Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

Bīrūnī (al-) (suite)

Le génie d’al-Bīrūnī n’est pas seulement fait d’une science immense et ordonnée ; il est fait aussi de respect pour l’objet observé et d’un désir d’évidence qui ne le pousse pas pour autant à conclure. Il est aussi don d’exposition en un style qui s’adapte à la matière traitée ; à la différence de tant d’hommes de son temps, al-Bīrūnī a su répudier en effet la recherche verbale, le clinquant si cher à un Arabo-Iranien comme al-Bustī ; d’où parfois, dans l’Histoire de l’Inde, des pages d’une simplicité et d’une grandeur qui nous touchent à travers les traductions. La rude loi du mécénat a sans doute obligé cet homme de science à s’incliner devant ses protecteurs ; le savant est cependant parvenu chez lui à conserver sa dignité ; au sultan rhaznévide Mas‘ūd qui lui offrait l’équivalent en pièces d’argent d’un éléphant, il aurait su opposer un refus courtois mais sans appel ; tout au fond de son cœur, sa vie durant, il a conservé la nostalgie du Khārezm libre de toute sujétion étrangère ; avec courage, il a su exprimer sa désapprobation devant la ruine qui, pour le Pendjab, fut la conséquence des campagnes du sultan Maḥmūd ; avec clairvoyance enfin, il a entrevu de quel prix serait payé le triomphe des Turcs Seldjoukides en Iran. Al-Bīrūnī est assurément l’une des figures les plus attachantes de ce siècle, qui en connut plusieurs marquées par le génie. Chez lui, l’humanisme prend toute sa signification. Il n’y manque pas même ce rien de troublant qui a caractérisé Léonard de Vinci et Goethe.

R. B.

 H. Nasr, An Introduction to Islamic Cosmological Doctrines (Cambridge, Mass., 1964).

Bismarck (Otto, prince von)

Homme d’État allemand (Schönhausen 1815 - Friedrichsruh 1898).


Fils d’un ex-officier qui se consacre à son domaine et de Wilhelmine Mencken, le jeune Bismarck fait ses études secondaires dans des établissements berlinois de caractère bourgeois. À dix-sept ans, il entre à l’université de Göttingen. Inscrit dans un vieux corps d’étudiants, il laissera surtout le souvenir de ses frasques, duels et beuveries. Brillant, intelligent, mais peu appliqué, le jeune étudiant passe ses trois derniers semestres à l’université de Berlin. Il termine ses études de droit en 1835 et, dès 1836, il est nommé référendaire à Aix-la-Chapelle. Plus séduit par la vie élégante de la station thermale que par ses fonctions, Bismarck se fait muter à Potsdam, avant d’accomplir son service militaire aux chasseurs de la Garde. À la mort de sa mère, le 1er janvier 1839, il s’installe à Kniephof, en Poméranie, quittant ainsi une administration qui le jugeait en ces termes : « Si M. de Bismarck réussit à vaincre sa paresse, il sera capable d’assurer les plus hautes fonctions de l’État. »

Le hobereau se révèle passionné d’agriculture, surtout des forêts. Maître exigeant, il consacre ses loisirs à la lecture, mais reste imperméable à l’influence du romantisme allemand. Il est attaché à l’État et l’idée de nation n’a aucune emprise sur lui. Pour lui, l’État, c’est la Prusse ; il est conduit par l’idée de l’État prussien et non par celle de la nation allemande. Indifférent en matière religieuse, Otto, ébranlé par la mort d’une amie, Marie von Thadden, et soucieux d’épouser Johanna von Puttkamer, issue d’une famille de piétistes austères, assure avoir retrouvé la foi. Si la sincérité de cette « conversion » laisse des doutes, du moins Bismarck se comporte-t-il en luthérien tolérant, marqué par une religiosité originale. De son union avec Johanna, célébrée le 28 juillet 1847, naîtront Marie, Herbert et Wilhelm.


Parlementaire et ambassadeur

Mais déjà le junker en vient à la vie politique, et, de 1847 à 1851, un Bismarck parlementaire participe à des heures cruciales de l’histoire allemande. Orateur vigoureux, il se signale au Landtag, avant la révolution, comme un homme d’extrême droite. Les événements révolutionnaires de mars 1848, à Berlin, le rendent furieux : il songe à voler au secours du roi avec ses paysans armés. Consterné par les concessions du souverain, Bismarck met ses talents au service de la contre-révolution et retrouve une place au Landtag en février 1849. Réactionnaire ardent, il est de la « camarilla » hostile à l’unification allemande et qui prêche une réaction totale. « Nous sommes prussiens. Il n’existe pas de concept de l’Allemand », déclare-t-il alors. Réélu par la suite, Bismarck reste un Prussien d’extrême droite, détesté par les libéraux et craint par la « camarilla », qui, pour s’en débarrasser, lui fait confier un poste de diplomate.

Bismarck, ambassadeur, va connaître, entre 1851 et 1862, trois postes : Francfort, Saint-Pétersbourg et Paris. Représentant de la Prusse à la diète de Francfort, il s’emploie surtout à combattre l’influence autrichienne dans la Confédération. L’affrontement entre lui et le comte Leo von Thun, représentant de l’Autriche, est resté célèbre. Bismarck voyage. En 1855, il visite l’Exposition universelle de Paris, ce qui lui donne l’occasion de connaître Napoléon III, dont il apprécie les méthodes césariennes, et de rencontrer la reine Victoria et le prince consort Albert de Saxe-Cobourg. Il se casse un tibia en Suède en 1857 ; mal soigné, des phlébites le mettent aux portes de la mort en 1859. C’est le début de cette « maladie de nerfs » dont il souffre, mais aussi dont il use pour faire excuser ses colères. Nommé à Saint-Pétersbourg au début de 1859, il travaille à un rapprochement russo-prussien menaçant pour l’Autriche. Bien accueilli par Alexandre II, mais gêné par un train de vie modeste et s’entendant mal avec le ministre des Affaires étrangères, Aleksandr M. Gortchakov, Bismarck, qui a l’impression d’être oublié dans un poste sans histoire, obtient d’être nommé à Paris en mai 1862. Fort bien accueilli par Napoléon III, il ne trouve guère que le temps de s’offrir une escapade sentimentale, toute platonique, avec Catherine Orlov, épouse de l’ambassadeur russe à Bruxelles. Dès septembre 1862, le roi l’appelle à Berlin pour résoudre de graves difficultés intérieures.