Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Afrique (suite)

• Le socialisme africain et le socialisme européen. La voie africaine du socialisme possède une spécificité qui la sépare du socialisme européen. Dans le mouvement ouvrier européen, le socialisme se définit comme une fin ; c’est la réalisation d’une société libre et heureuse, c’est l’épanouissement de l’homme dans l’abondance. Dans le mouvement anticolonialiste et nationaliste d’Afrique, le socialisme semble plutôt un moyen pour supprimer le sous-développement et réaliser l’industrialisation, pour retrouver les sources de la culture africaine et déterminer la renaissance de cette culture.

D’autre part, en Europe, le socialisme a été intimement lié au mouvement ouvrier, à la lutte des classes menée par les prolétaires contre la bourgeoisie. En Afrique, au contraire, il n’y a pas véritablement, au stade actuel, de capitalisme africain digne de ce nom (faiblesse de l’accumulation du capital, carence des investissements productifs, dépendance vis-à-vis de l’économie métropolitaine). D’autre part, la classe ouvrière africaine, encore embryonnaire, n’est pas la plus délaissée. Et dans la mesure où ils constituent sinon une classe, tout au moins une couche sociale, ce sont plutôt les fonctionnaires salariés qui paraissent les plus favorisés, surtout si on les compare aux paysans. Sans doute y a-t-il, dans certains pays africains, une bourgeoisie (commerçante, rurale ou administrative) en formation. Mais de toute manière l’antagonisme essentiel demeure encore d’ordre national : il oppose la très grande majorité du peuple africain au capitalisme étranger, dont le concours demeure par ailleurs souvent nécessaire pour industrialiser le pays.

On trouvera une troisième distinction si l’on considère les rapports entre le socialisme et la religion. En Europe, l’idéologie socialiste a souvent combattu la religion et les Églises, accusées par elle de défendre les privilèges de la noblesse et de la bourgeoisie. Aussi les communistes et un certain nombre de sociaux-démocrates ont-ils prêché le matérialisme, l’athéisme et l’anticléricalisme. En Afrique, le retour aux sources traditionnelles a permis de comprendre la profondeur de l’expérience religieuse de l’homme. C’est pourquoi les adeptes du socialisme africain, s’ils ont parfois critiqué les pratiques de certains marabouts, de certains prêtres et de certains pasteurs, n’ont jamais en revanche mis sérieusement en question le fondement des croyances religieuses ; d’ailleurs, sous l’ère coloniale, les religions et singulièrement l’islām ont été souvent des foyers de résistance nationale à la domination étrangère.

Une quatrième divergence entre le socialisme africain et le socialisme européen réside dans le fait que, en Europe, la marche vers le socialisme débute par la nationalisation et se poursuit par la socialisation de la grande industrie, alors qu’en Afrique la grande industrie demeure pratiquement inexistante (si l’on excepte la république d’Afrique du Sud, l’Algérie, la Zambie, le Shaba (anc. Katanga) au Zaïre. Cette divergence explique la fréquente attraction des expériences chinoise ou cubaine.

Enfin, la dernière différence résulte précisément de la prédominance de l’agriculture et de la possibilité, grâce à l’esprit communautaire ancré dans les populations africaines, de modifier radicalement les structures agricoles en mettant fin à l’exploitation des masses paysannes par les usuriers et les sociétés de commerce, en développant la coopération et les offices de commercialisation, et ce, avant d’entreprendre les réformes de structure dans le secteur industriel.

• Les difficultés du socialisme africain. Malgré les réalisations qu’il a pu opérer, le socialisme africain présente quelque infirmité.

Son caractère symbiotique, voire syncrétique, ne lui confère pas toujours l’allure d’une création suffisamment charpentée. Il est fait de trop d’empirismes, il comporte trop de juxtapositions. Peut-il en être autrement ? Une Afrique avant-hier tribalisée, hier découpée arbitrairement lors du partage colonial, qui tente aujourd’hui de s’organiser en nations encore fragiles, pouvait-elle élaborer une idéologie unitaire et harmonieusement structurée ?

Son absence d’unanimité ne permet pas, en outre, au socialisme d’être l’idéologie de toute l’Afrique. Non seulement il existe des États qui refusent le socialisme (Côte-d’Ivoire, Afrique du Sud, Gabon, etc.), mais encore la diversité s’installe au cœur même du système, puisque l’on rencontre un socialisme spiritualiste, réformiste et humaniste et un socialisme scientifique (ou révolutionnaire) à tendance matérialiste, avec de nombreuses attitudes intermédiaires. Certains leaders pensent même que le socialisme ne peut être qu’une étape transitoire inséparable du combat anticolonialiste.

Son manque de pénétration des masses est évident : malgré les apparences, les partis africains sont plutôt des partis de cadres que des partis de masses. Aux yeux de nombreux leaders révolutionnaires, le socialisme africain n’est qu’un « réformisme petit-bourgeois » savamment orchestré par les monopoles néo-colonialistes.


La politique réformiste

Malgré leurs divergences idéologiques, les pays africains nouvellement indépendants ont actualisé un certain nombre de mesures concrètes, tantôt socio-économiques, tantôt proprement économiques, pour sortir du sous-développement.


Les réalisations socio-économiques

• La réorganisation des structures. La première tâche des gouvernements africains consiste à liquider, dans une certaine mesure, les structures politiques, administratives et économiques instaurées sous la tutelle coloniale, parfois inadaptées à la réalité locale et souvent onéreuses pour les budgets des nations sous-développées et nouvellement indépendantes. En réalité, cette réforme n’est pas uniquement négative ; elle suppose encore la création d’organisations nouvelles, selon la double exigence de l’esprit traditionnel africain et de la modernité. Le Sénégal, le Mali, le Ghāna, l’Égypte, le Maroc, la Tunisie et l’Algérie ont souvent, sur ce point, fait œuvre d’efficacité : banques de développement, offices de commercialisation, centres d’expansion rurale, centres régionaux de développement, coopératives, services pionniers, etc. Ainsi, dans les pays résolument collectivistes, a-t-on pratiqué une politique de nationalisation, au moins partielle, des secteurs clés : banques en Tanzanie ; sociétés pétrolières en Algérie et en Libye ; mines au Zaïre et en Tanzanie ; organismes commerciaux en Guinée ; biens étrangers en Égypte, en Algérie, au Kenya ; radio, postes, chemins de fer, compagnies d’assurances en Tanzanie, etc. Il faut signaler cependant le manque d’originalité qui caractérise parfois ces réformes (transposition de modèle européen), l’absence fréquente de cadres valables et la pléthore des fonctionnaires mobilisés par le parti dominant, qui en sclérosent souvent le fonctionnement, une mise en place hâtive des structures suscitant des retours en arrière (dénationalisation en Guinée et au Kenya) ou des brusques coups de frein (Tunisie).

• Les réformes agraires et foncières. Les réformes agraires et foncières épousent des modalités différentes.