Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

Brésil (suite)

Du 11 au 18 février 1922, plusieurs manifestations ont lieu au Théâtre municipal de São Paulo : une exposition de peinture, sculpture et architecture ; des concerts par Villa-Lobos et Guiomar Novais ; des lectures de poèmes de Mário de Andrade, Manuel Bandeira, Ribeiro Couto, Guilherme de Almeida ; et trois conférences, l’Émotion esthétique dans l’art moderne par Graça Aranha, la Peinture et la sculpture modernes au Brésil par Ronald de Carvalho, Description de l’esthétique révolutionnaire par Menotti del Picchia. C’est la « Semaine de l’art moderne » qui inaugure une nouvelle ère dans les lettres du Brésil.

De 1922 à 1925, le « modernisme » présente un front relativement uni, à travers la multiplicité de ses revues qui voient le jour à São Paulo (Klaxon, Estética, Revista do Brasil, Terra Roxa e outras terras), au Minas Gerais (Verde, Leite Crioulo), au Rio Grande do Sul (Madrugada), à Bahia (Arco e flecha), au Pará (Flaminaçu).

La fascination du paysage tropical s’unit aux thèmes de l’antiquité classique, le poème à forme fixe côtoie le vers libre, une langue simple et directe remplace la grandiloquence des dernières manifestations néo-parnassiennes. Paulicéia Desvairada (Folle São Paulo), de Marío de Andrade, reste de cette époque l’œuvre la plus significative qui mêle en des poèmes lyriques, « iconoclastes » et « kaléidoscopiques » les cris des quartiers populaires, les passions de la bourgeoisie d’affaires, toute la gamme des immigrants européens, l’architecture composite et l’impérialisme anglais. Mais la publication en 1924 de Pau-brasil, d’Oswald de Andrade, provoque une crise qui dépasse de loin la querelle de la métrique traditionnelle et du vers libre. Proposant comme modèles les premiers chroniqueurs de l’époque coloniale pour retrouver une vision naïve de la spécificité brésilienne, Oswald de Andrade voit dans une poésie dense, elliptique un moyen de traduire la rapidité de la vie quotidienne du xxe s. et de rester ouvert aux courants de pensée du monde moderne. À cette théorie précisée dans le manifeste Antropofagia de 1926, le groupe « Verdamarelo » (vert-jaune, d’après les couleurs du drapeau brésilien), animé par Plínio Salgado et Cassiano Ricardo Leite, oppose un art didactique, soucieux de préserver le Brésil, en politique comme en littérature, des influences étrangères, cependant qu’à Rio, le groupe « Festa », autour de Cecília Meireles (1901-1964), se montre sensible aux préoccupations du nouveau spiritualisme chrétien. La deuxième vague du modernisme est ainsi souvent mystique et hermétique avec Jorge de Lima (1893-1953), Augusto Frederico Schmidt (1906-1965), Murilo Mendes (1901-1975), tandis que Manuel Bandeira* (1886-1968) passe du lyrisme révolté de Cendre des heures (1917) à la simplicité d’Estrela da vida inteira (1966). Mais ce n’est guère avant 1930 que le modernisme suscite une écriture romanesque nouvelle, caractérisée par le réalisme des notations et l’intérêt pour l’évolution d’un personnage ou d’une région : avec A Bagaceira (1928), José Américo de Almeida prélude au « cycle de la canne à sucre » de José Lins do Rego (1901-1957). Erico Verissimo (1905-1975) est le romancier des grandes cités modernes, Raquel de Queiroz (née en 1910) peint le Ceará (l’Année quinze, 1930), Jorge Amado (né en 1912) unit le lyrisme à la critique sociale (Cacao, 1933 ; Terre violente, 1942 ; Gabrielle, œillet et cannelle, 1958). Une œuvre originale domine cette période d’une particulière richesse, celle de Graciliano Ramos (1892-1953), qui mêle la vigueur du néo-réalisme à l’acuité de l’analyse psychologique (Caetés, 1933 ; Vidas sêcas, 1938 ; Infância, 1945 ; Mémoires de prison, 1953).

Cette passion pour les problèmes contemporains semble toutefois être moins vive parmi la « génération de quarante-cinq », qui cherche, avec Mauro Mota (né en 1912), Domingos Carvalho da Silva (né en 1915), Péricles Eugênio da Silva Ramos (né en 1919), João Cabral de Melo Neto (né en 1920), Ledo Ivo (né en 1924), dans l’évocation du passé l’image de l’homme universel et de ses tentations permanentes. Cette recherche s’accompagne de préoccupations formelles, d’une mise en question de la syntaxe poétique, particulièrement par l’école « concrétiste » rassemblée autour d’Haroldo de Campos, tandis que le roman contemporain ouvert à toutes les expériences avec Lúcio Cardoso (né en 1913), Osman Lins (né en 1924) et Clarice Lispector (née en 1925) trouve avec João Guimarães Rosa (1908-1967) un équilibre parfait entre la sensibilité créatrice et l’invention verbale.

A.-M. M.

 M. Da Silva Brito, Historia do modernismo brasileiro (São Paulo, 1958). / A. Amoroso Lima, Quadro sintético da literatura brasileira (Rio de Janeiro, 1959). / A. Coutinho, Introdução a literatura brasileira (Rio de Janeiro, 1964). / A. D. Tavares-Bastos, la Poésie brésilienne contemporaine (Seghers, 1966).


Le cinéma brésilien

Si les premières actualités cinématographiques sont tournées au Brésil dès 1903, ce n’est que cinq ans plus tard qu’une véritable production s’organisera autour de quelques pionniers comme le Portugais Antônio Leal (Patrie et drapeau [Patria e bandeira, 1914]) ou l’Italien Vittorio Capellaro (Inocência, 1915 ; O Guarani, 1916 ; Iracema, 1918 ; O Garimpeiro, 1918). Parmi cette première génération de cinéastes imbus de tradition théâtrale, fortement inspirés par le film d’art français et les mélodrames à l’italienne qui envahissent à la même époque tout le marché latino-américain, il faut aussi citer Luiz de Barros (Mort ou vif [Vivo o muerto, 1915]) et José Medina (Exemplo regenerador, 1919 ; Perversité [Perversidade, 1920]).

Mais, à partir de 1921-22, le cinéma européen cède peu à peu la place au cinéma hollywoodien. En 1924, les films américains représentent environ 90 p. 100 des longs métrages en distribution. La production nationale subit bon gré mal gré les conséquences de cette invasion. Les studios brésiliens dispersés à Rio de Janeiro, Recife, Bahia ne pouvant rivaliser avec leurs homologues californiens, certains réalisateurs tentent de se frayer un chemin en adaptant des pièces de théâtre de renom ou en illustrant par l’image quelques thèmes régionaux populaires. Gentil Roiz (Retribuição, 1924), Alberto Traversa (O Segredo do corcunda, 1924), Almeida Fleming (Paulo e Virgínia, 1925), José Medina (Gigi, 1925) signent des œuvres honorables, mais le fait le plus marquant de ces années difficiles est l’apparition d’un talent de grande valeur : Humberto Mauro, qui dominera sans peine pendant de longues années toute la production de son pays. Mauro tourne successivement Valadião le cratère (Valadião o cratera, 1925), Au printemps de la vie (Na primavera da vida, 1926), le Trésor perdu (O Tesouro perdido, 1927), le Feu sous la cendre (Brasa dormida, 1927), Sang minier (Sangue mineiro, 1929). C’est en 1933 qu’il réalise son film le plus célèbre : Gangue brute (Ganga bruta). L’année suivante Mauro tourne Favela de meus amôres, produit et interprété par Carmen Santos, l’une des dernières œuvres de valeur du cinéma brésilien avant son naufrage. Le talent d’Humberto Mauro ne saurait cependant faire sous-estimer un film expérimental réalisé par un jeune cinéaste de dix-huit ans, Mário Peixoto : Limite (1929). Cette œuvre, remarquée par Eisenstein et Poudovkine, se situait totalement en marge de la production courante : admirée par les intellectuels et les artistes, elle n’engendra pourtant aucun mouvement avant-gardiste et n’eut malheureusement guère d’influence sur le cinéma brésilien parlant. On pourrait en dire autant d’un document comme São Paulo, symphonie d’une métropole (São Paulo a sinfonia da metrópole, 1929), d’Adalberto Kemeny et Rodolfo Rex Lustig, très proche des essais du Soviétique Dziga Vertov et de l’Allemand Walter Ruttmann. Le premier film sonorisé par procédé Vitaphone date de 1929 (Fragmentos da vida, de José Medina), mais on peut considérer que la véritable naissance du film parlant n’a lieu que quelques années plus tard, notamment grâce à la prolifération d’un genre nouveau : le film de carnaval. Sur une trame naïvement mélodramatique, le film de carnaval sert essentiellement de propagande aux exhibitions chantées et dansées de vedettes de la radio ou du music-hall. Alô, alô Brasil (1934), interprété par Carmen Miranda, est l’un des premiers prototypes de ce cinéma volontairement commercial qui, durant de longues années, contribuera à l’anémie de la production artistique nationale. Une comédie sophistiquée d’Oduvaldo Viana : Petites Poupées de soie (Bonequinha de sêda, 1935), peut être considérée comme le chant du cygne du cinéma brésilien de qualité. À l’approche de la Seconde Guerre mondiale, Hollywood étend sa domination et inonde le Brésil de ses productions. En 1941, un seul film brésilien est tourné. Le gouvernement ne se décide à prendre certaines mesures protectionnistes qu’en 1947. À cette époque, rares sont les films qui échappent à la vogue du « film de carnaval » (dans cette catégorie Este mundo é un pandeiro [1948] et Carnaval no fogo [1949], dirigés par Watson Macedo, obtiennent un succès populaire sans précédent). Humberto Mauro (Argile [Argila, 1942]), Luiz de Barros (la Cour [O Cortiço, 1944]) et Carmen Santos (Inconfidência mineira, 1947) signent d’intéressants essais individuels dont l’influence reste très limitée, faute de politique cinématographique nationale. La fondation, en 1949, de la Compagnie Vera Cruz va modifier considérablement la structure traditionnelle du cinéma brésilien. Cette société, installée à São Paulo, nomme au poste de directeur le cinéaste Alberto Cavalcanti. Ce dernier, de retour dans son pays natal, s’entoure de collaborateurs de valeur (le monteur Oswaldo Haffenrichter, l’opérateur H. C. Fowle, l’ingénieur du son Erich Rasmussen) et entreprend de réorganiser une cinématographie apathique et peu apte à conquérir les marchés étrangers. Dès 1950, la Vera Cruz produit Caiçara, d’Adolfo Celli. L’importance de la Vera Cruz inquiète certains producteurs qui cherchent à la concurrencer en fondant à leur tour de nouvelles sociétés (ainsi la Maristela, constituée par les frères Audra). Un différend va éloigner Cavalcanti de la Vera Cruz : c’est pour sa rivale la Maristela qu’il dirige Simon le Borgne (Simão o Caolho, 1952) avant de créer la Kino-Filmes et de signer le Chant de la mer (O Canto do mar, 1953). L’ambition de la Vera Cruz la dessert : en 1955, elle doit cesser toute activité. Mais cet échec apparent ne doit pas faire oublier les productions de valeur qui furent tournées sous son égide : La terre est toujours la terre (Terra é sempre terra, 1951), de Tom Payne, la Fille du maître (Sinhá moça, 1953), de T. Payne et Osvaldo Sampaio, et surtout O Cangaceiro (1953), de Lima Barreto, qui aura une importante diffusion et un succès international. La chute de la Vera Cruz correspond au départ de Cavalcanti pour l’Europe quelque temps après avoir réalisé Femme de vérité (Mulher de verdade, 1955).