Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Afrique noire (suite)

Peu de recherches ont été menées dans ce sens. S’il existe aujourd’hui une abondance de textes africains, on n’a pas toujours eu le souci de conserver l’originalité du style oral. D’ailleurs, on leur a demandé souvent de n’être que les témoins d’une culture ou d’une histoire. En fait, contenu et structure sont en symbiose ; ils ne peuvent être dissociés si l’on veut atteindre l’authenticité des textes.

Cette structure est un rythme. Peut-être, lorsque des études poussées auront été faites dans ce sens, pourrons-nous voir dans la structure rythmée d’un texte un trait d’authenticité orale. Un texte mal rythmé serait déséquilibré, altéré ; il ne faudrait pas confondre d’ailleurs authenticité et ancienneté, car l’actualité est un thème on ne peut plus vivant pour les textes oraux. Il est des chants de griots malinkés donnés par Sory Camara dont les sources d’inspiration sont les événements de l’indépendance.

Certains procédés de rythme sont donnés par les structures mêmes des langues africaines. Nous ne pouvons entrer dans le détail de textes bambaras, mais il est évident que des monèmes tels que , les postpositions terminales ou les signes généralement initiaux de syndèse ont éminemment une fonction démarcative. Ils tissent une trame qu’on peut assimiler à une ponctuation orale, et celle-ci est un moyen mnémotechnique de fixation. Que l’on pense également aux structures allitératives des énoncés dans la plupart des langues à classes. Les syntagmes y sont démarqués par des morphèmes d’accord. La distribution des schèmes tonals a également une fonction de rythme ; les différences de registres vont en diminuant par paliers, selon des groupements qui coïncident avec une proposition. Qu’on pense aussi au privilège accordé aux constructions par coordination sur celles qui font appel à la subordination.

La conséquence immédiate de l’existence d’un rythme à travers le texte et de la conception de celui-ci comme une osmose entre une trame et un contenu s’impose à l’écriture. Trop d’auteurs oublient que la disposition linéaire d’un texte oral détruit son rythme. Il faut écrire des textes oraux africains comme des poèmes de Claudel. Ce sont des signes démarcatifs qui indiquent que la ligne est terminée ; aller à la ligne revient à marquer une ponctuation. Cela est vrai aussi bien des textes courts, comme les proverbes, que des textes longs, comme les contes et les légendes historiques.


Les textes africains : style oral

Les textes africains de style oral sont vécus. La « littérature traditionnelle » africaine est lue. Celle-ci veut être l’image de celle-là, mais, alors, on réalise pour le moins une équivoque. L’entreprise est pourtant valable, à condition de bien voir que de l’une à l’autre se réalise le passage de l’oralité à l’écriture et qu’on a affaire à un changement tel que nous n’hésitons pas à y voir un changement de nature plus que de qualité.

On passe d’une technique de communication à une autre, d’une civilisation à une autre, dans la mesure où l’on retient le critère des techniques de communication.

Or, les textes africains, pour la plupart, nous sont connus à travers l’écrit (il faut entendre par « nous » les étrangers à l’Afrique). Un grand nombre, dont seule la traduction est donnée, est dispersé dans les revues d’ethnologie et d’éducation, et un nombre moindre l’est dans les livres. Ce n’est que récemment, sous la pression d’organismes divers comme Présence africaine, l’Unesco, des départements d’université ou d’instituts, qu’ont été élaborés des programmes visant à « sauver » les textes de style oral. Les deux collections que nous avons indiquées au début de cet article, auxquelles il faut joindre les publications belges du musée de Tervuren, traduisent certainement les efforts les plus sérieux et les plus positifs dans ce domaine. On y admet, on y recommande d’être linguiste. Il est évident, en effet, que la publication des textes oraux exige une élaboration linguistique.

L’état actuel de nos connaissances ne permet pas d’avoir une vue synoptique. Il est possible, toutefois, de signaler quelques travaux marquants. On devine la grande richesse des textes qui gravitent autour de l’histoire du Mali. On peut les rattacher à un genre épique ; un texte bien connu, malheureusement à travers sa traduction, est l’épopée malinké de Soundiata, mais on connaît l’existence d’autres épopées telles que celles des rois du Ghāna, de l’histoire de Ségou, etc.

De très beaux témoignages du genre épique sont ceux qui ont fleuri autour de la royauté sacrée de l’ancien Ruanda. On y chante les conquêtes des rois et des princes à travers des poèmes très développés, divisés en chants et qui étaient conservés à la cour comme des classiques. Des poèmes plus lyriques exaltent les exploits des héros en les plaçant sous un thème général, tel que l’arc, le bouclier. Ainsi, autour de 1910, Nyamwasa consacre un poème au bouclier du roi Musinga et à ses compagnons d’armes. Il est des textes qui donnent le code rituel de la monarchie ruandaise, les rituels de fertilité, d’intronisation, etc. Les textes proprement dynastiques sont transmis de façon rigoureuse et secrète dans un milieu restreint de détenteurs privilégiés ; ils ne nous sont connus que depuis peu grâce à M. D’Hertefelt et à A. Coupez.

On doit à Alfâ Ibrâhim Sow de connaître des chroniques historiques du Fouta-Djalon. Ce sont les textes qui sont conservés par des lettrés peuls sur des feuillets en écriture arabe (mais en langue peule) ; ils sont, toutefois, transmis par voie orale.

Les poèmes yoroubas dits ijala, auxquels S. A. Babalola a consacré un livre, nous introduisent au niveau de la mentalité, de la culture et de l’imaginaire. Ils s’insèrent dans le culte d’Ogoun. Proférés à l’occasion des fêtes solennelles, ils rappellent alors tous les événements et les symboles auxquels ils sont mythiquement associés. Toutefois, l’inspiration aux sources quotidiennes n’est pas absente, s’arrêtant aux qualités et aux travers des contemporains, aux thèmes animaliers que mythes et contes ont traditionnellement retenus pour faire passer, tout en amusant, les principes d’une morale sociale. On retrouve encore plus nettement ce souci de l’actualité dans les poèmes nzakaras édités par E. de Dampierre.