Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

chanson (suite)

La chanson politique


Une longue tradition

Sous la Révolution s’épanouit un genre de chanson très florissant en France depuis les croisades : la chanson politique, qui comprend aussi bien les chansons de propagande que les relations d’événements historiques ou les pamphlets. Sirventès dans le Midi, sirventois dans le Nord, cette forme de la chanson avait été en honneur chez les troubadours et les trouvères ; c’était une chanson satirique blâmant un personnage ou une action, ou invitant les seigneurs à se croiser.

La guerre de Cent Ans est commentée longuement dans le manuscrit de Bayeux, tandis que les victoires de François Ier avaient été transformées en savantes polyphonies, et que des chansonniers anonymes avaient donné un tour plus populaire aux événements. À l’époque de la Réforme, les murs de Paris s’étaient couverts de placards, où « papistes » et « parpaillots » s’invectivaient en chansons. Après un court répit, le pamphlet politique reprit avec une vigueur accrue sous la régence d’Anne d’Autriche. Mazarin et la Régente inspirèrent à eux seuls près de 6 000 « mazarinades ». C’est à ce moment que le Pont-Neuf découvrit sa vocation chansonnière, chaque niche du pont ayant son chansonnier attitré.

Malgré l’autoritarisme de Louis XIV, qui faisait saisir toute chanson satirique et emprisonner le poète et le libraire, les chansons se propagèrent grâce à des manuscrits copiés et recopiés, dont les recueils Clairambault-Maurepas sont, au xviiie s., l’exemple le plus complet.

Au xviie s. apparut le noël de cour, qui n’avait de noël que l’air et le terme. C’était en réalité une chanson satirique d’une verve souvent féroce, où tous les personnages de la Cour défilaient au long des couplets en recevant chacun leurs vérités premières. Exemple parfait de la chanson collective, le noël de cour se chantait le plus souvent sur le timbre de Tous les bourgeois de Châtre.

Sous la Révolution, le Pont-Neuf resta actif, sans qu’aucune censure ne vînt tempérer les excès verbaux des chansonniers. Les citoyens Ladré (auteur de la première version du Ça ira), Déduit et Marchant, commentaient les événements dans des chansons qui entretenaient l’esprit révolutionnaire, tandis qu’Ange Pitou, monarchiste convaincu, leur répondait depuis la place Saint-Germain-l’Auxerrois.

Sous l’Empire, seules les chansons célébrant les victoires de Napoléon furent autorisées. L’opposition imprima alors à Coblence des chansons qui coururent sous le manteau dans la capitale.

L’esprit épicurien qui présidait aux réunions des caveaux les avait tenus à l’écart de la satire politique. Cependant, sous la Restauration, à la suite de Béranger (v. chansonnier), certains de leurs membres furent emprisonnés à la Force et à Sainte-Pélagie pour avoir dénoncé les exactions du pouvoir. En même temps se créa, grâce à Béranger et à Paul Émile Debraux, la légende impériale, soigneusement entretenue jusqu’à l’avènement de Napoléon III.


Les goguettes

Un phénomène nouveau et sans doute unique en son genre se produisit au début du xixe s. Alors que les caveaux recrutaient leurs membres parmi des littérateurs, des ouvriers et des artisans prirent l’habitude de se réunir dans des cabarets non pas dans le dessein de boire ou de manger, mais plutôt pour chanter et écouter des chansons. Ces assemblées, appelées goguettes, rejetaient l’épicurisme des caveaux. Elles apportèrent une nouvelle conception de la chanson littéraire, jusque-là réservée au public intellectuel. Et, malgré les conseils de prudence donnés aux goguettiers par Paul Émile Debraux, qui, jusqu’à sa mort (1831), fut l’un des principaux animateurs de ces assemblées, les goguettes eurent pour objectif principal la chanson sociale et politique. Issues du mouvement saint-simonien, elles développèrent ensuite les doctrines fouriéristes et babouvistes, préparant ainsi la IIe République.

Première goguette en date, les Bergers de Syracuse, fondés en 1804 par Pierre Colau, comptèrent Gérard de Nerval parmi leurs membres. Celui-ci fréquentait aussi la Société lyrique des troubadours, qu’il décrivit dans les Nuits d’octobre. Hégésippe Moreau créa aux Infernaux sa jolie chanson de la Fermière et, à la Ménagerie, fondée par Charles Gille, tout nouveau sociétaire était admis par une phrase consacrée, qui parodiait irrévérencieusement la déclaration du comte d’Artois : « Il n’y a rien de changé en France, il n’y a qu’un animal de plus. »

Malgré la sollicitude de la police, qui en fit fermer de nombreuses, les goguettes se multiplièrent à tel point qu’il est impossible d’en dresser une liste exhaustive. Elles furent interdites après le coup d’État du 2-Décembre et la IIIe République refusa aux goguettiers l’autorisation de reprendre leurs activités. Seule, assagie et se cantonnant dans les chansons anodines, la Lice chansonnière reprit ses réunions jusqu’en 1967.

Chassés des goguettes, certains chansonniers, comme Pierre Dupont, reconvertirent leur muse. D’autres se tournèrent vers les inepties, puis vers les chansons patriotardes du caf’conc’*, suivis en masse par un vaste public populaire. Malgré quelques chansonniers irréductibles, comme Paul Avenel, Jean-Baptiste Clément et Eugène Pottier, il faudra attendre l’avènement de Montmartre pour que la chanson politique retrouve son acuité.


Vers la chanson moderne

À la fin du xviiie s. se confirme un genre de chanson, déjà en honneur chez les troubadours sous le titre de chanson de toile : la romance*. Durant un siècle, elle envahit peu à peu la littérature chansonnière, jusqu’au moment où un divorce se produit : la meilleure partie des romancistes se tournent vers la mélodie, qui se détache du domaine de la chanson pour pénétrer dans celui, plus fermé, de la musique de chambre. Les auteurs populaires émigrent vers le café-concert.

Heureusement, en 1878, Émile Goudeau fonde au Quartier latin le premier cabaret artistique en date, connu sous le nom de Club des Hydropathes et qui réunit des peintres, des poètes, des musiciens, des acteurs, des étudiants. Les membres les plus célèbres seront Maurice Rollinat, Charles Monselet, Paul Arène, François Coppée, Jean Richepin, Coquelin cadet, André Gill, Maurice Mac-Nab, Jules Jouy. Les séances remportent rapidement un très grand succès, et, en 1881, Goudeau, associé à Rodolphe Salis, transporte ses Hydropathes à Montmartre et ouvre un cabaret à l’enseigne du Chat-Noir, tout d’abord boulevard Rochechouart, ensuite rue de Laval (depuis rue Victor-Massé), tandis que l’esprit qui avait présidé aux Hydropathes demeure au Quartier latin avec les soirées de la Plume, animées par Jean Moréas et auxquelles participe Paul Verlaine.