Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

Bismarck (Otto, prince von) (suite)

Une véritable épreuve de force oppose le roi et les généraux à la majorité libérale du Landtag, qui refuse d’entériner la réforme militaire. Pour briser les libéraux, Guillaume Ier fait de Bismarck, poussé par le ministre de la guerre Albrecht von Roon, le ministre président de Prusse, le 23 septembre 1862. Bismarck s’engage à servir la monarchie en tant que vassal qui voit son seigneur dans le péril.


Ministre président de Prusse

À cette date, les vieilles tendances unitaires, assoupies dans les dix années qui ont suivi la révolution de 1848, se sont réveillées. Partisans d’une grande Allemagne englobant l’Autriche et tenants d’une petite Allemagne rassemblée autour de la Prusse s’affrontent plus énergiquement depuis 1859. Incapable d’entrer dans le Zollverein ou de le briser, l’Autriche voit échouer ses projets de réforme de la Confédération, en raison de l’opposition irréductible des Prussiens. L’antagonisme austro-prussien est donc déjà nettement affirmé avant l’avènement de Bismarck. Pour chasser l’Autriche d’Allemagne, Bismarck, esprit pragmatique, a toujours « deux fers au feu » : l’entente sur un partage d’influence ou la guerre. Ce junker est partisan de la « petite Allemagne » ; il ne peut accepter l’idée d’une « grande Allemagne », qui entrerait en conflit avec la Russie, dont il a besoin. Dès 1863, il fait échouer le projet autrichien soumis aux princes réunis à Francfort.

En janvier 1864, il profite de la question des « duchés danois » pour entraîner l’Autriche, aux côtés de la Prusse, dans une guerre au Danemark. Afin de gagner du temps, Bismarck s’oppose d’abord à l’annexion des duchés par la Prusse, réclamée par Guillaume Ier et Moltke, préférant un compromis boiteux, la convention de Gastein (14 août 1865), qui confie le Schleswig à la Prusse et le Holstein à l’Autriche. En même temps, il prépare l’écrasement militaire de l’Autriche. Une active campagne diplomatique assure à Bismarck la bienveillance russe, la neutralité de la France, l’alliance de l’Italie. En décidant de poser la question des duchés devant la diète, l’Autriche fournit à Bismarck l’occasion de cette guerre fratricide qui oppose l’Autriche, les États du Sud, le Hanovre, la Saxe aux autres États allemands, rangés derrière la Prusse. En quelques jours, l’armée hanovrienne est battue à Langensalza (27-28 juin 1866), et les forces autrichiennes, écrasées à Sadowa le 3 juillet 1866, livrent aux Prussiens la route de Vienne. À défaut de mobiliser contre la Prusse, Napoléon III, par sa médiation diplomatique, sert les vues de Bismarck.

La paix de Prague, signée le 23 août, permet à la Prusse de réaliser de nombreuses annexions au nord du Main, sans aucun plébiscite, alors que l’Autriche, qui ne perd aucun territoire, doit accepter son éviction d’Allemagne. La voie est ouverte à la réalisation partielle de la petite Allemagne par la création de la Confédération de l’Allemagne du Nord, dominée par le royaume de Prusse, qui groupe, à lui seul, les cinq sixièmes de la population. Dotée d’une Constitution de structure fédérale préparée par Bismarck et votée le 16 avril 1867, elle n’est, dans l’esprit de son chancelier, qu’une transition vers l’unité de toute l’Allemagne. Ce succès vaut à Bismarck de nombreux ralliements, d’autant plus qu’il manifeste l’intention de gouverner en respectant les règles constitutionnelles. Reste à attirer les États du Sud dans la Confédération.

Dès 1866, Bismarck réussit, en agitant la menace française, à lier les États du Sud, auxquels il n’a pris aucun territoire, à la Confédération du Nord, par une série de traités secrets d’alliance offensive et défensive. Il obtient également, en 1867, que les représentants du Sud siègent aux côtés de ceux de la confédération dans un Parlement douanier, fruit de la réorganisation du Zollverein après la guerre. Mais ces succès bismarckiens ne doivent pas masquer le développement d’une résistance de plus en plus vigoureuse de la plupart des États du Sud, inquiets des menées du chancelier et fidèles à des sentiments particularistes. L’agitation antiprussienne, qui se manifeste notamment dans des grands États comme la Bavière et le Wurtemberg, inquiète Bismarck, d’autant plus que des intrigues inspirées par Vienne et par Paris l’encouragent. Le chancelier peut donc penser qu’une nouvelle crise est indispensable pour provoquer le ralliement du Sud. La politique de Napoléon III apparaissant, depuis 1866, comme un obstacle à l’achèvement de l’unité, Bismarck a pu préparer sciemment le conflit franco-allemand.

En fait, la responsabilité de Bismarck dans la guerre de 1870 n’apparaît certaine qu’au dernier moment. Bismarck s’emploie d’abord à déconsidérer Napoléon III en encourageant des demandes de compensations propres à inquiéter tous les Allemands et les États voisins. D’ailleurs, dès 1859, il y a en Allemagne un courant hostile à la France. Les « pourboires » évoqués successivement, Sarre, Palatinat bavarois, Hesse rhénane, Belgique, Luxembourg, ne peuvent que favoriser l’explosion d’un courant francophobe. Attendu depuis le printemps de 1867, le conflit possible est soigneusement préparé par Bismarck sur tous les plans : diplomatique, militaire, parlementaire. Mais, jusqu’en avril 1870, le chancelier temporise. Il écarte les idées de guerre préventive suggérées par l’état-major prussien dès le printemps de 1867 ; il repousse l’idée d’une entrée du duché de Bade dans la Confédération, à la fin de février 1870, pour donner à l’opinion française le temps de se faire à cette idée.

Cette modération de Bismarck s’explique par sa conviction que la France finira par se résigner à l’unité allemande, d’autant plus que le second Empire évolue vers un régime parlementaire pacifique. Ce raisonnement, très juste, se trouve bouleversé par le plébiscite du 8 mai 1870, qui, contre toute attente, consolide l’Empire et pousse Napoléon III à pratiquer une politique extérieure plus ferme, voire belliqueuse. En relançant la candidature de Léopold de Hohenzollern au trône d’Espagne, Bismarck entend mettre Napoléon III au pied du mur. La réaction très ferme de Paris fait céder Guillaume Ier : le retrait de la candidature Hohenzollern est annoncé le 12 juillet 1870. Bismarck, déçu, songe à abandonner le pouvoir, mais les maladresses françaises relancent la crise. À Ems, Guillaume Ier refuse de s’associer à la renonciation de Léopold et de s’engager pour l’avenir. Bismarck, qui a évité ainsi une nouvelle reculade prussienne, s’arrange, grâce à la dépêche d’Ems, un communiqué très sec, pour acculer la France à la guerre et lui laisser la responsabilité de la déclarer, le 19 juillet 1870. Conformément aux traités de 1866, les troupes du Sud s’engagent dans la guerre aux côtés de la Confédération. Dès la victoire de Sedan, le problème de la réorganisation de l’Allemagne se pose. Bismarck provoque une initiative des États du Sud, qui offrent la couronne impériale au roi de Prusse, Guillaume Ier. L’acte de fondation de l’Empire est signé le 18 janvier 1871, à Versailles. L’Empire rassemble les vingt-cinq États et une première conquête : l’Alsace et une partie de la Lorraine devenues Reichsland. Bismarck, poussé par l’état-major, impose cette annexion : le glacis doit interdire à la France toute guerre de revanche.