Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Chardin (Jean-Baptiste Siméon) (suite)

Chardin arrivait à point nommé. En 1728, il entre à l’Académie en présentant la Raie (Louvre). À partir de 1737, il expose régulièrement ses natures mortes au Salon. Il obtient en 1757 un logement au Louvre et poursuit sans bruit, jusqu’à sa mort, une honnête carrière. « Ces œuvres sont magnifiques dans leur genre, mais quel genre ! » La critique d’art de l’époque n’a pas oublié la hiérarchie qui classait au siècle précédent les peintres en fonction de l’importance du sujet traité. Ici, ce ne sont que natures mortes et scènes d’intérieur ; Chardin n’aborde le portrait qu’à la fin de sa carrière, et encore n’exécute-t-il que celui de ses proches ou le sien même, car le portrait tel qu’on l’entend alors est un luxe aristocratique, un genre destiné à l’apparat. Dans le Bénédicité, la Pourvoyeuse, l’Enfant au toton (tous trois au Louvre), la Fillette au volant (Paris, coll. part.), les personnages, empruntés à l’entourage du peintre, perdent leur identité au profit de la catégorie plus générale du genre ; lieux familiers, objets usuels, nourriture de tous les jours — on a envie de dire « pain quotidien », tellement il y a d’humilité et de recueillement dans chaque scène — acquièrent l’importance de biens que l’on a gagnés à la sueur de son front. Le respect qu’ils inspirent les élève à la qualité de symboles ; ils deviennent les piliers d’une religion que l’on avait vue s’imposer dans la peinture occidentale dès le xve s., en Flandre. Ce culte ne s’attache pas tant à la forme de l’objet qu’à la matière qui le constitue. Chardin pense et peint en homme du Nord ; les rapprochements se font d’eux-mêmes avec ses sources, et il n’y a pas jusqu’à cette pointe de complaisance dans le hideux, ce goût pour la chair saignante qui ne soient présents dans son œuvre : la Raie participe, comme le Bœuf écorché de Rembrandt ou telle scène de martyre de primitif flamand, d’une même attirance pour la matière, quelle qu’elle soit.

Chez Chardin, toutefois, la douceur et un sens tout français des convenances tempèrent cette inspiration. Pas de déchirement expressionniste, pas de cri : les tableaux se taisent comme pour mieux établir la présence des choses, les rapports se font sur le plan des formes avec le muet assentiment de la couleur, la garantie suprême en est la construction. Dans Pipe et vases à boire (Louvre), sur un plan défini par une table et un mur, la disposition des objets crée un réseau de plans intermédiaires réalisant des interférences si soigneusement étudiées que l’œil embrasse obligatoirement l’ensemble avant de remarquer le détail d’objets si divers, qui n’ont a priori aucune raison de coexister. Les thèmes varient peu, ils ont pour cadre la vie de famille. De plus, Chardin n’abandonne un sujet que lorsqu’il est sûr d’en avoir épuisé les ressources : d’une toile à l’autre, il intervertit les positions des différents objets ; ce qui importe, ce sont les rapports qui naissent, chaque fois différents. La couleur suit l’ordonnance magistrale de la composition, elle participe doucement à l’unité du tableau, conduite par une lumière vaporeuse qui dépose sur chaque relief de matière une touche précieuse et dorée. Pas de glacis, si ce n’est dans des œuvres de jeunesse comme la Raie, de l’époque où Watteau était suivi en tout point ; Chardin abandonne vite ce procédé si peu conforme au rendu intime et chaleureux qu’il s’est assigné. Les tonalités sont amorties par la lumière diffuse : les ocres dorés, les bruns chauds, les roses pâles, les bleus tendres enveloppent l’ambiance ouatée de la vie du foyer.

Vouloir définir celui qu’on a surnommé le « Bonhomme Chardin » comme peintre de genre est aussi dérisoire que de limiter Watteau à la peinture des galanteries. Watteau trouve dans le théâtre et ses costumes l’alibi idéal pour exprimer par petites touches aiguës la fuite irrévocable du temps, mettre en cause tout l’acquis de la raison, soulever la question de l’existence et de sa valeur. Chardin intervient dix années après et toute son œuvre, longuement élaborée, s’étale comme une réponse si simple qu’on n’y avait pas pensé : la matière existe, les objets sont là.

Un siècle plus tard, l’impressionnisme tentera, dans l’œuvre de Monet, un résumé de la nature par la lumière et la couleur. Et le monde, les êtres, les choses ? Il suffira qu’un peintre retrouve les formes premières et leurs rapports entre elles, qu’il élabore patiemment une recomposition de la nature, alors, la présence d’une pomme, d’un pot sur une table garantira naïvement l’existence du monde. Ce peintre : Cézanne, peut-être le meilleur élève de Chardin.

J. B.

 G. Wildenstein, Chardin, biographie et catalogue critiques (Les Beaux Arts, 1935). / E. Pilon, Chardin (Plon, 1941). / P. Rosenberg, Chardin (Skira, 1963).

Charente. 16

Départ. de la Région Poitou-Charentes ; 5 972 km2 ; 337 064 hab. (Charentais). Ch.-l. Angoulême. S.-préf. Cognac et Confolens.


Il tire son nom de la Charente, rivière de 360 km née à 319 m d’altitude en Haute-Vienne (Limousin), et dont le débit est sensiblement accru par les puissantes résurgences de la région d’Angoulême (à partir de laquelle la rivière était navigable).

Le département correspond à l’ancien pays d’Angoumois et à la Saintonge méridionale (au sud du Né), auxquels ont été adjointes quelques communes du Poitou au nord. Un lent dépeuplement avait fait diminuer la population de 379 000 habitants en 1861 à 309 000 en 1936, date à partir de laquelle une légère reprise s’est amorcée. Plus de la moitié des habitants vivent dans des communes rurales ; 29,4 p. 100 des actifs travaillaient encore en 1968 dans l’agriculture, bien que leur nombre ait sensiblement diminué en un siècle (de 118 000 en 1861 à 39 000 en 1968). Dans ce département à tradition manufacturière, 36,1 p. 100 des travailleurs étaient employés dans l’industrie et seulement 34,5 p. 100 dans le secteur tertiaire.