Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Afghānistān (suite)

L’islamisation

En peu de temps les Arabes, ayant vaincu les Sassanides (651), s’emparent des principaux centres de l’Afghānistān. Il apparaît pourtant que ces succès militaires n’entraînent pas une islamisation rapide (qui ne sera jamais doublée d’arabisation). Les armées musulmanes ont d’ailleurs fort à faire, au cœur de l’Asie, si loin de leurs bases de départ. Elles se heurtent non seulement aux résistances locales, mais encore aux pressions des nomades turcs et des sédentaires chinois. Au nord et au sud de l’Hindū Kūch, pendant un siècle environ (659-751), seize principautés reconnaîtront l’autorité, il est vrai plus nominale que réelle, de l’empereur de Chine ; et c’est seulement à la fin du ixe s. que la religion islamique triomphera dans l’antique Kāpiśa, au sud de l’Hindū Kūch. Ailleurs, le rôle de la dynastie iranienne des Sāmānides, originaire de Sāmān, près de Balkh, mais dont le centre demeure la Sogdiane, est prépondérant. Momentanément même, sous Naṣr II ibn Aḥmad (913-942), l’Afghānistān se trouve presque unifié sous une même couronne. Ce sont néanmoins années d’exception. Jusqu’à l’époque mongole, plusieurs petites principautés sauront maintenir leur indépendance et les grandes puissances ne feront jamais la totale unité du pays.


Rhaznévides et Rhūrides

Suivant l’exemple donné par la cour suprême des ‘Abbāssides, les Sāmānides forment l’essentiel de leur armée avec des mercenaires turcs, qui deviennent souvent gouverneurs de provinces : l’élément ethnique turc, peu à peu, s’introduit en Afghānistān. En 962, un mercenaire turc, Alp Tigin (ou Alp-Tegīn), ancien commandant de la garde royale sāmānide, se rend indépendant dans la région de Rhaznī. Ses successeurs, Subuk-Tegīn et Maḥmūd (999-1030), sont les chefs reconnus d’une dynastie rapidement puissante, celle des Rhaznévides* (ou Ghaznévides). Sous le règne de Maḥmūd en particulier, les Turcs étendent leur domination à la fois en direction de l’Iran, jusqu’à Ispahan, et en direction de l’Inde, où ils ne lancent pas moins de dix-sept expéditions. De Rhaznī, ils font un centre culturel remarquable, où brillent artistes et écrivains : parmi eux, Firdūsī, le poète national de l’Iran, l’auteur du Livre des Rois (Chāh-nāmè).

En Iran même, les Rhaznévides se heurtent à une autre puissance turque, les Grands Seldjoukides. Sous le règne de Bahrām (1118-1157), ils sont obligés de reconnaître leur suzeraineté. Par la suite les princes afghans de Rhūr, les Rhūrides (ou Ghūrides), deviennent de plus en plus puissants et, après de longs combats, finissent par supplanter les Rhaznévides. Ils se posent comme leurs héritiers et reprennent, avec plus de ténacité encore, leur œuvre d’expansion en Inde : après avoir capturé Delhi (1193), leurs mercenaires (leurs « esclaves ») fonderont la première dynastie musulmane en Inde, celle des Mamelouks ou Esclaves (1206-1290). Jusqu’au xvie s., Afghans et Turcs afghanisés se succéderont à la tête des monarchies indo-musulmanes.


La ruine de l’Afghānistān

Sāmānides, Rhaznévides et Rhūrides ont redonné à l’Afghānistān islamisé la place qu’il tenait à l’époque où il était bouddhique. Tout est remis en question par l’invasion des Mongols de Gengis* khān. Si partout où il est passé Gengis khān a accumulé les ruines, nulle part il ne semble avoir manifesté plus d’acharnement qu’en Afghānistān. Envahissant le pays au printemps de 1221, il rase Bactres (Balkh), Bāmiyān, Rhaznī, Harāt, bien d’autres villes encore, détruisant les bâtiments jusqu’à leurs fondations, exterminant parfois toute vie, y compris celle des chiens et des chats. Quand il meurt, la majeure partie des provinces afghanes sont incluses dans l’apanage (khānat) de Čaghatay (Djaghataï) ; seule Harāt conserve jusqu’en 1380 une certaine autonomie sous les descendants des Rhūrides, les Karts.

L’Afghānistān n’est pas encore relevé de ses ruines quand un nouveau cataclysme, presque aussi violent que le premier, s’abat sur lui. Dans le khānat de Čaghatay, les princes se disputent l’hégémonie. L’un d’eux, Tīmūr Lang* (Tamerlan), prétendant reconstituer l’empire universel de Gengis khān, se couronne à Balkh en 1370. En 1380, il tourne ses armes contre l’Afghānistān et le soumet. C’est à lui qu’est due, entre autres, la destruction définitive du riche système d’irrigation du Sīstān (1383).


La renaissance tīmūride

Tīmūr meurt en 1405. Un de ses petits-fils hérite de l’Afghānistān oriental qui se referme sur lui-même. Son quatrième fils, Chāh Rukh (1405-1447), s’installe à Harāt et procure à son royaume quarante années de paix bénéfique. Sous lui et sous Uluǧ Beg (1447-1449), le grand astronome, commence ce qu’on a si bien nommé la Renaissance tīmūride. Elle s’épanouit, après le règne d’Abū Sa‘īd, sur le territoire très rétréci, mais prospère, de Harāt, lors du règne de Ḥusayn Bāyqarā (1469-1506), prince, lui-même fin lettré, dont le ministre, Mīr ‘Alī Chīr Navā’ī (1441-1501), est le premier grand poète de la littérature turque čaghatay. À Harāt, des poètes comme Djāmī, des historiens comme Mīrkhwānd et Khwāndamīr, des peintres tels que Bihzād illustrent la Renaissance tīmūride.


L’Afghānistān entre Inde et Iran

Le rêve de monarchie universelle renaît avec un descendant de Tīmūr Lang, Bābur (ou Bāber), qui, après diverses aventures, s’installe à Kaboul en 1504 et tourne dès lors son dynamisme conquérant en direction de l’Inde. Delhi prise en 1526, Bābur fonde l’empire des Indes, dit, bien qu’il soit turc, empire des Grands Moghols*. Si, en Inde même, l’Afghan Chīr Chāh Sūr oblige le fils de Bābur, Humāyūn, à se replier momentanément sur Kaboul, avec Akbar et ses successeurs, les Grands Moghols deviennent essentiellement des princes indiens qui considèrent l’Afghānistān comme une province lointaine et souvent insoumise. Kaboul reste en leur possession pendant deux siècles, mais Harāt et le Sīstān passent sous la souveraineté de l’Iran et la région de Kandahar forme la mouvante frontière irano-afghane. Quant au nord de l’Hindū Kūch, il appartient à une dynastie quasi indépendante.