostent en s’unissant dans la ligue de Smalkalde. François Ier s’allie avec elle en 1534 et en 1535 ; les hostilités se rallument. Charles Quint perd la moitié de son armée en Provence à la suite d’épidémies et doit signer la trêve de Nice (1538), que l’entrevue d’Aigues-Mortes semble consolider.

En 1542, les hostilités recommencent après le refus de Charles Quint d’accorder au roi de France l’investiture du Milanais ; cette fois, le roi d’Angleterre est aux côtés de l’empereur. En 1544, vaincu à Cérisoles (14 avril), Charles Quint n’en ravage pas moins la Champagne, mais les troubles en Allemagne le forcent à la paix de Crépy-en-Laonnois (sept. 1544), paix qui, comme les précédentes, ne règle rien. Elle permet toutefois à Charles Quint d’avoir les coudées franches dans l’Empire.

Les princes luthériens s’étant de nouveau révoltés, l’empereur les fait mettre au ban de l’Empire à la diète de Ratisbonne. La bataille de Mühlberg, qu’il remporte le 24 avril 1547 sur les rebelles, semble marquer l’apogée du règne. François Ier vient de mourir et Charles ne se connaît plus d’ennemis. Mais l’accalmie est de courte durée, car des protestants battus sur le terrain militaire il exige le retour au sein de l’Église. Pour ce faire, il rédige un règlement, l’Intérim d’Augsbourg (15 mai 1548).

À la diète d’Augsbourg, tout accord se révèle impossible, et l’empereur ne peut obtenir pour son fils la couronne impériale. Au même moment, Maurice de Saxe se révolte de nouveau, forme une ligue et s’allie au nouveau roi de France, Henri II.

L’empereur manque d’être fait prisonnier à Innsbruck ; les protestants sont assez puissants pour imposer leurs conditions au traité de Passau en 1552. Cette même année, Charles Quint subit un cruel échec devant Metz, que le duc François de Guise défend pour le roi de France.

C’est en évoquant cette époque de la vie de l’empereur que Voltaire écrira : « La puissance de Charles Quint n’était alors qu’un amas de grandeurs et de dignités entouré de précipices. »