Brunelleschi (Filippo) (suite)
Dans les ruines romaines, l’architecte avait retrouvé la valeur « humaine » de la colonne ; avec la légèreté de main d’un orfèvre, il devait lui donner la grâce, qui souvent manque aux exemplaires antiques. Pour saisir la portée d’une telle découverte, il suffit de comparer le portique de l’hospice des Enfants trouvés (Innocenti), commencé en 1420, à la Loggia dei Lanzi, élevée quarante ans plus tôt. Dans les deux cas, l’arcade est en plein cintre, mais elle repose désormais sur une colonne, et non plus sur un faisceau de colonnettes. Un tracé modulaire a remplacé la composition géométrique ; aux motifs divers a fait place une modénature accusant les lignes maîtresses, soulignant les fenêtres d’un fronton et distribuant la couleur en des points choisis de façon limitative : les médaillons d’Andrea Della* Robbia.
La colonne ne peut supporter qu’un mur léger ; de ce lait les églises de Brunelleschi (San Lorenzo, à partir de 1420 ; Santo Spirito, projeté en 1436) vont-elles marquer un retour au plan basilical, reprendre même l’artifice ravennate du dé à la retombée des arcs. Cet artifice ajoute du reste un élément de plus à l’horizontalité cherchée des lignes, corniches ou bandeaux accentuant encore le cloisonnement des volumes, caractérisé par le morcellement des murs, par les petites coupoles des bas-côtés, par celle, côtelée, de la croisée. Tout cela, comme la polychromie limitée à une opposition entre les lignes de force et les panneaux, évoque curieusement l’architecture ottomane.
Ces deux églises n’ont pas de façade composée. La seule réalisée par Brunelleschi l’a été pour la chapelle des Pazzi, construite de 1429 à 1446 au flanc de l’église Santa Croce. Cette façade comprend une arcade centrale, encadrée par deux travées de colonnes, et un attique que des pilastres géminés et une corniche plate quadrillent d’une ombre légère. Une coupole côtelée sur pendentifs, d’un diamètre de 10 mètres, détermine les proportions de ce gracieux édifice. Deux berceaux, qui la butent transversalement, en font une salle de plan rectangulaire ; en arrière, une coupole de 5 mètres couvre un sanctuaire carré et répond à celle qui est placée en façade, encadrée de deux berceaux pour former le porche. La corniche continue qui, à l’intérieur, repose sur des pilastres participe avec l’éclairage, judicieusement réparti entre des fenêtres basses et les oculus de la coupole, à l’équilibre des masses construites.
La coupole de la cathédrale avait apporté la gloire à Brunelleschi ; dans les dix dernières années de sa vie, les commandes affluèrent : des palais, des églises furent exécutés par des élèves sous sa direction ; on l’appela à Mantoue pour régulariser le cours du Pô, à Milan et à Pise pour y élever des forteresses. C’était là besognes d’ingénieur, peut-être ; mais Brunelleschi était de ceux qui savent mener la technique de front avec l’art, sans en subir le joug. En un lieu et dans un temps particulièrement favorables, cela lui a permis de jeter les bases d’un nouvel idéal, d’une architecture qui devait fleurir cinq siècles durant. Sa manière, empreinte de délicatesse et de fraîcheur, ne pouvait sans doute éclore qu’en Toscane ; cependant, à l’heure même où Brunelleschi créait des décors abstraits puisés à la source romaine et enrichis de tout un apport humaniste, on continuait encore à orner d’une flore et d’une faune naturalistes les piédroits du baptistère. Comment alors dénier à Brunelleschi un rôle d’initiateur ?
Ses élèves, eux aussi, portent témoignage du caractère personnel et original d’une œuvre dont ils ont contribué à assurer le succès. Citons seulement Michelozzo (1396-1472), qui mit au point, par des variantes, toute une grammaire décorative ; et Alberti*, qui formulera les règles de composition intuitivement perçues par son maître.
H. P.
E. Carli, Brunelleschi (Milan, 1949 ; trad. fr., Hatier, 1949). / G. C. Argan, Brunelleschi (Milan, 1955). / E. Luporini, Brunelleschi, forma e ragione (Milan, 1964).