Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Afrique noire (suite)

Les travaux des ethnologues, s’ils ont échappé à cette limitation, se détournaient d’une analyse esthétique. Même lorsqu’il s’agissait d’études sur l’art, la voie d’explication ethnologique classique ne pouvait que rechercher l’origine ethnique de l’objet et sa fonction dans la communauté. Ainsi, on nous disait que le grand masque bobo de Haute-Volta « sert aux rites agraires » et que la statue fang du Gabon « sert au culte des ancêtres ». Cette voie d’approche a permis d’établir les fondements d’une géographie stylistique et d’une connaissance approfondie des aspects fonctionnels de l’objet plastique. Mais le processus de la production étant compris comme obéissant aux impératifs sociaux et plus particulièrement religieux, on n’évitait pas une confusion entre la destination de l’œuvre et la pratique de la création plastique. L’univers esthétique n’était pas abordé en tant que tel : on n’étudiait ni les artistes ni leur public ; les styles s’expliquaient comme le résultat de « contraintes sociales ». Certains auteurs ont même voulu nier l’existence d’une activité spécifiquement artistique en Afrique. Pourtant, bien que l’œuvre plastique soit subordonnée aux normes de la communauté par sa fonction ou par sa destination, aucune donnée ethnologique ne justifie l’affirmation que des considérations esthétiques n’interviennent pas dans le travail pratique de l’artiste.

Au fur et à mesure que la documentation s’enrichissait, certains auteurs, soucieux de retrouver le champ esthétique, ont essayé de dépasser les limites de l’approche ethnologique. Leurs études, prenant toujours l’objet d’art comme point de départ, ont conduit à une nouvelle évaluation des manifestations plastiques africaines.


Classement des arts et expérience esthétique

Dans un de ses ouvrages, réagissant contre les distinctions traditionnelles de la critique occidentale, parce qu’elles déforment la réalité artistique africaine, Michel Leiris reprend une classification des arts déjà suggérée par Marcel Mauss. Le rapport plus ou moins étroit par lequel les différents arts se lient à la personne physique fonde cette classification. Michel Leiris distingue : « arts du corps, qui se traduisent par une modification apportée au corps lui-même ; arts des entours, matérialisés par des aménagements ou des constructions et par des meubles ou autres ustensiles ; arts figuratifs autonomes, aboutissant, par le traitement des volumes ou par celui des surfaces, à des images susceptibles d’être vues exclusivement comme telles, étant entendu qu’entre ces divisions de pure commodité il ne peut exister un cloisonnement rigide ». Dans l’analyse, comme le dit l’auteur, ce classement devrait être complété par une étude de la production des œuvres, non plus selon leur genre, mais selon les groupes humains qui s’y adonnent. L’exemple de la création plastique des Mambilas illustre combien ce classement aide à appréhender les composantes d’un univers esthétique.

Si l’exemple des Mambilas montre qu’une activité artistique peut exister là où il n’y a pas d’artistes spécialisés, il ne faudrait pas, pour autant, généraliser. Comme Jean Laude le montre, l’artiste n’est pas toujours un modeste et anonyme exécutant. On peut distinguer deux types de spécialisation selon le type de société et selon le rôle que joue l’artiste dans la vie économique et politique. Dans les sociétés à pouvoir centralisé et hiérarchisé, le sculpteur se présente comme un professionnel qui, le plus souvent, exerce son métier au service du roi. Il jouit de privilèges et reçoit parfois des honneurs spéciaux. Par contre, dans les sociétés de type villageois, c’est au forgeron, homme de caste et seul apte à fabriquer l’outillage en fer indispensable au travail de la communauté, que l’on s’adresse pour commander les statuettes, les masques et les objets d’usage, qui représentent la partie majeure de la production artistique. D’ordinaire, la femme du forgeron assure la production de la poterie.

Robert Thompson, dans une étude sur l’expérience esthétique, a montré la complexité des normes critiques employées par les Yoroubas du Nigeria. Selon lui, on passe de l’appréciation à la critique lorsque les jugements exprimés sur les mérites ou les défauts d’une œuvre sont accompagnés d’une explication ou d’une justification. Chez les Yoroubas, la critique s’exerce dans les situations suivantes : sur la place publique, lors des fêtes qui mettent en vedette la sculpture sur bois ; au marché ou dans les ateliers, lorsque les qualités d’une œuvre deviennent l’objet d’un échange commercial ; dans l’atelier, lorsque le maître enseigne les principes que devrait suivre l’apprenti ; à l’occasion des rencontres qui provoquent la critique mutuelle des artistes. Dans tous ces cas, les critiques yoroubas emploient des noms abstraits, par exemple position, proportion, composition et rotondité, pour indiquer les aspects de l’agencement formel de l’œuvre. Ils emploient des critères qualitatifs pour indiquer leur estimation de cet agencement. Bien que tous les critiques semblent avoir connaissance d’un ensemble de dix-huit critères, ils diffèrent quant à leur emploi, soit par une divergence dans l’estimation pratique de l’œuvre, soit par une valorisation préférentielle de certains critères. Cet écart dans le jugement esthétique peut expliquer pourquoi le style yorouba permet une grande variété de sous-styles et laisse une large marge à l’invention. À la base de la fonction critique, on trouve les éléments, valeurs et idéaux, qui constituent la vision yorouba du monde.

La création plastique chez les Mambilas

Les Mambilas, qui occupent les hauts plateaux de la province de Sardauna, dans le nord du Nigeria, ont une économie de subsistance. La culture de céréales, activité qui fonde l’économie et détermine, avec les changements de saison, le rythme de la vie sociale, ne fournit que rarement un produit agricole qui dépasse les besoins annuels de la communauté. La division du travail s’effectue par le rassemblement des hommes et des femmes en petits groupes d’entraide, les kurums, qui assurent non seulement la préparation des champs, les semailles et la récolte, mais aussi les autres travaux nécessités par la vie quotidienne. Les rencontres sociales, les danses et les fêtes s’organisent dans le cadre des kurums.