Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Afghānistān (suite)

L’évolution historique


Un carrefour des civilisations

Placé au cœur de l’Asie, autour du massif de l’Hindū Kūch, l’Afghānistān est le lieu de rencontre des nomades de la steppe, Scythes, Huns, Turcs, Mongols, et des trois grandes civilisations sédentaires d’Iran, d’Inde et de Chine. Les voies intercontinentales aboutissent au pied de ses cols et dans ses gorges, passages difficiles, découverts très tôt cependant par les hommes, soucieux d’échanger leurs idéologies, leurs marchandises et leurs techniques. De toutes ces voies, la plus connue, qui passe à travers les régions septentrionales du pays, la Bactriane, porte le nom prestigieux de « route de la soie » et évoque l’antique commerce sino-romain. Mais il en est d’autres qu’inlassablement, au cours des siècles, emprunteront cohortes armées, missionnaires, commerçants venus soit des pays voisins, soit de terres très lointaines, du nord de la Mongolie, de l’Arabie ou de la Grèce.

Recevant très largement de l’extérieur, l’Afghānistān ne se contente pas d’être un réceptacle. Il est aussi un creuset et donne peut-être autant qu’il reçoit. Ainsi joue-t-il un rôle important dans la diffusion du bouddhisme vers l’est, et, plus décisif encore, dans celle de l’islām en Inde.

Étudiée depuis peu d’années, son histoire est encore mal connue et elle est difficile à déchiffrer. Elle n’est pas seulement celle d’une nation lentement formée. Elle dépend souvent de celle des vastes empires que les Afghans ont créés ou qui les ont englobés. Cela ne veut pas dire que les Afghans, organisés selon des structures tribales, n’aient pas conscience de former une communauté. Il semble bien, au contraire, qu’ils n’aient jamais cessé de cultiver un patriotisme ardent fondé sur un sens ethnique et linguistique aigu, et sur le faisceau de très antiques traditions soigneusement conservées.


La préhistoire

Il y a lieu de penser que ce qui caractérisera l’Afghānistān historique caractérise déjà l’Afghānistān préhistorique, mais nos connaissances sont encore trop rudimentaires pour que nous puissions voir avec précision son double rôle d’échangeur et de catalyseur. Le seul site qui ait été fouillé jusqu’au sol vierge, Mundigak (mission archéologique française), a permis de déceler sept niveaux successifs s’échelonnant de la fin du IVe millénaire jusqu’aux alentours de l’an 500 av. J.-C. Il est impossible de préciser à quel moment des IIe et Ier millénaires les tribus iraniennes occupèrent le pays au cours des grandes migrations aryennes venues de l’ouest, et en marche vers l’Inde. On a avancé, à titre d’hypothèse, des dates comprises entre 1500 et 800.


La domination achéménide

À l’époque achéménide, l’Afghānistān entre dans l’histoire en tant que province de l’empire des Grands Rois. Sans doute soumis intégralement par Cyrus (v. 556-530 av. J.-C.), qui étend sa domination jusqu’au Gāndhāra, pays largement à cheval sur l’actuelle frontière pakistano-afghane et comprenant le Kāpiśa (région de Kaboul), il est organisé et divisé en cinq satrapies par Darios Ier (522-486). Bien que ses habitants fournissent d’importants contingents aux troupes achéménides et soient engagés dans les batailles des Thermopyles et de Platées, il jouit pendant deux siècles de la Pax iranica. Il en profite pour participer au grand essor civilisateur de l’Iran et pour se laisser imprégner par la réforme religieuse zoroastrienne. (V. achéménides.)


L’hellénisme

La destruction de l’empire achéménide à la bataille de Gaugamèles (331) livre l’Afghānistān à Alexandre le Grand qui laisse subsister ses structures sociales et politiques. Plus que partout ailleurs va se réaliser sur son sol la lente et puissante symbiose de la Grèce, de l’Iran et de l’Inde. À la mort du conquérant macédonien, les satrapies iraniennes deviennent l’enjeu des luttes intestines de ses successeurs.

Séleucos Ier Nikatôr (312-280), satrape de Babylonie et fondateur de la maison séleucide, domine cependant cette époque. Les Séleucides sont sur le point de maîtriser Iran et Sind quand ils se heurtent à Chandragupta, fondateur de la dynastie indienne des Maurya, et sont contraints de lui abandonner les régions orientales de l’Afghānistān. À ces territoires nouvellement acquis, les Maurya portent un vif intérêt. Aśoka* met son zèle ardent pour le bouddhisme au service de la propagation de cette religion vers le centre de l’Asie. Mais l’empire maurya est destiné à une vie éphémère. L’hellénisme prend sa revanche avec le royaume gréco-afghan de Bactriane, indépendant vers 250, bientôt prépondérant dans tout l’Afghānistān, avant même que d’étendre sa domination sur l’Inde occidentale.


L’Afghānistān bouddhique

À la fin du iie s. av. J.-C., de nouvelles invasions iraniennes, similaires à celles de la préhistoire, déferlent sur l’Afghānistān. Les envahisseurs appartiennent aux Śakas (Scythes) et surtout aux Yuezhi (Yue-tche). À la tête de ces derniers se trouve la tribu kuṣāna, dont la monarchie atteint son apogée sous Kujula (en gr. Kadphisês), au ier s. apr. J.-C., et sous Kaniṣka, au iie s. On ne sait pas exactement à quelle époque le bouddhisme réalise ses progrès décisifs. Il semble que Bāmiyān soit fondé dès le ier s. de notre ère comme gîte d’étape ; le lieu restera, du moins jusqu’au viie s., le fief du bouddhisme hīnayāna et un relais pour sa propagation vers l’Extrême-Orient. Sous le règne de Kaniṣka, souverain éclectique et tolérant, le culte du feu est encore pratiqué (autel de Surkh Kotal), la tradition grecque est florissante, le jaïnisme éveille des sympathies, mais les monnaies sont frappées à l’effigie du Bouddha.

L’empire iranien, reconstitué par les Sassanides*, fait un retour offensif dès le iiie s., atteint Harāt plus tard, s’étend progressivement à tout ce qui fut jadis terres des Achéménides. Cela n’arrête pas les invasions. Peu après 350, de nouvelles tribus Yuezhi, restées en Kachgarie, fuient devant la pression turco-mongole et s’installent en Bactriane. Les Turco-Mongols eux-mêmes, sous le nom de Huns* Hephthalites, ou Huns Blancs, vers la même époque, submergent le pays et y font régner insécurité et peut-être oppression, avant de disparaître sous les coups de leurs adversaires au milieu du vie s. L’occupation des Huns freinera sans doute l’épanouissement de la civilisation gréco-bouddhique, peu à peu transformée en civilisation irano-bouddhique, mais ne la détruira pas.