Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Afrique noire (suite)

Il y a aussi l’immense répertoire des proverbes et des énigmes (devinettes). Des milliers de proverbes ont été publiés jusqu’ici soit dans des recueils, soit dispersés dans les revues. Ce sont évidemment des textes courts, mais incisifs, rythmés (souvent binaires). Toute une éthique y est enchâssée. Proférés par les aînés, ces proverbes sont signes de sagesse et de connaissance. Ils ont leur place dans les réunions familiales, aux marchés, aux cours de justice. Un beau recueil de proverbes est celui d’Henri Gaden : Proverbes et maximes peuls et toucouleurs. Le classement qu’il opère est assez significatif de l’ampleur et du caractère social des thèmes : les sentiments affectifs, la famille, le pouvoir, les biens et les maux, le caractère, la parole, la sagesse pratique, la vie, la tradition. Il faut ajouter, et c’est un trait général des proverbes, l’importance du bestiaire comme support allusif du monde humain.

Avec les énigmes, nous entrons dans l’univers ludique des enfants. De même que les proverbes, il y en a des milliers. Prenons l’exemple des Vendas de l’Afrique bantoue, dont les énigmes ont donné lieu à des commentaires suggestifs de John Blacking (« The Social Value of Venda Riddles », in African Studies, Witwatersrand, 1961). Les énigmes sont utilisées au cours de jeux compétitifs. Leur importance vaut moins au titre d’exercices intellectuels qu’à celui d’incitations à une participation sociale. Elles comportent une question et une réponse, mais les deux font un tout. Il est plus important de connaître le texte binaire que de décrypter la réponse et de la comprendre. Les énigmes n’ont, à proprement parler, de valeur éducative que par référence à leur fonction qui est de resserrer les liens sociaux et d’affermir la position des enfants à l’intérieur de groupes comme, par exemple, les classes d’âge.

Le théâtre est aussi une manifestation orale, qui a moins retenu l’attention que les autres formes de textes. Les rituels religieux et les divertissements chantés et narrés sont déjà du théâtre. La frontière apparaît avec l’« illusion volontaire ». M. M. Mahood (« le Théâtre dans les jeunes États africains », in Présence africaine, 1966) nous parle du théâtre yorouba, en particulier de la mascarade d’Egungun : « Les porteurs de masque sont en état de possession et le spectateur... croit qu’il est en présence de ses ancêtres et qu’il entend leur voix. » Mais si la mascarade n’a qu’un but spectaculaire. « la croyance fait place à l’illusion volontaire chez le spectateur comme chez l’acteur qui, sans être possédé, simule la voix d’un esprit ». Selon Oyin Ogunba, le théâtre indigène au Nigeria dérive des festivals de la tradition locale (« le Théâtre au Nigeria », in Présence africaine, 1966). Religieux à l’origine, il développe des tendances dramatiques extra-religieuses au détriment de l’intention rituelle originale, mais à l’avantage du théâtre lui-même. Joué en plein air, le théâtre est l’occasion de faire la satire d’un adversaire ou d’une mode, de proférer des allusions politiques, de poser des questions pertinentes sur des sujets d’actualité.

Le koteba est le théâtre bambara, auquel Claude Meillassoux a consacré un article plein d’intérêt (« la Farce villageoise à la ville : le koteba de Bamako », in Présence africaine, 1964). C’est une fonction traditionnelle des sociétés de classes d’âge que de divertir les villageois. Leurs membres présentent des pièces du répertoire traditionnel ou de leur composition. Le théâtre est l’occasion d’exercer une critique sur la société villageoise. Il se développe aujourd’hui, dans les milieux urbains, des formes de théâtre qui, sans être liées à des classes d’âge, demeurent villageoises par leur répertoire et qui abordent divers thèmes critiques par rapport aux normes de la société traditionnelle.

Il serait vain de dresser un inventaire et même de tenter un classement de toutes les formes de textes de style oral. Le pourrait-on avec satisfaction pour la presse écrite d’un pays européen ? Parallèlement à tout ce qui s’écrit, il y a en Afrique tout ce qui se profère. Tout est message ; même, le plus souvent, les toponymes et les anthroponymes véhiculent une information sur l’identité historique des lieux et l’identité biographique des personnes. Il faudrait donc ajouter de multiples exemples à ceux qui ont été recensés, et nous serions encore loin du compte. Disons qu’il y a aussi : des mythes, affabulations volontaires d’idées maîtresses qui ne peuvent être mises à la portée de tous à n’importe quel moment et qui impliquent une catharsis de la connaissance ; des incantations, par lesquelles on fait un usage correct de mots magiques, selon un ordre rituel voulu et qui est condition de l’efficacité ; de très nombreux chants — on chante énormément en Afrique —, intimement liés aux rythmes de danse, souvent analogues à des antiphonaires, ou alors chants solitaires de la mère à son enfant, du berger au monde « numineux » (du lat. numen, -inis, puissance agissante de la divinité) de la nature ; des devises, qui sont autant de formules de contact à l’égard de tout ce qui représente une force et qu’il importe de rendre propice.


Problèmes d’actualité

Une angoisse règne quant à la littérature orale africaine. Elle se fait jour dans l’intérêt pressant que montrent les africanistes à vouloir relever et fixer les textes. La vérité est exprimée dans cette belle remarque d’Amadou Hampâté Ba : « Un vieillard qui meurt est une bibliothèque qui brûle. » Brièvement, de quoi s’agit-il ?

Nous avons situé les textes de style oral dans une civilisation de l’oralité. Il est évident qu’à partir du moment où les fonctions sociales et psychologiques de l’oralité sont entamées les textes risquent de disparaître. Ils n’existent, en effet, qu’autant qu’il y a des individus qui les connaissent et que ces mêmes individus sont motivés pour les proférer. De nombreux facteurs viennent modifier les types traditionnels de relations sociales, que ce soit l’urbanisation, les déplacements de migrants, l’attention grandissante que la pensée accorde à des thèmes modernes, les conflits psychologiques résultant du sous-développement. Il va donc se produire une disparition et une mutation. Les textes les plus intimement intégrés à des structures sociales et à des valeurs culturelles vont suivre le destin de celles-ci. Ils sont sur la pente de moindre résistance qui les amènera à une disparition totale. On assiste déjà à une scission entre un milieu traditionnel, mais souvent sur la défensive dans la mesure où il vit les conflits que suscite l’atteinte à la tradition, et un milieu orienté vers des formes modernistes d’existence, avec tous les aléas d’une société sous-développée et qui tend vers l’indifférence à l’égard du patrimoine traditionnel. Il est évident que c’est dans le milieu traditionnel qu’il faut chercher les textes. Il est difficile de se faire une idée de ce qui a disparu, mais c’est dans le milieu encore stabilisé par la tradition que des textes oraux sont connus et vécus.