Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Afrique (suite)

La nationalisation des terres peut avoir pour but soit la mise en valeur des terres vierges, parfois faiblement appropriées ou non appropriées, soit la lutte contre l’usure ou la mauvaise exploitation des champs, soit encore le regroupement des micro-propriétés à des fins d’exploitation plus rentables, soit enfin la prise en main par l’État des riches et immenses propriétés capitalistes. Les terres nationalisées sont transformées en « fermes d’État » (Ghāna, Tanzanie) ou laissées à des comités de gestion (Algérie).

La « coopératisation » des terres collectives ou individuelles est une autre optique. Ainsi le plan tunisien a-t-il prévu le regroupement de 600 000 ha de terres du Centre-Sud en 300 coopératives de polyculture. Cette réforme intéresse surtout les terres collectives. L’instauration des coopératives en terres collectives est évidemment facilitée par l’organisation actuelle des collectivités, dotées, en outre, de la personnalité civile et représentées par des conseils de gestion élus par les familles qui les composent. Dans une perspective différente, le gouvernement algérien s’efforce de rassembler en coopératives les 450 000 paysans pauvres possédant moins de 10 ha ; cette mesure doit affecter environ 1 500 000 ha.

Des redistributions de terres aux paysans particulièrement peu nantis sont envisagées. Par exemple, en Égypte, en quinze ans, plus de 75 000 feddāns (1 feddān = env. 0,42 ha) furent réquisitionnés, puis distribués à 120 000 familles déshéritées ; au cours du dixième anniversaire de la Révolution (1962), 160 000 feddāns furent attribués à 53 000 familles. Dans le même esprit, des limitations à la propriété sont en voie de réalisation en Algérie : le plan doit limiter les terres individualisées à 10 ha sur les terres fertiles et à 50 ha sur les hauts plateaux ; 200 000 ha seront ainsi concernés par cette réforme.

La réforme agraire ou foncière ne se contente pas seulement de regrouper les paysans en coopératives ; elle peut aussi provoquer de vastes déplacements de populations (tel est le cas, au Sénégal, de l’aménagement de la vallée du fleuve). L’exemple le plus spectaculaire concerne les 50 000 paysans nubiens, qui, chassés par la création du lac artificiel en amont du nouveau barrage, vont être transférés dans une autre région. Des travaux sont en cours dans la zone de Kom-Ombo pour la mise en valeur de près de 11 500 ha réservés à ces Nubiens évacués : 25 000 maisons groupées en 33 villages attendent cette nouvelle classe de petits propriétaires fonciers. Aucune de ces mesures, toutefois, n’est parvenue à supprimer la misère du paysan africain : elles s’avèrent un peu partout timorées, se heurtent à des obstacles socio-politiques qui en limitent la portée (exemple récent de la Tunisie), sont dépassées par le croît démographique (Égypte) ou se bornent à distribuer les terres les moins fertiles (création des bantoustans en Afrique du Sud).

• L’institution des coopératives. Le développement communautaire suppose tout d’abord l’animation rurale, puis l’existence de communes rurales regroupant les villages secondaires autour d’un village pilote (Sénégal, Mali, Guinée, Tanzanie, Ouganda). Mais ce sont surtout les coopératives, dont l’usage se généralise dans tout le continent africain, qui constituent les institutions communautaires les plus typiques. Très répandues, les coopératives de production, de commercialisation, plus rarement de consommation se sont plus spécialement généralisées en Tanzanie, au Sénégal et en Tunisie. La coopérative tunisienne apparaît avant tout comme un moyen, pour l’industrie, de dépasser ses possibilités propres et de lui rendre accessible un progrès que sa marge d’épargne et d’investissement lui interdit. Ainsi considérée, elle s’adresse d’abord aux petits et aux moyens, plus qu’aux gros exploitants. Par ailleurs, la coopérative, conçue dans un but précis de production maximale, doit rassembler, au service de l’outillage et des méthodes reconnus les meilleurs, le concours actif et solidaire de tous les adhérents. Il en résulte un programme et des méthodes de culture qui excluent toute individualisation des parcelles et du travail. En fait, on rencontre en Tunisie deux types de coopératives. Dans le nord du pays, l’exploitation reste presque entièrement collective, avec maintien de la propriété privative des apports. Elle repose essentiellement sur les grandes cultures et s’oriente vers des entreprises à caractère industriel poussé. Au contraire, le Centre-Sud voit se développer les coopératives de polyculture de vaste dimension. On y retrouve l’arboriculture en terrain sec et le parcours aménagé avec, parfois, des périmètres irrigués ; 300 coopératives de cette espèce devaient couvrir les régions les plus déshéritées du territoire tunisien. Toutefois, aux mains de fonctionnaires désignés par leur appartenance au parti au pouvoir et non par leur qualification possible, les coopératives, tout comme les secteurs autogérés, connaissent aujourd’hui des difficultés économiques graves (mauvaise gestion, endettement inconsidéré, etc.) et parfois une crise idéologique. Le passage des organisations communautaires traditionnelles aux structures collectivistes ou de la prévoyance coutumière (présent élargi) à la planification (prévision lointaine) ne s’opère pas aisément.

• La lutte contre les fléaux sociaux. Des efforts sérieux sont tentés un peu partout pour lutter contre l’analphabétisme, la maladie et le chômage. Mais ils sont encore insuffisants. Dans toute l’Afrique, le sous-prolétariat des villes s’accroît dangereusement, les chômeurs restent encore très nombreux (l’Algérie, à elle seule, compte encore 1 million de ruraux sans travail), et l’état sanitaire (la malnutrition et la sous-nutrition en sont partiellement la cause) — surtout celui des enfants, chez qui la mortalité est élevée — demeure insuffisant et précaire.

• La promotion des jeunes et des femmes. L’esprit gérontocratique et, surtout dans les pays islamisés, l’effacement de la femme constituent des obstacles au développement. Au Ghāna de Nkrumah, les jeunes étaient enrôlés dans les groupements d’éducation et de service civique : tel était le cas des Young Pioneers (la jeunesse de Nkrumah) avec ses trois sections (4-8 ans, 8-16 ans, 16-24 ans) ou de la Builders Brigade (Brigade des bâtisseurs), qui regroupait les jeunes de 16 à 24 ans engagés pour deux années de travail civique. La Côte-d’Ivoire a créé aussi un service civique pour les jeunes filles. Il est essentiellement social et non militaire : après leur formation, les recrues vont dans les villages pour parfaire l’éducation des femmes sur le plan social. Quant à la promotion de la femme proprement dite, la plupart des chefs politiques ne manquent pas de la susciter. Elle se manifeste par la création d’associations politiques ou apolitiques, la participation à des congrès internationaux, l’accès à certaines professions (sages-femmes, institutrices, secrétaires, journalistes, employées de commerce, hôtesses de l’air, assistantes sociales, syndicalistes, voire gendarmes [en Guinée] ou politiciennes [députés, ministres]), l’obtention de droits sociaux (congés de maternité, indemnités en cas de maladie, allocations de maternité), la suppression de la dot prohibitive et du mariage forcé, la limitation de la polygamie. Malgré ces mesures le sous-prolétariat des bidonvilles demeure important, les chômeurs restent nombreux (plus d’un million en Algérie), l’état sanitaire s’avère précaire, l’analphabétisme sévit toujours, les femmes, particulièrement en milieu musulman, restent souvent dans un état d’infériorité.