Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

Blaue Reiter (Der) (suite)

La liberté lyrique

La première exposition du groupe s’ouvre en décembre 1911 à la galerie Thannhauser. Mais s’agit-il vraiment d’un groupe ? Si l’on fait abstraction de trois ou quatre artistes de peu d’intérêt et de ceux dont, au contraire, la présence est symbolique (le Douanier Rousseau et Robert Delaunay*), restent, outre les deux protagonistes, David et Vladimir Bourliouk, Heinrich Campendonk, August Macke, Gabriele Münter, Arnold Schönberg*. Ce qui les réunit, c’est la violence des couleurs et, à un moindre degré, l’aspect sommaire et souvent arbitraire des formes. Néanmoins, les frères Bourliouk restent tributaires du cubisme, Macke et Marc sont influencés par la manière dont Delaunay se sert de la couleur pour construire ses toiles, Campendonk est une sorte de naïf qui tente maladroitement de s’approprier les féeries animales de Marc, Kandinsky, enfin, est seul de son espèce. Le refus de constituer un groupe homogène se confirme lors de la deuxième exposition, en février 1912, à la galerie Hans-Goltz. Sous le titre « Noir et Blanc », elle comporte uniquement des œuvres sur papier : dessins, aquarelles et gravures. On y trouve aussi bien des cubistes (Braque*, La Fresnaye, Picasso*) que des ex-fauves (Derain*, Vlaminck*) ou des expressionnistes* allemands (Erich Heckel, Ernst Ludwig Kirchner, Otto Mueller, Emil Nolde, Max Pechstein) à côté de peintres russes d’avant-garde (N. Gontcharova, Larionov*, Malevitch*) et de jeunes inconnus (Arp*, Klee*). Ainsi s’affirme pleinement le vœu exprimé par Kandinsky dans la préface du catalogue : « Notre désir ardent est de susciter la joie par des exemples de l’inépuisable richesse de formes que le monde de l’art crée inlassablement selon sa loi. »


Pour un idéalisme créateur

La publication, en mai 1912, de l’almanach du Blaue Reiter va élargir dans le temps et dans l’espace l’éventail de cette « inépuisable richesse de formes » créées par la « nécessité intérieure ». Non seulement on y trouve un examen des forces vives à l’œuvre en Allemagne, en France, en Russie, mais « les arts archaïques, les figures des primitifs, les masques de l’Orient, l’imagerie populaire, les bestiaires fabuleux, les hantises des aliénés » (Pierre Volboudt) sont mis à contribution comme pour établir la permanence du « spirituel dans l’art ». Il s’agit là d’une initiative de toute importance, la première en date après l’expérience individuelle de Gauguin* pour situer sur le même plan la démarche créatrice des primitifs et celle des artistes modernes. Aux références purement formelles (des impressionnistes à l’art japonais, des cubistes à l’art africain), l’almanach du Blaue Reiter substitue l’affirmation d’une communauté spirituelle. Par ailleurs, il ébauche une concertation de tous les arts, qui devait attendre la création du Bauhaus* pour connaître une plus nette réalisation. Seuls, pour l’instant, le théâtre (dont Kandinsky était très préoccupé) et la musique (les Viennois Alban Berg*, Schönberg et A. von Webern* sont les auteurs des suppléments musicaux de l’almanach) s’y voient effectivement pris en considération.


Entre l’expressionnisme et l’abstraction

À Berlin, en mars 1912, Herwarth Walden (1878 - disparu v. 1930) présente, pour l’inauguration de la galerie Der Sturm, la première exposition du Blaue Reiter, élargie, de sa propre initiative, à Jawlensky, Klee, Kubin et Marianne von Werefkin. Sans doute est-ce la raison pour laquelle on prit plus tard l’habitude de considérer Der Blaue Reiter comme un groupe effectif d’artistes, les uns allemands, les autres russes, et de l’opposer à Die Brücke (formé à Dresde en 1905) au sein d’une vision globale de l’expressionnisme en Allemagne. Nous avons vu que cela ne correspondait en rien à la réalité. Il n’en est pas moins vrai que le séjour effectué par Jawlensky et Marianne von Werefkin, au cours de l’été 1908, à Murnau, dans la campagne bavaroise, où sont installés Kandinsky et Gabriele Münter, a développé de réelles affinités entre les quatre peintres, alors également adeptes d’une sorte de fauvisme d’un grand raffinement coloré. Jawlensky, dans une certaine mesure, assure ici la liaison avec le « synthétisme » de Gauguin. L’inspiration de ceux que l’on nomme parfois les « expressionnistes de Murnau » s’oppose, en tout cas, à l’atmosphère dramatique et aux thèmes urbains des expressionnistes de Dresde. En 1910, cette différence s’accuse encore lorsque Kandinsky rencontre Marc et Macke, dont le romantisme va encourager chez lui la tendance au « spirituel » : au lieu des déformations pathétiques, mais superficielles de Die Brücke, il s’agit ici d’atteindre l’âme des choses. L’exemple de Delaunay facilite un détachement croissant à l’égard des apparences, qui ne peut manquer de conduire à l’abstraction. Si Kandinsky, plus audacieux, y parvient le premier, en 1913-14 Marc, Macke et même Jawlensky atteignent à leur tour une forme de peinture que l’on pourrait baptiser expressionnisme abstrait ou, plus justement encore, symbolisme abstrait. C’est ce moment de l’art moderne, entre 1909 et 1914, que l’on tend à désigner, un peu abusivement, par l’appellation Der Blaue Reiter.

J. P.

➙ Expressionnisme.

 W. Grohmann, H. H. Stuckenschmidt et P. Volboudt, Der Blaue Reiter (Maeght, 1962).
CATALOGUE : Il Cavaliere azzurro (Turin, galerie d’art moderne, 1971).


Les principaux participants

LES RUSSES
À côté de Kandinsky*, certains n’ont joué qu’un rôle épisodique, comme Wladimir Bechteiev (né en 1878) et Alexander Mogilewsky (1880-1940), imitateurs sans génie, le premier de Kandinsky, le second de Marc. Plus intéressants sont les frères David (1882-1967) et Vladimir Bourliouk (1886-1919), mais leur activité a pour théâtre essentiel la Russie. Marqués par le cubisme, mais plus encore par le futurisme, ils joueront un rôle actif dans l’avant-garde russe de ces années-là. Quant à Marianne von Werefkin (1860-1938), elle est la compagne de Jawlensky, qu’elle a rencontré en 1889 dans l’atelier d’Ilia Ie. Repine. À Munich, son Salon est le lieu de rencontre des artistes d’avant-garde. Elle joue surtout un rôle d’amie et de mécène, encore que sa peinture soit d’une réelle fraîcheur.


Alexei von Jawlensky