Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

chanson (suite)

Les transformations de la chanson littéraire à la fin du xvie siècle et au xviie siècle

À la fin du xvie s., l’air de cour se différencie de la chanson polyphonique ; au xviie s. il deviendra l’air sérieux, pour se différencier de l’air à boire.

Les compositeurs des plus célèbres airs de cour sont Claude Le Jeune, Pierre Guédron, Antoine Boesset et son fils Jean-Baptiste, Gabriel Bataille, Nicolas de La Grotte, Étienne Moulinié, Jean-Baptiste Bésard, Fabrice Marin Caietain, Adrian Le Roy, Pierre Cerveau, Louis de Rigaud, François de Chancy, Fegueux, Jehan Planson, François Richard, Jean Boyer, Jean de Cambefort, André Pevernage, etc., qui ont mis en musique des poètes tels que Tristan l’Hermite, Scarron, Malherbe, Boisrobert, Voiture, Théophile de Viau, Bertaut, Racan, Saint-Amant, Honoré d’Urfé, et des précieuses comme Mlle de Scudéry et la comtesse de La Suze.

Après Ronsard et Marot, le poète le plus souvent mis en musique, tant par ses contemporains que par ceux de la génération suivante, est Philippe Desportes. C’est ainsi que plusieurs de ses œuvres sont couronnées au concours musical du puy d’Évreux : Rozette pour un peu d’absence (Eustache Du Caurroy, 1575), Mon Dieu, mon Dieu que j’ayme (Nicolas Mazouyer, 1582), Las, je ne voyrrai plus (Denis Caignet, 1587), Ceux qui peignent amours sans yeux (Jacques Péris, 1588).

L’enthousiasme suscité par l’air de cour, d’une interprétation relativement facile et qui correspond bien aux réunions intimes, dont les peintres du temps nous proposent de nombreux exemples, vaut à la chanson un regain de popularité, bien que l’air de cour s’adresse à un public bourgeois ou aristocratique. Le peuple se divertit surtout aux facéties des chansonniers du Pont-Neuf, où se mélangent les pamphlets politiques, les chansons grivoises, voire scatologiques, les complaintes et les romances. Concurremment au Pont-Neuf, Gaultier-Garguille inaugure dès 1615 la formule du tour de chant à l’Hôtel de Bourgogne.

Les foires (Saint-Ovide, Saint-Laurent, Saint-Germain) représentent des comédies à couplets, dont les airs deviennent rapidement populaires. Certains de ces airs sont composés spécialement par des compositeurs en renom (Egidio Romualdo Duni, Jean-Louis Laruette, Jacques Aubert, etc. ; en 1723, Rameau ne dédaigne pas de collaborer à l’Endriague d’Alexis Piron, créée au théâtre de la foire Saint-Germain). Mais — et c’est le cas le plus fréquent — ces couplets sont composés sur des airs de chansons en vogue ou même d’opéras sérieux, ce qui assure leur diffusion auprès d’un vaste public.

À la fin du xviie s., on constate une baisse de qualité dans la chanson française dite « littéraire ». Il reste « une poussière de poètes dans les rayons du Roi-Soleil » (Paul Guth), comme La Fare, Chaulieu, Colletet, l’abbé de Pure, Chapelle, etc., mis en musique par une poussière de musiciens : Du Parc, Pierre Berthet, Labbé, Jean Cappus, Jean Desfontaines, etc.

Les éditions Ballard offrent un reflet fidèle de cette production mineure et publient également de fades bergeries, qui aboutiront à ce retour à la terre enrubanné qui sera le sujet de très nombreuses romances à la fin du xviiie siècle.


Renaissance de la chanson littéraire : les caveaux

En 1734 se constitua, rue de Buci, à l’enseigne du Caveau, une société de dîners littéraires dont les animateurs furent Charles Alexis Piron, Charles Collé, Crébillon fils et l’épicier-droguiste Gallet. Si les convives appartenaient à des disciplines différentes (les membres se nommaient Gentil-Bernard, François Boucher, Charles Antoine Le Clerc de La Bruère, Duclos, Helvétius, Moncrif, Jean-Philippe Rameau, Bernard Joseph Saurin Haguenier), les dîners étaient placés sous le signe de l’épigramme et de la chanson. Ce premier Caveau, qui dura jusqu’en 1743, apporta un sang nouveau et vigoureux à la chanson française. Reconstitué sans grand succès chez le fermier général Le Pelletier, il connut une période particulièrement brillante à partir de 1762 grâce à Piron, Crébillon fils et Gentil-Bernard, qui reprirent les réunions avec Charles François Panard, Charles Simon Favart, Pierre Laujon, Antoine Lemierre, Charles Pierre Colardeau, La Place, Marc Antoine Rochon de Chabannes, Barthe, Dudoyer, Denon, l’abbé J. Delille, Coqueley de Chaussepierre, François André Danican-Philidor, Albanèse, Joseph Vernet, le comte de Coigny, auxquels se joindront plus tard Fréron et Baculard d’Arnaud.

Les chansons chantées aux réunions furent publiées dans le Mercure français, l’Année littéraire et, plus tard, dans les tomes XIV et XV de l’Encyclopédie poétique de Pierre Capelle.

Le principe même du caveau — dîner littéraire à frais communs, au cours duquel chacun vient présenter sa production chansonnière, publiée ensuite, en principe, dans une anthologie — connut un très vif succès.

L’appellation caveau servit à des réunions régulières d’auteurs de chansons. Tel fut le cas en France du Caveau lyonnais, du Caveau normand et surtout du Caveau stéphanois, créé en 1883 et placé sous la présidence de V. Hugo, puis de Gustave Nadaud. Des caveaux furent fondés aussi jusque dans les possessions d’outremer : Inde, île Bourbon, île de France, etc. Des cabarets artistiques se placèrent sous cette dénomination : le Caveau des Alpes dauphinoises, le Caveau du Cercle et, rare survivant d’une époque révolue, le Caveau de la République.

Malgré la présence de musiciens aux dîners du Caveau, les chansonniers, tout comme leurs collègues du Pont-Neuf et des foires, adoptèrent en général le procédé du « timbre » pour écrire leurs chansons. C’est-à-dire qu’ils composèrent ces chansons sur la césure musicale d’airs à la mode.

Le second Caveau dura une vingtaine d’années.

Après la Révolution, sous l’impulsion de Pierre Laujon, une société semblable se reforma à l’enseigne des « Dîners du Vaudeville », les chansonniers Piis et Barré ayant consacré une scène spéciale aux comédies à couplets, baptisée « théâtre du Vaudeville » ; la nouvelle société ne devait, en principe, réunir que des vaudevillistes qui avaient remporté des succès à ce théâtre. L’assemblée ainsi constituée fut d’emblée fort importante. Ses principaux membres étaient Pierre Augustin de Piis, Barré, Radet, Desfontaines, les trois Ségur, Armand Gouffé, Louis Philippon de La Madelaine, etc. Les chansons, composées sur un sujet donné, furent publiées régulièrement et comportèrent 52 fascicules. Les Dîners du Vaudeville durèrent jusqu’en 1801 et furent remplacés par les Déjeuners des Garçons de bonne humeur (1801-1805). En 1806, le chansonnier-libraire Pierre Capelle fonda alors le Caveau moderne, qui retrouva, par la qualité de ses membres, la forme brillante des premiers caveaux. Placé sous la présidence de P. Laujon (qui, en 1807, devait être le premier auteur de chansons à être élu à l’Académie française), le Caveau moderne réunissait, entre autres, A. Gouffé, père de l’humour noir, P. A. de Piis, chansonnier politique, dont les réelles qualités furent gâchées par un opportunisme un peu trop voyant, Nicolas Brazier, surnommé « le La Fontaine de la chanson », Marc Antoine Désaugiers, tour à tour poète ou ironiste, dont on chante toujours Paris à 5 heures du matin, et enfin, à partir de 1813, Pierre Jean de Béranger (1780-1857), dont la gloire allait dépasser nettement le domaine de la chanson.

En 1815, des dissensions d’ordre politique amenèrent la dissolution du Caveau. En 1825, Désaugiers et Piis reconstituèrent ces réunions, mais la mort de Désaugiers (1827) les interrompit définitivement.

En 1834, des réunions (les Enfants du Caveau, puis le Caveau) reprirent avec des bonheurs différents. Surnommée à sa fondation « le Bas Empire de la chanson », cette société survécut jusqu’en 1939.