Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Brésil (suite)

 G. Bazin, l’Architecture religieuse baroque au Brésil (Plon, 1956-1959 ; 2 vol.). / G. Kubler et M. S. Soria, Art and Architecture in Spain and Portugal and Their American Dominions, 1500 to 1800 (Harmondsworth, 1959). / Brésil, numéro spécial de la revue Aujourd’hui (Paris, juill. 1964). / M. Pianzola, Brésil baroque (Bonvent, Genève, 1974).


La littérature brésilienne

Avant que l’on reconnût à la littérature du Brésil des caractères spécifiques, il y eut une littérature sur le Brésil. Pendant plus de deux siècles et demi, le Brésil apparaît comme un élément exotique de la tradition littéraire portugaise, à travers les récits d’inspiration humaniste et de dessein apostolique des missionnaires jésuites. Entre la terre brésilienne et les premiers écrivains qu’elle inspire, on remarque d’ailleurs un curieux « effet d’éloignement » : alors que le P. José de Anchieta (1534-1597) et le P. António Vieira (1608-1697), qui passèrent la plus grande partie de leur vie au Brésil, obéissent, l’un dans son théâtre évangélisateur, l’autre dans ses sermons et sa correspondance, aux règles esthétiques de la Renaissance et du classicisme européens, on doit la première œuvre « indianiste », l’épopée du Caramuru (1781), à José de Santa Rita Durão, qui quitta définitivement pour l’Europe sa province natale de Minas Gerais dès l’âge de neuf ans. Et la manifestation décisive d’indépendance littéraire eut lieu à Paris, en 1836, avec la publication des Soupirs poétiques et saudades de Gonçalves de Magalhães.

Il faut attendre la prose poétique de José Alencar (1829-1877) et l’humour de Máchado de Assis (1839-1908) pour voir des écrivains se réclamer d’une tradition et se définir par rapport à elle. Cependant, la prise de conscience de l’originalité de leur littérature semble s’approfondir pour les Brésiliens à chacune de leurs crises politiques majeures : l’inconfidência mineira, complot ourdi contre la domination portugaise (1789), rassemble, autour de Tomás António Gonzaga, l’auteur de Marília de Dirceu, l’« école du Minas Gerais » ; à l’indépendance conquise correspond l’épanouissement romantique ; la proclamation de la République (1889) précède de peu l’éclosion du sertanisme ; la « Semaine de l’art moderne » de 1922 prélude au soulèvement armé et à la prise du pouvoir de Getúlio Vargas. Mais, avant que l’on ait pu noter dans l’histoire littéraire du Brésil le début de l’« époque nationale », deux poètes avaient su trouver des accents originaux, unissant dans la modinka le vers traditionnel au rythme de la chanson populaire, le précieux Gregório de Matos Guerra (1623 ou 1633-1696) et, plus tard, le satirique et élégiaque Domingos Caldas Barbosa (v. 1740-1800).

Le Brésil se découvre dans le romantisme : comme les poètes européens retrouvent dans le Moyen Âge une source nationale et mystique, les romantiques brésiliens remontent aux origines indiennes comme aux modèles de toutes les vertus politiques et humaines. Mais si António Gonçalves Dias (1823-1864) exalte l’immensité de la nature américaine, reprenant sur le mode lyrique les thèmes déjà esquissés par José Basílio da Gama dans son poème épique de l’Uruguay (1769), la première génération de poètes sacrifie davantage aux conventions universelles du byronisme et du mal du siècle, comme Junqueira Freire (1832-1855) ou Álvares de Azevedo. Plus personnels sont les Printemps (1859) de Casimiro de Abreu et plus tragiques les Écumes flottantes (1870) d’António de Castro Alves, mais c’est dans l’écriture romanesque que le romantisme brésilien trouve son expression la plus achevée, plus pittoresque avec Brunette (1844) de Joaquim Manuel de Macedo ou les Mémoires d’un sergent de la milice (1854) de Manuel António de Almeida, plus grandiose avec le Guarani (1857) et Iracema (1865) de José de Alencar, qui assure le triomphe de l’indianisme et ouvre la voie au régionalisme de Bernardo Guimarães (O Garimpeiro, 1872) et de Franklin Távora (O Matuto, 1878).

Ce n’est pas seulement l’attrait d’une esthétique nouvelle qui explique la disparition du romantisme aux alentours de 1880, mais une évolution profonde dans la société et l’économie du Brésil. Si le Parnasse offre à des poètes comme Alberto de Oliveira (1857-1937), Raimundo Correia (1859-1911) ou Vicente de Carvalho (1866-1924) le moyen de se réfugier dans une contemplation du monde, l’espace brésilien devient le lieu d’un combat contre les préjugés raciaux et religieux, les hypocrisies morales, la misère. Les bandeirantes d’Olavo Bilac (1865-1918) chassent plus d’illusions que d’émeraudes, et le roman s’attache alors à la peinture naturaliste de la vie dans les villes et les taudis des banlieues avec le Mulâtre (1881) et Botafogo (1890) d’Aluízio Azevedo, ou à l’existence précaire des paysans du sertão. Si en cent vingt volumes d’une prose à effet Coelho Neto (1864-1934) mit à la mode le sertanisme, il y a plus de vérité historique et de sensibilité humaine dans les contes d’Afonso Arinos (1868-1916), le récit de la Guerre de Canudos (Os Sertões, 1902) d’Euclides da Cunha (1866-1909) ou l’évocation des tribulations du métis Jeca Tatu par José Bento Monteiro Lobato (Urupês, 1919).

On rattache communément au symbolisme la poésie de João da Cruz e Sousa (1863-1898) et d’Alphonsus de Guimarães (1870-1921), ainsi que les romans de Raul Pompéia (1863-1895), de Lima Barreto (1881-1922) et de Graça Aranha (1868-1931), mais l’écrivain qui domine cette époque échappe à toutes les classifications et à tout dogmatisme d’école. Des poèmes des Chrysalides (1864) aux Souvenirs de la vieille maison (1906) en passant par des romans comme Quincas Borba (1891) et Dom Casmurro (1900), Joaquim Maria Machado de Assis se révèle un maître de l’introspection et de l’humour. En 1896 est créée l’Académie brésilienne, poètes et orateurs comme Joaquim Nabuco (1849-1910) et Rui Barbosa (1849-1923) prennent part à la vie publique.

La nouvelle génération est cependant beaucoup plus attentive aux mouvements politiques et artistiques de l’étranger. Les essais et chroniques de Gilberto Amado qui paraissent à partir de 1912, les expositions de peintres influencés par l’expressionnisme allemand, la publication en 1914 dans le journal Estado de São Paulo du premier article sur le futurisme, la création à Rio, en 1915, de la revue luso-brésilienne Orfeu, tous ces événements joints aux nouvelles de la Première Guerre mondiale et de la révolution russe, ainsi qu’aux bouleversements nés de l’industrialisation de São Paulo créent les conditions d’un renouveau de la sensibilité brésilienne et de son expression littéraire.