Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Afrique noire (suite)

Toutefois, il y a tout lieu de croire que des mutations sont possibles. Il y a d’abord ce fait que les textes ne sont pas seulement l’expression d’une tradition ; ils sont aussi, nous l’avons vu, un procédé d’information critique en rapport avec les événements actuels. Les anthropologues africanistes ont peut-être trop tendance à ne voir que l’aspect statique des sociétés africaines. Les poèmes nzakaras, les chants de griots malinkés, pour prendre des exemples attestés, témoignent de l’inspiration des textes oraux à des sources actuelles, locales, régionales, mais aussi suscitées par les grands faits d’actualité.

En passant de l’oralité à l’écriture, on fonde au sens propre une littérature. Les grandes collections de textes assumées par divers éditeurs sont une œuvre qui répond à une nécessité et à une urgence fondamentales. Cette œuvre a sa fin en elle-même, car elle dévoile un trésor spirituel et un témoignage authentique à une humanité oublieuse. Les mythes, les textes dynastiques et, d’une façon générale, tout le contenu sémantique des textes oraux témoignent de l’histoire et de la culture des peuples africains. Il faudrait aussi envisager des archives sonores, qui, de fait, conserveraient mieux le caractère d’oralité des textes.

Dans tous les cas, la fixation des textes oraux, qu’elle soit une sauvegarde ou une recension, exige une élaboration technique. On oublie peut-être trop souvent qu’elle est une entreprise de langage et qu’elle doit faire appel à une équipe pluridisciplinaire. Le linguiste qui n’est que grammairien ne rend compte que d’un squelette. L’ethnologue qui n’est pas linguiste livre au public des résultats tronqués, car il aliène les possibilités d’exploiter les signifiants.

Si les anthropologues, hommes de synthèse, sont intéressés au premier chef par l’étude des textes oraux, ils doivent aussi faire une œuvre de compréhension qui aille au-devant des perspectives nationales, où se situent normalement les usagers africains. Dans ces perspectives, l’approche des textes est liée par des liens politiques à la reviviscence et à l’usage plénier des langues africaines. Tout anthropologue qui s’en désintéresserait ne ferait qu’une œuvre d’érudition, très valable en soit, mais dont la charge d’information ne porterait que sur des publics occidentaux. Les textes oraux africains méritent, non pas tant pour leur contenu que pour les hommes dont ils sont l’expression sociale et culturelle vivante, de ne pas être déclassés au rang de productions folkloriques.

Cheikh Hamidou Kane a signalé ce fossé qui existe entre l’écrivain africain et le public africain. Une solution possible serait de renforcer et d’enrichir les rapports de ce public avec des textes écrits puisés aux sources de l’oralité, en somme d’insérer authentiquement les œuvres dans la réalité culturelle africaine. Un engagement de l’écrivain ne suffit pas, il faut une participation. Des écrivains, et non des moindres, ont déjà montré la voie, tels, par exemple, Birago Diop, Bernard Dadié, Achébé, Amos Tutuola.

On peut alors parler de littérature, ce qui n’est pas une dégradation des textes de style oral, mais une mutation irréversible à l’échelle même d’une civilisation.

M. H.

➙ Négritude.

 V. Propp, la Morphologie du conte (Leningrad, 1928 ; nouv. éd., 1969 ; trad. fr. Éd. du Seuil, 1970). / H. Gaden, Proverbes et maximes peuls et toucouleurs (Institut d’ethnologie, 1932). / S. de Ganay, les Devises des Dogons (Institut d’ethnologie, 1941). / A. Kagame, la Poésie dynastique au Rwanda (Bruxelles, 1952). / D. Paulme, les Civilisations africaines (P. U. F., coll. « Que sais-je ? », 1953 ; 5e éd., 1969). / M. J. et F. Herskovits, Dahomean Narrative : a Cross Cultural Analysis (Evanston, Illinois, 1958). / C. Lévi-Strauss, Anthropologie structurale (Plon, 1958) ; le Cru et le cuit (Plon, 1964). / D. T. Niane, Soundjata ou l’Épopée mandingue (Présence africaine, 1960). / J. Vansina, De la tradition orale. Essai de méthode historique (Tervuren, 1962). / A. H. Ba et J. Daget, l’Empire peul du Macina (Mouton, 1963). / Poètes Nzakara, présentés par E. de Dampierre (Julliard, 1963). / D. Zahan, la Dialectique du verbe chez les Bambara (Mouton, 1963). / M. D’Hertefelt et A. Coupez, la Royauté sacrée de l’ancien Rwanda (Tervuren, 1964). M. Houis, les Noms individuels chez les Mossi (Dakar, 1964). / S. A. Babalola, The Content and Form of Yoruba Ijala (Londres, 1966). / G. Calamé-Griaule, Ethnologie et langage : la parole chez les Dogon (Gallimard, 1966). / Chroniques et récits du Faoûta-Djalon, réunis par Alfâ Ibrâhim Sow (Klincksieck, 1968). / M. Jousse, l’Anthropologie du geste (Resma, 1969).
On peut également consulter la revue Présence africaine.


Les arts de l’Afrique noire


Connaissance de l’art africain

Au début de notre siècle, des peintres, des sculpteurs et des poètes ont trouvé dans quelques statuettes et masques venus de l’Afrique des réponses aux problèmes plastiques qu’ils se posaient. Avec cette reconnaissance de leur valeur esthétique, les œuvres plastiques africaines, naguère « objets de curiosité », se sont inscrites dans l’histoire universelle de l’art. Depuis lors, les études sur l’art africain se sont multipliées suivant des voies fort diverses.

Certains auteurs, par exemple F. Christol, G. Schweinfurth et L. Frobenius, dans leurs tentatives d’aborder la culture matérielle des sociétés africaines, ont relevé l’existence d’activités esthétiques tout en découvrant leurs liens avec l’organisation sociale. Malgré certains préjugés ethnocentriques bien européens, ces études ont montré que les arts plastiques traditionnels se manifestent au sein de communautés dont les structures de production, dans tous les domaines, sont étroitement liées.

À partir de 1915, plusieurs chercheurs ont abordé les problèmes de style. Après C. Einstein, qui, tout en étudiant les structures formelles des objets d’art, voulait comprendre leur raison d’être, G. Hardy et E. von Sydow ont entrepris des études stylistiques, celui-ci en distinguant le style abstrait du style figuratif et du style fantastique, tandis que celui-là opposait l’art de la savane à celui de la forêt. En 1938, C. Kjersmeier proposait une analyse des « centres de style » de la sculpture africaine. Plus tard, H. Lavachery distinguait les styles convexes et les styles concaves. Ces tentatives, bien qu’elles soient d’ordre esthétique, reflètent une limitation qui ne cesse de fausser la plupart des analyses de l’art africain : seuls les objets dits « d’art majeur », la statuaire et les masques, entrent effectivement en ligne de compte.