Castlereagh (Robert Stewart, vicomte) (suite)
Après la première abdication de Napoléon, c’est tout naturellement Castlereagh qui représente la Grande-Bretagne au congrès de Vienne. Maintenant que de solides garanties sont prévues pour éviter tout retour offensif des ambitions françaises, il se préoccupe de maintenir l’équilibre européen en prenant garde que, sous couvert de « convenances », d’autres puissances ne viennent pas imposer leurs prétentions territoriales ou militaires. Pour barrer la route à la Russie, jugée trop expansionniste, ainsi qu’à la Prusse, il n’hésite pas à briser la coalition et à signer avec l’Autriche et la France un traité secret, le 3 janvier 1815, dirigé contre les ambitions russes sur la Pologne et prussiennes sur la Saxe. Il faut le retour de Napoléon de l’île d’Elbe et les Cent-Jours pour ressouder la coalition entre les Alliés. Vis-à-vis de la France, Castlereagh reste partisan, après Waterloo, d’une paix sévère, mais pas trop dure.
Au cours de la période 1815-1822, il définit sa politique de la manière suivante : « Utiliser la confiance qu’inspire la Grande-Bretagne pour maintenir la paix en exerçant une influence conciliante en Europe. » La Grande-Bretagne vise en effet à la préservation du statu quo, sans révolution ni réaction. En ce sens, la Sainte-Alliance paraît à Castlereagh un mélange de « mysticisme sublime et d’idiotie », mais aussi un instrument commode d’action diplomatique pour intervenir en Europe contre tout danger de remise en cause de l’équilibre si difficilement atteint. Ce que refuse Castlereagh, c’est de transformer l’alliance en une police permanente de l’Europe. L’interprétation de Metternich, qui y voit le moyen d’étouffer dans l’œuf — par l’intervention militaire s’il le faut — toute tentative libérale, lui paraît dangereuse et à courte vue. Aussi, après le congrès d’Aix-la-Chapelle de 1818, la politique britannique, sous l’impulsion de Castlereagh, s’écarte de plus en plus de celle de ses alliés.
Par contre, ce rôle modérateur ne s’exerce pas du tout de la même manière en politique intérieure : Castlereagh combat avec acharnement l’agitation radicale de 1816-1819 et prend une part importante à la loi de répression des « Six Actes » (1819). Impopulaire, dégoûté, il tombe dans une dépression profonde qui le conduit au suicide en 1822. Les foules londoniennes, dont il était devenu la bête noire, accueillent sa mort comme celle d’un tyran et applaudissent au passage de son cercueil.
Homme d’État solitaire, subissant railleries et critiques avec une apparente indifférence, mais d’une trempe d’homme « qui ne sait ni se faire craindre ni se faire aimer » (E. Halévy), Castlereagh a été un administrateur habile et un diplomate avisé. Aristocrate éprouvant une égale horreur pour les mouvements révolutionnaires et pour les prétentions hégémoniques d’un parvenu comme Napoléon, il s’est montré assez prudent et calculateur pour préférer à la vengeance aveugle la sécurité de l’équilibre européen.
F. B.
C. K. Webster, The Foreign Policy of Castlereagh, 1812-1815 (Londres, 1925 ; 2e éd., 1934). / H. M. Hyde, The Rise of Castlereagh (Londres, 1933) ; The Strange Death of Lord Castlereagh (Londres, 1959). / J. A. R. Marriott, Castlereagh (Londres, 1936). / C. J. Bartlett, Castlereagh (Londres, 1966).
