Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

Brouwer (Adriaen)

Peintre flamand (Oudenaarde 1605 ou 1606 - Anvers 1638).


Tout porte à croire qu’il a mené une vie déréglée. Selon les dires des chroniqueurs, son père vivotait à Oudenaarde en dessinant des cartons pour la tapisserie. Adolescent, Adriaen Brouwer quitte la maison paternelle pour se rendre à Anvers. On retrouve sa piste à Amsterdam en 1625. Dans la seconde moitié de 1626, il s’établit à Haarlem, où il subit l’influence décisive de Frans Hals*, plus spécialement en ce qui concerne cette technique picturale directe qui évite les repentirs et qu’on désigne par l’expression « alla prima ». Selon les assertions des chroniqueurs, Frans Hals aurait abusé, en l’employant à son profit, du génie de Brouwer.

Pendant l’exercice 1631-32, Brouwer se fait inscrire à la corporation des peintres à Anvers. Sa déposition devant un notaire (4 mars 1632) semble indiquer que ses tableaux étaient très recherchés et contrefaits, mais l’inventaire de ses biens, dressé en cette même année 1632, reflète l’état misérable d’un homme endetté. Peut-être cette situation financière fut-elle à l’origine de son emprisonnement à la citadelle d’Anvers pendant au moins sept mois de l’année 1633.

Son portrait figure dans l’Iconographie d’Antoine Van Dyck. Il y est représenté vêtu en gentilhomme, mais, à en juger d’après les anecdotes rapportées par les chroniqueurs, Brouwer se « négligeait jusqu’au point d’être le plus souvent couvert d’un méchant habit, qui le rendait méprisable à ceux qui ne savaient pas combien il excellait en l’art, et qui ne pénétraient pas plus avant que l’extérieur ». Ils le décrivent comme un personnage pittoresque, le type de l’artiste bohémien, un homme « qui avait l’esprit facétieux et porté à la débauche, extrêmement adonné au tabac et à l’eau-de-vie », en bref un homme qui a brûlé la chandelle par les deux bouts (Isaac Bullart, 1682).

Le personnage du fumeur qu’il a si souvent représenté s’explique par le fait que le tabac était une nouveauté à l’époque. Très fort et mélangé à du chanvre, c’était plutôt un stupéfiant. Dans les tavernes, les petites gens s’enivraient de tabac comme ils se soûlaient d’alcool. On parlait d’ailleurs de « toebackdrinkers », c’est-à-dire de « buveurs de tabac ». Peintre des buveurs et des paysans, Brouwer ne doit, cependant, pas être identifié avec ses modèles. L’aubergiste obèse, les arracheurs de dents, le poivrot endormi, les rixes entre les joueurs de cartes, il rend tout cela avec beaucoup de verve et aussi beaucoup de finesse. Ses groupes de personnages sont fréquemment composés sur un schéma triangulaire. Les natures mortes que l’on trouve çà et là dans ses tableaux peuvent atteindre à une grande beauté ; le coloris — des bruns et des ocres rehaussés d’un accent éclatant de vert, de bleu ou de rouge — est d’une harmonie exquise.

L’œuvre de Brouwer, encore trop mal étudiée, comprend une bonne centaine de tableaux et de tableautins. Le meilleur ensemble est celui de la pinacothèque de Munich. D’innombrables petits panneaux qui circulent sous le nom de Brouwer sont en réalité des copies ou des pastiches qui ont été fabriqués en masse au xixe s.

R. H. M.

 W. A. von Bode, Adriaen Brouwer (Berlin, 1924). / G. Knuttel, Adriaen Brouwer, the Master and His Work (La Haye, 1962).

Brown (Earle)

Compositeur américain (Lunenburg, Massachusetts, 1926).


Il fait des études scientifiques à la Northeastern University de Boston, dont il sort avec un diplôme d’ingénieur. Cependant, il a fait ses premières études musicales et ne tarde pas à se consacrer à la composition après avoir complété sa formation dans les domaines du contrepoint, de la polyphonie et de l’histoire des formes avec R. B. Henning, et dans le domaine de l’orchestration avec Schillinger et Mac Killop.

De 1950 à 1952, il enseigne à son tour l’instrumentation à l’université de Denver (Colorado). De 1952 à 1960, il travaille à New York avec John Cage et David Tudor dans leurs recherches sur les bandes magnétiques. Il est directeur artistique de la production de musique contemporaine à la firme de disques Time Records, où il a réalisé une remarquable anthologie de l’art d’avant-garde.

Ses principales œuvres sont Folio (1952) pour piano, Indices (1954) pour orchestre de chambre, Musique pour violoncelle et piano (1955), Hodograph I (1959) pour ensemble de chambre, Available Forms I et II (1962) pour quatre-vingt-dix-huit exécutants et deux chefs, Times Five (1963) pour ensemble de chambre et quatre bandes magnétiques, Calder Piece (1965) pour quatre percussionnistes, Modules I et II (1966) pour deux orchestres et deux chefs, Synergy II (1968) pour orchestre de chambre.

Doué d’un sens poétique très aigu, Brown a d’abord assimilé les influences de Ch. Ives, de Stravinski, de Bartók, de Varese et des trois Viennois, puis de J. Cage et Morton Feldman. Mais il revendique aussi les influences du sculpteur Calder et du peintre Pollock : c’est ce qui explique en grande partie la place considérable que le hasard tient dans sa production. Brown est l’un des compositeurs d’avant-garde qui a su utiliser les différentes formes de la musique aléatoire* et lui a donné une véritable signification artistique.

C. R.

Browning (Robert)

Poète anglais (Camberwell, Londres, 1812 - Venise 1889).



« Mon but n’a pas été d’offrir au public une littérature qui pût tenir lieu pour les désœuvrés d’un cigare ou d’une partie de dominos. »

Habitué de bonne heure au respect des choses de l’esprit par des parents cultivés et attentifs à sa précoce vocation littéraire, déjà tout jeune amoureux des belles-lettres et des arts, Browning se forge vite une conception élevée de la poésie et du rôle du poète. Sa culture, immense, ne doit pas grand-chose à une éducation régulière. Elle commença dans la bibliothèque paternelle, et sa mémoire prodigieuse conserva les moindres détails de ses lectures. C’est de son érudition même que naquit d’ailleurs avec Sordello (1840) la réputation qui lui fut faite d’auteur difficile et obscur. Celle-ci reste attachée à son œuvre et contribua considérablement à limiter son audience et sa célébrité pendant une grande partie de sa carrière. Mais, il l’a écrit lui-même, sa littérature n’est pas une concession à la facilité. Il juxtapose comme à plaisir l’expression familière et le vocabulaire le plus érudit. La phrase, pleine d’audaces de style, se désarticule et imprime au vers, souvent laborieux, un rythme heurté irrégulier. Sa pensée ne se laisse pas mieux appréhender en raison même de la diversité et de la densité de son érudition. L’inspiration procède de sujets aussi différents que l’histoire, la philosophie, la littérature, la musique et la peinture. Elle va de l’alchimie, de l’astrologie (Paracelsus, 1835) et du spiritisme (Mr. Sludge, « the Medium ») à la théologie (Bishop Blougram’s Apology). Cependant, la plus grande source de fécondité de Browning reste l’Italie (qui a exercé à cette époque une si grande attraction sur l’Europe cultivée), où il a longtemps vécu avec une femme passionnément aimée et où il est mort. Ce pays lui fournit une richesse de thèmes inépuisable, depuis la charmante évocation de la petite ouvrière contemporaine (Pippa Passes, 1841) jusqu’au drame le plus sombre du crime perpétré, au xviie s., par un certain comte Guido (The Ring and the Book [l’Anneau et le livre], 1868-1869). Cette période italienne de son œuvre peut être considérée à la fois comme la plus caractéristique et la meilleure, car c’est avec elle que son art du monologue trouve son parfait épanouissement dans Men and Women (1855), Dramatis Personae (1864) et surtout The Ring and the Book.