Mathématicien, astronome, médecin et logographe irano-arabe (Kāth, sur l’Amou-Daria, 973 - Rhaznī apr. 1048).
Avec le recul du temps, la figure et l’œuvre d’al-Bīrūnī, le maître Aliboron du Moyen Âge, ont pris un relief qu’elles n’avaient point connu en son siècle. Iranien d’origine, Abū al-Rayḥān Muḥammad ibn Aḥnad, ou al-Bīrūnī, participe à la renaissance de la langue persane, mais voit surtout en celle-ci un instrument d’expression littéraire ; pour lui, le grec, qu’il semble avoir maîtrisé, est un moyen de remonter aux sources de la culture philosophique et scientifique ; quant à l’arabe, il demeure à ses yeux l’idiome privilégié destiné à la transmission de l’humanisme arabo-islamique. Par une grâce du destin, al-Bīrūnī trouve dans sa province natale, le Khārezm, et sa capitale Gurgandj (ou Djurdjāniyya ; auj. Ourguentch), ainsi qu’à Bukhārā (Boukhara), les éléments nécessaires à sa formation et à sa curiosité. Celle-ci est aussi diverse qu’insatiable, et porte à la fois sur les mathématiques, l’astronomie, l’histoire de l’Antiquité iranienne et la philosophie ; elle se renforce au contact de personnalités comme Avicenne, avec lequel d’ailleurs al-Bīrūnī se brouillera. À vingt-cinq ans, il quitte le Khārezm ; à Djurdjān et à Rayy, en Iran septentrional, un accueil flatteur lui est réservé par l’émir Qābūs ibn Wachmgīr auquel il dédie son ouvrage les Vestiges subsistants des siècles révolus, qui sont en fait un calendrier et une chronologie des Perses, des Grecs, des Égyptiens, des juifs, des chrétiens et des anciens Arabes ; pour l’Égypte, il semble établi qu’al-Bīrūnī a connu les tables de Manéthon. En 1008, nous le retrouvons à Djurdjāniyya, où il a pour protecteur le Khārezmchāh Ma’mūn. Le désastre qui accable la province par l’entrée triomphale du sultan de Rhazna (Rhaznī) Maḥmūd vaut à al-Bīrūnī l’heureuse fortune de passer sous la protection de celui-ci. En 1017, il s’installe, entouré d’honneurs, à Ghazna (Rhaznī), devenue capitale d’un empire couvrant le Khārezm, le Sīstān, l’Afghānistān et le Pendjab ; le rhaznévide ne maintient d’ailleurs ce dernier sous sa domination qu’au prix d’expéditions renouvelées chaque année. Au cours de celles-ci, al-Bīrūnī accompagne son souverain et se livre à des recherches sur un monde jusque-là connu assez superficiellement par les musulmans. À partir de la documentation réunie au cours de ces campagnes va naître un de ses ouvrages essentiels de l’Histoire de l’Inde. Après la mort de Maḥmūd en 1030, al-Bīrūnī revient à l’astronomie et dédie au deuxième sultan rhaznévide, Mas‘ūd, son grand traité intitulé Al-Qānūn al-mas‘ūdi. C’est dans une longue retraite studieuse que, presque octogénaire, al-Bīrūnī s’éteint à Rhazna (Rhaznī).
Les cent quatre-vingts titres qui représentent l’immensité de l’œuvre réalisée par al-Bīrūnī s’appliquent soit à des traités de minime étendue, soit à des ouvrages d’une ampleur imposante. Son œuvre de mathématicien compte une vingtaine d’opuscules, mais, particularité piquante, certains d’entre eux sont en fait l’œuvre d’un de ses maîtres, Abū Naṣr al-Djili, qui avait jugé habile de les placer sous le nom de son élève ; H. Suter et E. Wiedemann ont montré l’importance de l’apport birunien dans les sciences exactes. L’autorité acquise en astronomie par al-Bīrūnī se manifeste dans le Qānūn al-mas‘ūdi, où toutes les données et observations antérieures sont reprises et complétées à partir des travaux personnels de l’auteur. Les sciences de la nature ont retenu la curiosité de ce savant, comme le prouvent son traité de minéralogie et ses écrits sur la pharmacopée. C’est toutefois comme logographe et historien qu’al-Bīrūnī prend à nos yeux toute son importance. Dans les Vestiges subsistants des siècles révolus s’affirment une ampleur de l’information et une rigueur de la critique qui placent très haut l’auteur d’un tel ouvrage ; très souvent, grâce à cette œuvre, notre connaissance de l’Asie centrale, du Khārezm en particulier, se trouve rejetée dans un passé insoupçonné ; à travers lui, l’Iran antique prend davantage de relief, rendant ainsi plus sensible la résurgence sous la forme épique qu’il doit au génie de Firdūsī. C’est naturellement dans l’Histoire de l’Inde que se manifeste avec le plus d’originalité et de grandeur la personnalité de ce savant. Devant la civilisation d’un monde dont al-Mas‘ūdī avait un demi-siècle plus tôt fait connaître les mystères, les doctrines religieuses et les sublimes réalisations artistiques, al-Bīrūnī lui aussi s’arrête et veut comprendre à la faveur d’un approfondissement. À cette tâche, il s’est préparé avec sa conscience ordinaire ; sa traduction du Yogasūtra de Patañjali atteste à la fois une connaissance du sanskrit et une capacité à s’ouvrir à la métaphysique indienne. Avec une remarquable minutie, il parvient à se donner une connaissance précise et large des structures des sociétés anciennes de l’Inde, de la hiérarchie des castes et des structures religieuses ; par voie de conséquence, il est amené à donner aux sciences occultes, astronomiques ou exactes une large place dans ses investigations.