Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

Bosch (Jheronimus ou Hiëronymus, en fr. Jérôme) (suite)

L’œuvre

Les données fournies par les documents de son temps ne sont pas de nature à expliquer clairement son œuvre ni même à permettre d’en dresser vaille que vaille un catalogue. Le Jugement dernier qui aurait pu servir de repère fait défaut : le triptyque analogue conservé à Vienne ne peut en effet, vu ses dimensions nettement inférieures, être considéré comme le tableau commandé par Philippe le Beau. Peut-être s’agit-il d’une réplique. D’aucuns estiment que le tableau original a péri et que nous n’en conservons qu’un morceau, à savoir le fragment qui se trouve à la Pinacothèque de Munich.

Quant à sa signature — toujours en caractères gothiques —, elle n’offre en principe aucune garantie, puisque, dès les années 1560-1563, Felipe de Guevara, qui fut un des premiers collectionneurs des œuvres de Bosch, nous avertit qu’il en existe des imitations munies d’une signature contrefaite.

Il en résulte qu’un catalogue de l’œuvre de Bosch ne peut être esquissé que sur la base de quelques mentions (souvent incomplètes ou équivoques) dans les inventaires anciens et, à défaut de mieux, sur la base de critères stylistiques. Les panneaux n’étant jamais datés, c’est encore à l’analyse stylistique qu’il faut avoir recours pour tenter d’en dresser une chronologie. Certains ont été détruits par les Iconoclastes. Les œuvres qui se trouvaient encore à la cathédrale au début du xviie s. ont disparu en 1629, d’autres ont péri dans des incendies, d’autres encore ont été dégradées par des nettoyages ou des traitements maladroits. À défaut d’une étude systématique et approfondie de l’œuvre tout entier par les méthodes de laboratoire — étude qui pourrait éclaircir nombre de problèmes provisoirement insolubles —, le catalogue se présente pour l’instant comme il suit :
A. Tableaux portant une signature jugée authentique
1. La Tentation de saint Antoine, triptyque (Lisbonne)
2. Épiphanie, triptyque (Madrid, Prado)
3. La Charrette de foin, triptyque (Madrid, Prado)
4. Saint Jean à Patmos (Berlin)
5. Saint Christophe (Rotterdam)
6. Retable des ermites, triptyque (Venise ; palais des Doges)
7. Retable de sainte Julie ou de sainte Wilgeforte, dite Ontcommer, triptyque (Venise, id.).
B. Tableaux identifiés sur la foi des inventaires anciens
8. Les Sept Péchés capitaux, dessus de table (Madrid, Prado)
9. Le Jardin des délices terrestres, triptyque (Madrid, Prado)
10. Le Portement de croix (Madrid, Palais royal)
11. Le Couronnement d’épines (Escorial)
Les autres tableaux mentionnés dans les inventaires ont disparu.
C. Tableaux provisoirement attribués à Bosch sur la base de critères stylistiques
12. L’Opération de la pierre de folie (Madrid, Prado)
13. Le Prestidigitateur (Saint-Germain-en-Laye)
14. Les Noces de Cana (Rotterdam)
15. Le Christ en croix (Bruxelles)
16. Ecce homo (Francfort)
17. Ecce homo (Philadelphie)
18. Le Jugement dernier, triptyque (Vienne)
19. Le Jugement dernier, fragment (Munich)
20. Épiphanie (Philadelphie)
21. La Mort de l’avare (Washington)
22. La Nef des fous, volet [?] (Paris, Louvre)
23. Le Déluge et l’Enfer, volets (Rotterdam)
24. Le Paradis et l’Enfer, volets (Venise, palais des Doges)
25. Le Portement de croix, volet [?] (Vienne)
26. Le Portement de croix (Gand)
27. Saint Jérôme en prières (Gand)
28. Le Couronnement d’épines (Londres)
29. Saint Jean-Baptiste dans le désert (Madrid, Prado)
30. La Tentation de saint Antoine (Madrid, Prado)
31. L’Enfant prodigue ou le Vagabond (Rotterdam)
32. Tête de femme, fragment (Rotterdam).
D. Dessins
Une trentaine de feuilles non signées, mais dont quelques-unes portent une signature apocryphe.

Quant à la chronologie, c’est celle proposée par Ch. de Tolnay qui fait autorité. Les panneaux dont le dessin est jugé gauche (par exemple les Sept Péchés capitaux et l’Opération de la pierre de folie) se situeraient au début de la carrière de Bosch, et les grands triptyques (comme le Jardin des délices terrestres et la Tentation de saint Antoine) à l’époque de la maturité, tandis que les compositions à demi-figures seraient tardives.


L’origine de son style

L’art de Jérôme Bosch est éminemment personnel, à tel point que les spécialistes en la matière n’ont jamais pu démontrer à quelle source il aurait pu puiser son style. Il est vrai que l’art du Maître de Flémalle (Nativité, Dijon), le « style international » des années avant et après 1400, la gravure allemande (par ex., Schongauer et le Maître E. S.), les incunables du xve s., Dieric Bouts (Dernière Cène, Louvain, Sint-Pieter) et le Jugement dernier du musée de Diest offrent des points de comparaison, mais, en admettant que Bosch en ait emprunté çà et là quelques éléments, on peut affirmer qu’il les a assimilés et transformés à sa guise.

Bosch appartenait à une famille de peintres, et son neveu était tailleur d’images, mais l’existence d’une corporation de peintres à Bois-le-Duc reste à démontrer. Aussi l’hypothèse selon laquelle il aurait été formé selon la tradition artisanale de sa ville est-elle invérifiable. M. J. Friedländer a fait remarquer que les œuvres qui se situent vraisemblablement au début de sa carrière accusent certaines caractéristiques de style qui font penser à l’art des enlumineurs. Une relation directe avec la miniature de l’époque est d’autant plus plausible que les « diableries » et les « drôleries » de Bosch pourraient être considérées comme un aboutissement des bestiaires médiévaux ou, mieux encore, comme celui des enluminures marginales que l’on trouve si fréquemment dans les manuscrits des xive et xve s.

Si, dans l’ensemble, la technique picturale de Bosch est celle des primitifs flamands, son grand mérite est cependant d’avoir entamé une évolution qui, en passant par Bruegel. aboutira à l’écriture picturale « moderne » des esquisses de Rubens. Bosch a simplifié la technique de l’école des Van Eyck afin de pouvoir l’appliquer avec une liberté plus grande. Peut-être cette simplification lui était-elle nécessaire pour réaliser les images créées par son extraordinaire imagination.