Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

chanson (suite)

Deux styles, en effet, se développent concurremment dans les premières années du xvie s. : celui de la chanson courtoise, savante et raffinée, qu’illustrent les musiciens du Nord (et que pratiqueront encore dans la première moitié du siècle les musiciens de Charles Quint, Nicolas Gombert [v. 1490 - v. 1560] et Thomas Créquillon [† v. 1557]), et celui de la chanson « rurale », à boire ou à danser, chanson strophique ou chanson à refrain, plus goûtée semble-t-il à la cour de France.

La « chanson parisienne », que les recueils imprimés de Pierre Attaingnant († v. 1551) rendront accessible à un large publie à partir de 1528, se rattache à l’un et à l’autre de ces styles. Mi-savante, mi-populaire, elle exprime parfaitement ce « retour à la joie pure » et ce goût du réalisme et du pittoresque qui caractérisent le règne de François Ier. La « mélodieuse harmonie » du rossignol (« oy ty trr tu qui larra »...) et les cris équivoques du coucou (« coqu ») servent de thème chez Clément Janequin* à une vaste fresque, vocale aux timbres et aux rythmes infiniment variés (le Chant des oiseaux). Les bruissements de la bataille, le cliquetis des armes, les rythmes des tambours de la Guerre semblaient si suggestifs aux oreilles des contemporains qu’il n’y avait homme, en écoutant cette chanson, selon le témoignage de Noël du Fail, « qui ne regardast si son espee tenoit au fourreau, et qui ne se haussat sur les orteils pour se rendre plus bragard et de la plus haute taille ». Les œuvres plus courtes de Janequin lui-même et de ses contemporains, Claudin de Sermisy (v. 1490-1562), Sandrin († v. 1561), Passereau (Il est bel et bon), témoignent du même souci de « bien dire » et de rendre compte, par de justes « effets », des qualités rythmiques et sonores du texte poétique. Prenant modèle sur les poètes (Clément Marot, Mellin de Saint-Gelais), dont ils mettent en musique les épigrammes et les chansons, les compositeurs s’efforcent d’être, à leur manière, d’excellents « conteurs ». Aussi le succès de ces « chansons nouvelles » est-il considérable. On peut les entendre, chantées à 4 voix ou sonnées sur les instruments, dans toutes les cours d’Europe, mais aussi, grâce au développement de l’imprimerie musicale, dans les demeures bourgeoises et les maisons paysannes, où elles accompagnent la veillée.

Vers le milieu du siècle, quelques compositeurs (Jacob Arcadelt [1514-1560], Pierre Certon [† en 1572], Adrian Le Roy [1520 - v. 1598]), répondant aux préoccupations des poètes et des humanistes qui opposent au « grand bruit » de la polyphonie le « ravissement » de la « simple et unique voix » (Pontus de Tyard, Solitaire Second), harmonisent syllabiquement ou accompagnent à la guitare plusieurs chansons « en forme de voix de ville », dont le thème (monodie très simple de faible ambitus ou air de danse à la carrure franche), comme celui d’un « timbre » populaire, servira de support aux nombreuses strophes du texte. Ces « voix de ville » sont à l’origine de l’air* de cour, qui supplantera vers la fin du siècle la chanson polyphonique et dont Adrian Le Roy publiera en 1571 un premier Livre, « mis sur le luth ».

De nombreux compositeurs de la seconde moitié du xvie s. continuent cependant à écrire des chansons plus traditionnelles, sur le modèle de celles de Sermisy et de Janequin, mais dans un style plus harmonique. Guillaume Costeley (v. 1531-1606), organiste de Charles IX, fait suivre les débuts contrapuntiques, en style d’imitation, de ses chansons à 4 voix de passages strictement homophones (Mignonne allons voir si la roze). Il délaissera par ailleurs l’ancienne tessiture de la chanson josquinienne et parisienne (resserrée soit dans le grave, soit dans l’aigu) pour pratiquer une écriture « plus aérée », qui annonce le quatuor vocal moderne. Comme les musiciens de Ronsard (au premier rang desquels il faut citer Antoine de Bertrand [† en 1581]), Roland de Lassus* fait porter ses recherches à la fois sur le langage harmonique et sur la prosodie, qu’il calque sur le rythme même de la parole (Bon Jour mon cueur). Ce sont les problèmes que pose l’union de la musique et de la poésie qui conduisent Jean Antoine de Baïf, le fondateur, avec Joachim Thibaut de Courville, de l’Académie de poésie et de musique (1570), à mesurer le vers français en quantités longues et brèves, par analogie avec la métrique latine. Jacques Mauduit (1557-1627) [Vous me tuez si doucement] et surtout Claude Le* Jeune (O Rôze, reyne dés fleurs) sauront concilier la raideur d’un tel principe avec les nécessités propres au langage musical. Le Jeune introduit de nombreuses diminutions dans les valeurs longues, fait alterner « chants » et « rechants », qu’il confie à des trios, des quatuors, des quintettes, et varie la courbe mélodique en utilisant le chromatisme d’une manière expressive (Qu’est devenu ce bel œil). Signe du temps, cependant, Claude Le Jeune est également l’auteur d’un grand nombre d’airs à 3, 4, 5 et 6 parties...

A. A.

L’imprimerie et la diffusion de la chanson

L’invention de l’imprimerie facilite la diffusion de la chanson. Certes, la première publication de chansons françaises est faite à Venise, où l’éditeur Ottaviano Petrucci (1466-1539) publie de 1501 à 1503, sous le titre de Harmonice Musices Odhecaton, trois recueils de chansons à 3 et 4 voix. Malheureusement, Petrucci se contente de nous livrer seulement l’incipit littéraire de ces chansons. En France, un événement se produit, qui va avoir des répercussions considérables pour l’avenir de la chanson française : en 1528, Pierre Attaingnant commence la publication d’une importante série de recueils, qui constitue une véritable anthologie de la chanson au xvie s. (environ 1 500 chansons). À sa suite, d’autres éditeurs publient, eux aussi, des chansons : Jacques Moderne à Lyon, Nicolas Du Chemin et Jean Chardavoine à Paris, Tielman Susato à Anvers. En 1551 est fondée la célèbre maison Ballard, qui, pendant plus de deux siècles, éditera toute la production chansonnière française.