Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

Browning (Robert) (suite)

Le monologue

De 1837 à 1846, Browning s’essaye à écrire pour la scène. Ce ne fut qu’une suite d’échecs. Il n’arrivait pas à concilier l’analyse des motivations de l’homme, qui lui était chère, et les exigences de l’intrigue et de l’action. L’expérience ne fut cependant pas négative. Elle eut le mérite de lui faire découvrir sans doute sa vocation pour le monologue dramatique versifié. Ce genre littéraire correspondait à une forme d’esprit d’actualité. La nouvelle génération victorienne, éprise de rigueur scientifique — malgré un romantisme latent qui ne veut pas mourir —, se tourne vers le concret. Elle est attirée par l’étude réfléchie et minutieuse de l’homme intérieur. Browning n’est ni le seul ni le premier à avoir utilisé le monologue à de telles fins, mais il se trouva vite sans égal dans ce domaine. Libéré du théâtre et de ses contingences, qui lui confèrent une allure artificielle, le monologue dramatique en vers s’épanouit et gagne en souplesse. En même temps qu’il s’organise autour d’un thème, il cède souvent la place à des digressions, puis rebondit grâce à un interlocuteur invisible. Peu à peu on voit se déterminer une époque, un lieu et apparaître par le jeu de l’évocation une foule de personnages rendus d’une façon si vivante qu’on a pu souvent, en ce domaine, rapprocher le nom de Browning et celui de Shakespeare. De plus, le vers, par les audaces de style qu’il autorise, ouvre un champ d’action infini à l’analyse. Il permet de saisir toutes les nuances de la réflexion et s’offre à tous les développements sans que l’intérêt diminue ou que l’attention s’épuise. Ainsi, le héros peut faire défiler devant nous le flux de ses pensées et dévoiler son âme. Le poète n’a pas d’autre dessein. Il n’a pas voulu « repousser la réalité, repeupler la terre avec des formes disparues ». Son but, le plus important à ses yeux et bien plus que l’incidence circonstancielle, c’est l’âme humaine.


« L’évolution d’une âme ; hors de là peu de choses valent la peine d’être étudiées. »

Dans cette âme, le Mal et le Bien s’affrontent. C’est le combat éternel de l’humanité. Avec l’attention d’un psychologue passionné, Browning va se pencher sur toutes les manifestations de cet affrontement. La seule attitude qui convienne est une attitude lucide. Tout ne va pas pour le mieux dans le monde. Browning en demeure persuadé. Ce n’est pas sans raison qu’il écrit Cleon (1855) et An Epistle of Karshish, où il pose la question de l’espérance et de la foi. Le Mal ne peut être ignoré. Mais il n’a pas de réalité en soi. Il se présente sur un plan métaphysique. Le Mal démontre par antithèse la présence du Bien. Comme beaucoup de ses contemporains, Browning a une foi inébranlable dans les possibilités humaines. Souffrances et épreuves ne sont suscitées par Dieu que pour augmenter la force de la tension vers l’objectif à atteindre. Et d’ailleurs, « [...] cette terre n’est pas le but, mais le point de départ pour l’homme ». La marche en avant, si elle apparaît donc facteur indispensable de progrès, peut n’être pas immédiatement récompensée. Toutefois, et toujours, il reste l’espérance. Espérance dans The Ring and the Book. Espérance encore dans Fifine at the Fair (1872). Tous, le comte Guido et Don Juan, peuvent être sauvés. Même caché sous une épaisse gangue de boue, l’idéal existe. Peut-être auront-ils en un éclair la vision de la vérité. L’optimisme de Browning n’est donc pas un optimisme béat. Ce n’est pas, en tout cas, celui un peu simpliste qu’on lui avait hâtivement attribué en faisant référence au fameux « All’s right with the world » de Pippa Passes.

Browning annonce le grand mouvement de dislocation et de régénération du roman qui commencera au début du siècle. Après lui, Henry James pourra orienter avec succès l’œuvre romanesque vers la psychologie. L’écrivain cherchera de plus en plus à s’effacer devant ses personnages. On va voir abandonner toujours davantage les structures logiques et conventionnelles dans l’expression des sentiments et dans la vision du monde environnant pour laisser défiler le moi intérieur (Virginia Woolf). Ce processus trouvera son développement extrême avec l’Ulysse de James Joyce. Il n’est jusqu’à la scène pour bénéficier de l’exemple de l’art de Browning, car le monologue lui reviendra rajeuni et vivifié dans le théâtre contemporain (Samuel Beckett).

Elizabeth Barrett Browning

Coxhoe Hall, Durham, 1806 - Florence 1861.

À l’inverse de son mari, Elizabeth Barrett fut vite célèbre en Angleterre et aux États-Unis malgré la vie retirée qu’elle mena jusqu’à son mariage en 1846. Aujourd’hui considérée comme un écrivain mineur, Mrs. Browning représente le type de la femme éclairée de l’époque victorienne, avec ses enthousiasmes et ses maladresses. Elle se passionne de bonne heure pour l’Antiquité. Riche d’érudition, ouverte à toutes les influences, elle aime Pope, mais également Byron et Shelley. Rien de ce qui concerne l’homme, l’enfant et la femme dans la vie sociale ne la laisse indifférente (« The Cry of the Children » [« le Cri des enfants »], dans Poems, 1844 ; The Runaway Slave at Pilgrim’s Point [l’Esclave en fuite], 1848 ; Aurora Leigh, 1856). En 1851, elle publie Casa Guidi Windows (les Fenêtres de Casa Guidi) et, en 1860, Poems before Congress (Poésies avant le Congrès), mais, dans le domaine de la politique, elle fait preuve de plus de bonne volonté et de sentiment que d’expérience réelle de la vie publique. Bien plus que cette production à résonances socio-politiques, il reste d’elle les Sonnets from the Portuguese (Sonnets de la Portugaise), qui constituent le plus admirable hommage lyrique qu’une femme pût rendre à son époux. Ils furent publiés par Browning en 1850 sous ce titre destiné à en cacher l’origine, et la postérité les a conservés comme l’un des fleurons du génie mystique anglais.

D. S.-F.

 J. Bryson, Browning (Londres, 1959 ; trad. fr., Seghers, 1964). / I. M. Williams, Browning (Londres, 1967).