Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

Bourguiba (Ḥabīb ibn ‘Alī) (suite)

Le secrétaire général du Néo-Destour

Au mois de mars 1934, Bourguiba et ses amis se séparent définitivement de la direction du Destour. Ils réunissent, sous la présidence du docteur Matéri, à Ksar-Hellal, une localité du Sahel tunisien, un congrès au cours duquel ils lancent une nouvelle formation politique : le Néo-Destour. Sous l’impulsion de son secrétaire général Bourguiba, le Néo-Destour donne au mouvement national une nouvelle orientation. Au panarabisme et à l’esprit religieux du Vieux-Destour, il substitue le nationalisme tunisien et la laïcité. Il circonscrit son action à la seule Tunisie et considère la religion comme un moyen et non comme une fin. Son originalité se traduit également dans ses méthodes d’action. Reprochant au Vieux-Destour son manque de souplesse et partant du principe selon lequel « le tout à la fois n’aboutit à rien du tout », le Néo-Destour inaugure une politique baptisée « politique des étapes », de laquelle il se réclame encore aujourd’hui. Très vite, le nouveau parti entraîne derrière lui une bonne partie de la population tunisienne. Sa clientèle se recrute essentiellement parmi la classe ouvrière et la petite bourgeoisie. Contrairement aux prévisions des autorités du protectorat, le mouvement national se renforce après la scission de mars 1934.


Le prisonnier politique

Les dirigeants du Néo-Destour sont arrêtés en septembre 1934 et exilés dans le Sahara tunisien. Bourguiba va alors entamer une longue carrière de prisonnier. Son parti s’affirme parmi la population : les mesures répressives prises par les autorités du protectorat provoquent la fermeture des souks de Tunis, des défilés de protestation ainsi que des émeutes sanglantes au Sahel.

À leur libération en mai 1936, après vingt mois d’exil, Bourguiba et ses compagnons sont l’objet de manifestations enthousiastes de la part de la population.


Bourguiba et le Front populaire

Le Néo-Destour profite du rétablissement des libertés pour reprendre sa propagande. Bourguiba part pour Paris discuter avec Pierre Viénot, secrétaire d’État aux Affaires étrangères dans le gouvernement du Front populaire. Tout en précisant que l’objectif de son parti est l’indépendance de la Tunisie, il formule des revendications modérées. Dans une note remise à Viénot le 18 août 1936, il se contente de mettre en cause surtout la colonisation officielle, l’exploitation des paysans tunisiens, les abus du système fiscal et les concussions. Pour l’immédiat, il réclame la substitution au régime actuel d’un régime constitutionnel qui permette au peuple tunisien de participer au pouvoir.

Le Front populaire semble un moment répondre aux espoirs du Néo-Destour. Dans un discours prononcé à Radio-Tunis le 1er mars 1937, Viénot parle de co-souveraineté associant la France et la Tunisie dans la conduite des affaires publiques, et souligne la nécessité de réformes dans le cadre du protectorat. En réponse à Viénot, Bourguiba proclame que « l’union entre la France et la Tunisie constitue la base de toutes les revendications du Néo-Destour ».

Mais les espoirs du mouvement national sont très vite déçus. Des conflits sociaux sont venus détériorer les rapports du Néo-Destour avec le gouvernement français. Cette situation empire après la chute du cabinet Blum en juin 1937. Les éléments les plus avancés du Néo-Destour, dirigés par Slimane Ben Slimane, Hédi Nouira et Ḥabīb Bou Guetfa, réclament alors une action énergique. C’est sous leur pression que le parti appelle à une grève le 20 novembre 1937 pour protester contre la répression qui s’abat sur le mouvement national en Algérie et au Maroc. Inquiet de la nouvelle orientation, le président du Néo-Destour, Matéri, donne sa démission. Devenu le chef du parti, Bourguiba suit pour un temps le courant intransigeant.

Le 9 avril 1938, une manifestation organisée par le Néo-Destour en signe de protestation contre l’arrestation de certains de ses militants tourne à l’émeute. De nombreux manifestants sont tués ou blessés, le parti destourien est dissous, un grand nombre de ses membres sont arrêtés et l’état de siège est proclamé.


Bourguiba et la Seconde Guerre mondiale

Bourguiba commence alors une nouvelle période de détention qui va se prolonger jusqu’au 16 décembre 1942. Pour échapper à une nouvelle arrestation, il quitte clandestinement la Tunisie et débarque au Caire le 26 mars 1945, quatre jours après la création de la Ligue arabe. Il se consacre à la propagande en Égypte, au Moyen-Orient et aux États-Unis, où il se rend en décembre 1946 à l’occasion de la session de l’O. N. U. En mars 1947, il participe au Caire à la création du bureau arabe du Maghreb.

En septembre 1949, il revient en Tunisie et parcourt pendant sept mois tout le pays, à l’exception des territoires militaires du Sud.


Les accords franco-tunisiens de 1951

En avril 1950, Bourguiba présente dans une déclaration à l’A. F. P., à Paris, un programme en sept points et affirme la nécessité de la coopération franco-tunisienne. Quelques mois plus tard, le 17 août 1950, son parti accepte de participer à un gouvernement tunisien dont la mission est de « négocier, au nom de S. A. le Bey, les modifications institutionnelles qui par étapes successives doivent conduire la Tunisie vers l’autonomie interne ». Mais, le 15 décembre 1951, cédant à la pression des milieux coloniaux, le gouvernement de la République revient sur la promesse d’autonomie interne faite au Néo-Destour. C’est le prélude d’une épreuve de force qui va conduire la Tunisie vers l’indépendance.

Après une brève tournée en Asie, en Grande-Bretagne et aux États-Unis, Bourguiba regagne Tunis le 4 janvier 1952. Il se propose de réunir un congrès le 18 janvier pour définir une stratégie nouvelle.

Mais, ce jour-là, à l’aube, le chef du Néo-Destour est arrêté. Envoyé d’abord à Tabarka, où il jouit d’un régime libéral, il est ensuite transféré à Remada, poste saharien, puis à l’île de La Galite, où il passe deux ans. Le 21 mai 1954, il est de nouveau transféré dans l’île bretonne de Groix, puis, deux mois plus tard, à Amilly, près de Montargis, non loin de Paris, et enfin à Chantilly.