Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Afrique (suite)

La voie africaine du socialisme

Le socialisme africain apparaît comme une idéologie symbiotique nouvelle, où les valeurs traditionnelles (arabité, négritude*) coexistent avec les normes de l’islām ou du christianisme et certaines idées-forces du marxisme-léninisme.

• L’attrait du socialisme. Les raisons de l’attrait que l’idéologie socialiste exerce sur les Africains sont faciles à déceler. Il est possible de les ramener à cinq :
— la fascination exercée par les pays socialistes qui ont réalisé de grands et rapides progrès techniques et sociaux et ont réagi contre le colonialisme de type capitaliste ;
— le souci de la justice sociale à l’intérieur de la nation et de l’égalité entre États, quels que soient leurs poids économiques respectifs (il s’agit d’élaborer une doctrine qui condamne catégoriquement l’exploitation de l’homme par l’homme et fournisse une explication de la division du monde en économies dominées et économies dominantes) ;
— la permanence de l’esprit communautaire sur le double plan de la production et de la consommation (sociétés de travail ; place de choix dévolue à la famille élargie) : cette attitude qui s’oppose à l’individualisme concurrentiel de l’Occident industriel facilite l’accès à une nouvelle civilisation de la solidarité ;
— l’insuffisance des capitaux, qui interdit tout développement capitaliste autonome, et l’absence d’une bourgeoisie nationale capable de supprimer le sous-développement ; ces facteurs inclinent les responsables politiques à voir dans l’État l’agent essentiel de la planification ;
— la nécessité, enfin, de concevoir une idéologie susceptible de mobiliser les masses, pour réaliser le renouveau économique et permettre le consensus indispensable à la création de la nation.

• Les traits fondamentaux de l’idéologie socialiste. L’idéologie socialiste africaine est d’abord une problématique qui repose sur une philosophie traditionnelle, communautaire et dynamique, une explication de l’univers selon laquelle l’être n’est pas individué, n’est pas une réalité irréductible mais « constitue l’élément d’un ensemble dans lequel il s’inscrit et qui lui donne sa force et sa vie » (D. Thiam).

C’est ensuite un humanisme intégral, dont le but est l’homme dans sa vie matérielle, spirituelle, culturelle : « Une seule visée, bâtir un cadre humanisé plus fécond, afin qu’il se réalise toujours davantage dans toute sa plénitude. Chaque homme, chaque femme, revêtu du pouvoir de la liberté, doit se sentir engagé sans réserve dans la voie qui conduit à cette grandiose entreprise de réhabilitation d’un monde, d’un homme, de l’homme. » (S. Badian.) L’essence du socialisme réside avant tout dans sa dialectique de désaliénation et de promotion.

C’est encore une praxis née de l’action et qui doit y conduire. À ce titre, elle implique trois exigences : d’abord un inventaire de la civilisation traditionnelle, des modifications apportées par l’impact colonial (sans oublier la saisie des possibilités technoéconomiques du pays), des moyens et des aspirations des populations ; puis une définition précise des fins, des buts à atteindre, d’où la planification par l’État ou la rationalisation scientifique des programmes, rendues nécessaires par l’absence d’entrepreneurs, le manque d’infrastructures économiques et sociales, la limitation des ressources financières, le souci impérieux de contrôler le commerce ; enfin, une délimitation des objectifs immédiats, médiations indispensables pour l’établissement d’une société socialiste. Citons plus spécialement : l’éveil des populations (tel est le rôle imparti à l’animation et à l’investissement humain) et la genèse populaire des moyens de développement (d’où les phénomènes de restructuration et de régionalisation du plan). Ainsi, le socialisme est peut-être une fin ; il est plus encore un moyen.

Le socialisme, c’est encore une mystique populaire conçue pour le peuple et, en principe, par le peuple, par le truchement du parti dominant ou unique. Il s’agit, en fait, de provoquer l’organisation et la formation révolutionnaire des travailleurs, condition de l’efficacité économique. Or, le meilleur moyen de saisir le peuple, de soulever son enthousiasme et de maintenir son effort est de susciter une mystique du développement.

C’est enfin une construction originale qui, tout en refusant d’être à la remorque du socialisme européen ou asiatique, ne manque pas de tenir compte des expériences étrangères et des valeurs qui les inspirent. Ainsi se trouvent parfois curieusement rapprochés, à côté des exigences chrétiennes et islamiques, le marxisme, le titisme, le travaillisme britannique, l’inspiration israélienne, le courant éthique des socialistes français, l’attitude réformiste et même le teilhardisme. Il n’en faut pas plus pour se persuader que, du moins théoriquement (la réalité est souvent autre), le socialisme africain répond aux diverses caractéristiques d’une idéologie pragmatique et mystique, au point de rencontre des élites et de la masse, condition essentielle d’une politique efficace de développement.

Toutefois, il faut parler du socialisme africain au pluriel. On peut schématiquement y déceler : des tendances collectivistes avec planification généralisée et autoritaire, puis recours à l’épargne forcée, à l’investissement humain obligatoire (Guinée, Algérie, Tanzanie, Égypte, Mali) ; des tendances communautaires plus souples, plus libérales, moins liées aux thèmes marxistes (Sénégal, Kenya, Tunisie) ; des tendances mixtes où la croyance en la rentabilité de l’investissement capitaliste va de pair avec un socialisme agricole de type coopératif et une mobilisation des masses (Sierra Leone, Cameroun, Maroc, Nigeria). Encore, ne s’agit-il là que des catégories prévalentes négligeant la multiplicité des transitions, et il ne faudrait pas oublier les thèmes communs à ces diverses attitudes.