Bruno (Giordano) (suite)
L’œuvre de Bruno, par sa diversité, par l’audace aussi de son intuition fondamentale, est à l’image de sa vie. Cette intuition fondamentale découle de la Révolution des orbes célestes, livre de Copernic* dont il s’est attaché à développer les conséquences métaphysiques, ce qui le conduira (inaugurant la cosmologie moderne) à l’affirmation de l’infinité de l’espace, à la négation du caractère central non seulement de la Terre, mais de quelque planète ou étoile que ce soit, à la croyance dans l’existence d’autres mondes, innombrables et tous (comme le nôtre) en mouvement. L’univers est donc, bien que créé, infini, mais Bruno s’efforce de montrer que l’infinité extensive de la création (le monde) n’est pas une atteinte à celle, intensive, du Créateur (Dieu). « Qu’est-ce qui s’oppose, demande-t-il, à ce que l’infini, impliqué dans l’absolument simple et indivisible premier principe, n’en vienne pas à être explicité dans ce simulacre infini et interminé, apte à contenir des mondes innombrables, plutôt que de s’expliciter dans des limites aussi étroites que celles d’un monde ? »
Parallèlement, il élabore une critique de la connaissance sensible opposée à la connaissance scientifique et philosophique, critique qu’il faut également rattacher à la naissance de l’astronomie comme science d’observation qui ne se contente plus de percevoir les phénomènes, mais recourt à des instruments et à des mesures (ainsi, de ce que l’on ne se sent pas bouger l’on ne peut conclure que la terre est immobile). D’autre part, le caractère infini du monde ne peut être l’objet d’une perception, ni même d’une observation, mais doit nécessairement être conçu.
C’est dans l’œuvre de Bruno que la nouvelle cosmologie s’est chargée de conséquences ontologiques dans lesquelles l’Église, qui n’y avait pas encore pris garde, a vu une menace. Aussi A. Koyré est-il fondé à lui attribuer la responsabilité (posthume) de la condamnation de la doctrine de Copernic par l’Église en 1616. Mais ces vues, qui font de Bruno un précurseur de Galilée, s’accompagnent en même temps de conceptions beaucoup plus éloignées de la naissante science moderne : il ne voit pas en particulier le rôle capital que les mathématiques sont appelées à y jouer, et sa cosmologie reste d’inspiration magique et vitaliste, comme celle du Moyen Âge (les planètes sont encore pour lui des êtres animés qui se meuvent au gré de leurs désirs, etc.).
D. H.
V. Salvestrini, Bibliografia delle opere di Giordano Bruno (Pise, 1926 ; 2e éd., revue par L. Firpo, Florence, 1958). / A. Koyré, From the Closed World to the Infinite Univers (Baltimore, 1957 ; trad. fr. Du monde clos à l’univers infini, P. U. F., 1962). / A. Guzzo, Giordano Bruno (Turin, 1960). / P. H. Michel, la Cosmologie de Giordano Bruno (Hermann, 1962). / F. A. Yates, Giordano Bruno and the Hermetic Tradition (Londres, 1964). / E. Namer, Giordano Bruno (Seghers, 1966). / H. Védrine, la Conception de la nature chez Giordano Bruno (Vrin, 1968). / M. West, l’Hérétique (Perrin, 1970).