Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Afrique noire (suite)

Archéologie et histoire de l’art

Bien que les travaux archéologiques et historiques s’intensifient de nos jours, les lignes générales de l’évolution de l’art africain nous échappent encore. Le nombre restreint et la répartition irrégulière des sites archéologiques dans les régions subsahariennes tiennent surtout au caractère fragile des matériaux de construction ; on ne connaît encore que quelques ensembles en pierre. Très peu d’objets africains ont résisté à l’épreuve du temps : si l’objet n’était pas victime du climat, les vicissitudes de l’histoire, autodafés, vols et coutumes de remplacement contribuaient à sa disparition. La datation précise de maint objet est difficile, voire impossible, avec les méthodes que nous connaissons aujourd’hui. À l’exception de quelques écrits des Arabes et des Noirs islamisés, il n’existe pratiquement pas de renseignements historiques sur l’époque précoloniale ; les traditions orales fournissent des indications intéressantes, mais pas toujours sûres. Pour l’époque de la découverte, on se rapporte aux récits des voyageurs, des commerçants et des missionnaires européens. Les données ainsi recueillies ne suffisent pas encore à jeter les bases d’une histoire de l’art africain : pour reconstituer l’origine et le développement des formes, et pour saisir le sens des transformations, il faudrait disposer d’ensembles d’objets bien localisés et répartis sur un axe diachronique, ainsi que d’informations sur leur production et leur distribution. De ce point de vue, l’ensemble constitué au Nigeria par la suite Nok-Ife-Bénin-Yorouba reste unique en Afrique. Ainsi devons-nous nous contenter de signaler les sites les plus connus.

Le nom Sao recouvre l’ensemble des populations qui s’établirent dans la région du delta du Chari, au sud du lac Tchad, entre le xe et le xvie s. de notre ère. Les ruines de leurs villes et villages ont livré plus de 15 000 pièces en terre cuite, en bronze, en fer, en ivoire et en os. Les urnes funéraires sont d’une remarquable maîtrise d’exécution ; les statuettes en terre cuite représentant des êtres humains, parfois masqués, sont de facture tantôt schématique, tantôt très figurative. De fins pendentifs de bronze en forme de crocodile, de canard, de tête de gazelle ont été fondus à cire perdue, ainsi que des anneaux et des bracelets. Des travaux archéologiques sont en cours. Les descendants actuels des Saos seraient, entre autres, les Kotokos du Tchad.

Il existe, sur le territoire qui s’appelle actuellement la Rhodésie, pays jadis occupé par le peuple Chona, une centaine de ruines en pierres sèches, dont la plus connue est sans doute l’ensemble de Zimbabwe. La datation au carbone 14 a permis de distinguer plusieurs périodes d’occupation de cet ensemble : la plus ancienne remonterait au ive s. de notre ère ; les travaux de surface en pierre dateraient du xve s. Ces dates confirment les traditions orales de la région et les récits sur l’empire du Monomotapa rapportés par les voyageurs portugais qui ont été en contact avec les peuples de la boucle du Zambèze dès le xve s. Les constructions de Zimbabwe se répartissent entre la « Vallée », où le sol est recouvert d’un labyrinthe de murs en pierre, et l’« Ellipse », enceinte ovale dont les murailles, de 10 m de haut et de 5 m d’épaisseur à la base, ont été faites de blocs de pierre superposés à joints vifs. Les fouilles ont mis au jour des porcelaines chinoises, des faïences de Perse et des verres d’Arabie, en même temps que des objets d’origine locale : bijoux en or, ornements en fil de cuivre et poteries. Deux types d’œuvre en pierre témoignent de l’originalité de cette civilisation : de grands oiseaux de proie aux ailes repliées et quelques personnages debout dont les jambes sont indifférenciées.

Plusieurs objets, dont des haches taillées, des outils microlithiques et deux figures en terre cuite, déterrés lors de l’exploitation des mines d’étain sur le plateau de Bauchi, au Nigeria, ont permis à Bernard Fagg d’entreprendre des recherches et d’identifier, vers 1943, une civilisation qu’il dénomma « Nok » d’après un village voisin des sites. Datée entre 500 av. J.-C. et 200 de notre ère, Nok est la plus ancienne civilisation subsaharienne que nous connaissions. L’éventail d’objets trouvés de 6 à 8 m sous le sol comprend des parures en perles, des ornements et surtout des figurines en terre cuite, parmi lesquelles un fragment de corps agenouillé, une tête surmontée d’une coiffure à cinq chignons, une figurine barbue au visage scarifié et une tête simiesque. Ces œuvres figuratives en terre cuite témoignent d’un style homogène : le traitement légèrement géométrisé de la tête, tantôt en forme de sphère, tantôt en forme de cône ou de cylindre, s’accompagne de la perforation des yeux, des narines et des oreilles. La perfection technique des artistes de Nok suggère l’idée qu’ils élaboraient leurs œuvres sur des bases jetées par une civilisation antérieure. La discussion concernant la parenté de Nok et d’Ife, civilisation plus tardive de mille ans, se fonde sur l’identité des parures et des ornements, et sur certaines constantes plastiques dans leurs terres cuites.

Un ensemble d’un peu plus de soixante œuvres en terre cuite, en pierre et en bronze témoigne aujourd’hui de la perfection atteinte par les artistes du royaume d’Ife*. Les bronzes, têtes d’hommes et de femmes, bustes, personnages debout, vases et sceptres, tous coulés à cire perdue, sont des réussites d’une technique exigeante : modelée d’abord en cire sur âme de glaise réfractaire, la couche de bronze obtenue n’a que quelques millimètres d’épaisseur et n’a subi que quelques retouches légères. Avant de disparaître vers le xive s., cette technique fut transmise au royaume du Bénin. Aussi bien en terre cuite qu’en bronze, les têtes d’Ife, dites « naturalistes » en raison de leur modelé souple reproduisant les traits de visages humains souvent porteurs de scarifications longitudinales, soulèvent beaucoup de problèmes stylistiques. La diversité et les caractéristiques de ces figures suggèrent qu’il s’agit là d’un art du portrait. Des œuvres en pierre figurant, par exemple, Idéna, la femme du chasseur mythique Oré, et un serviteur de celui-ci, ainsi que des pierres dédiées au dieu du fer Ogoun se dressent dans un bois proche d’Ife ; elles dateraient, selon certains, d’une époque antérieure à la fondation du royaume. Au xvie s., Ife avait perdu son pouvoir politique. Mais, aujourd’hui encore, son roi, l’oni, est reconnu comme « père » du peuple yorouba, pour qui Ife est une ville sainte et la capitale de son royaume originel.