Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Afrique (suite)

Les réalisations proprement économiques

• L’exigence de planification. La finalité du plan est conçue différemment par les leaders africains. Mais sous la diversité de conceptions et de types d’application transparaît la même exigence : sans le plan, aucune politique efficace n’est possible, aucun contrôle de la situation n’est concevable, aucune correction des attitudes et du comportement n’est imaginable, aucune mystique du progrès ne peut s’instaurer.

Mais, souvent encore, les plans élaborés par les leaders africains ne sont pas conformes aux réalités nationales et leur actualisation provoque de multiples distorsions dues à une mauvaise programmation (plans de prestige qui risquent d’accroître l’état de dépendance économique, décalage entre les projets et les possibilités) ou à une localisation défectueuse des investissements (insuffisance des industries de transformation, rareté des investissements intensifs, excès des dépenses militaires, importation de biens, d’équipement mal adaptés).

• L’appel aux capitaux. Que l’idéologie soit capitaliste ou socialiste, aucun développement n’est possible sans l’introduction de capitaux. Sur ce point, l’Afrique (la république d’Afrique du Sud exceptée) se trouve dans une situation délicate.

La faiblesse du niveau de vie, l’absence d’une bourgeoisie nationale dynamique, l’existence d’économies avant tout axées sur la subsistance, la fréquence des conduites ostentatoires (dépenses d’apparat, thésaurisations stériles en nature ou en espèces), le manque d’esprit de prévision lié à la conception du temps cyclique et socialisé, le taux élevé des prêts usuraires consentis par les commerçants aux consommateurs, le maintien du parasitisme familial, la rareté de l’entreprise privée d’origine locale et désireuse d’investir, la modicité des ressources financières publiques, qui proviennent surtout de la douane et des impôts, suffisent à expliquer l’appel aux investissements étrangers et à l’aide financière extérieure. Cet appel suscite l’élaboration des codes d’investissement, qui, même en pays socialiste, doivent réserver aux investisseurs des bénéfices substantiels. La plupart des codes africains s’intéressent d’abord aux activités commerciales ; ils favorisent les entreprises se situant au stade le plus proche de la demande finale dans le cycle de production ; ils restent assez vagues quant aux conditions d’amortissement des investissements ; trop souvent, enfin, ils sacrifient au mythe de la grande industrie. Et dans la mesure où l’organisme prêteur exprime ses préférences, dicte ses choix, exige un contrôle, il risque de porter atteinte à la liberté d’initiative du pays qui reçoit. Malgré ces obstacles, une telle politique a porté ses fruits au Sénégal, en Côte-d’Ivoire, au Cameroun, à Madagascar, etc.

Quant à l’aide financière publique, elle soulève à son tour de grandes difficultés. On lui a reproché sa modicité (il faudrait chaque année, au tiers monde, pour accroître de 2 p. 100 son niveau de vie, entre 30 et 45 milliards de dollars ; il en reçoit le vingtième), sa sélectivité (l’Occident aide de préférence les gouvernements modérés, et le monde socialiste les gouvernements progressistes), son caractère intéressé (le pays bénéficiaire doit commercer préférentiellement avec le pays prêteur, lequel liquide ainsi ses surplus), son dirigisme (le donateur décide l’utilisation des crédits employés — aide liée — et l’assortit de conditions parfois très rigides), son orientation (70 p. 100 des sommes allouées concernent les crédits militaires ou vont grossir les dépenses d’apparat), son aspect stérilisant (prolongation de la tutelle étrangère, de l’irresponsabilité ou de l’immaturité des États, qui s’habituent à recevoir et non à construire). L’aide publique a pu, malgré tout, opérer les décollements nécessaires impliqués par l’exécution des plans de développement, en facilitant notamment l’exploitation des ressources minières et les progrès de l’industrialisation. Mais elle n’a pas toujours l’efficacité qu’on peut espérer : il arrive qu’elle soit mal employée par le pays qui reçoit ; il peut se faire qu’elle n’ait qu’un rôle de maigre compensation aux méfaits de la politique internationale des prix (détérioration des termes de l’échange). Les conséquences en sont graves : la dette extérieure de l’Afrique a plus que doublé entre 1961 et 1968. Les versements au titre du service de la dette africaine ont atteint 443 millions de dollars en 1968, contre 172 millions en 1961. Le pourcentage des versements au titre de la dette extérieure, par rapport aux exportations, a atteint, en 1968, 9 p. 100 en Éthiopie, 12,8 p. 100 au Maroc, 29,6 p. 100 au Mali et 32 p. 100 en Tunisie. L’Afrique s’appauvrit plus qu’elle ne se développe.


De quelques impératifs


Savoir s’unir

Si l’on excepte le Zaïre, l’Afrique du Sud et le Nigeria, la plupart des pays africains ne possèdent pas des espaces économiques suffisants pour favoriser un développement stable. Chaque État pris isolément ne constitue, en effet, qu’un faible partenaire économique : les quantités qu’il offre et qu’il achète sont généralement marginales, non seulement à l’échelon du marché mondial, mais même parfois au niveau du marché national d’une grande puissance. Les fluctuations de ses produits de base font de lui un partenaire instable et, en outre, le maintiennent dans une étroite dépendance avec l’extérieur : il a en effet extrêmement besoin de crédits pour amortir les violentes fluctuations de son économie ; enfin, il ne dispose généralement pas de cadres assez nombreux et assez compétents pour connaître suffisamment tous les principaux biens qui l’intéressent sur le marché mondial. N’est-il pas, par ailleurs, inutile, voire dangereux, que deux nations presque voisines comme le Dahomey et la Côte-d’Ivoire pratiquent la même politique de plantation de palmistes pour exporter l’huile de palme vers l’Europe ? N’est-il pas préjudiciable que dans un continent aussi vaste que l’Afrique, déjà fort démuni de voies de communication, les chemins de fer fonctionnent avec des écarts différents ? Et que dire de la pluralité des systèmes monétaires et douaniers ? Inversement, une action économique concertée, susceptible de revêtir plusieurs formes, offrirait sans aucun doute de grands avantages : elle affirmerait l’indépendance en organisant les échanges et en développant le sens de la solidarité entre les États ; elle permettrait d’aborder le problème essentiel de la stabilisation des matières premières non en ordre dispersé mais par harmonisation préalable ; elle faciliterait la mise en commun des ressources et l’ajustement réciproque du plan de développement ; enfin elle orienterait la politique des investissements vers les secteurs les plus productifs (plein-emploi, grande productivité du travail, rentabilité monétaire compétitive). Une Afrique unie économiquement cesserait de dépendre, quant à l’exploitation de ses ressources, des pays riches et aurait plus de poids dans la fixation des prix internationaux. Des organismes comme l’Organisation commune africaine et mauricienne (O. C. A. M.), l’East-African Community (fragile union du Kenya, de l’Ouganda et de la Tanzanie en un « Kenoutan »), les unions douanières régionales (par ex. celle qui rassemble le Ruanda, le Burundi et le Zaïre) pourraient œuvrer en ce sens et inciter l’Afrique à commercer avec l’Afrique. Toutefois les nationalismes, les tendances annexionnistes ou sécessionnistes, les intérêts financiers des pays industriels dominants constituent des obstacles difficiles à surmonter, comme l’ont souligné les événements de ces dernières années.