Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Bismarck (Otto, prince von) (suite)

Dès lors, le chancelier Bismarck, principal artisan de cette unification de l’Allemagne, domine, à cinquante-six ans, la scène européenne. Brutal, implacable, avide de domination mais aussi impressionnable, rancunier, Bismarck est servi par son imagination, son intuition, son sens pratique et une intelligence utilisée principalement au profit de la politique extérieure. Le chancelier impose ses vues à Guillaume Ier, vieillard de soixante-quatorze ans en 1871, et qui disparaîtra en 1888 à l’âge de quatre-vingt-onze ans. D’une intelligence limitée, très attaché aux traditions, hésitant, influençable, l’empereur cède aux menaces de démission que Bismarck ne manque pas d’utiliser. Le chancelier gouverne avec quelques collaborateurs : Heinrich Abeken (1809-1872), Lothar Bucher (1817-1892), Friedrich von Holstein (1837-1909), n’hésitant pas à éliminer des hommes comme le comte Harry von Arnim (1824-1881), en qui il voit des rivaux possibles.


Le chancelier du Reich et les problèmes politiques

La fondation de l’Empire allemand n’a pas réglé tous les problèmes politiques : Bismarck doit, après 1871, renforcer l’autorité du gouvernement impérial face à des particularismes restés vivaces, principalement dans le Sud. Il lui appartient aussi, bien qu’il ne soit pas responsable devant le Reichstag dans un régime qui n’est pas parlementaire, de trouver des majorités pour imposer sa politique. Enfin, le chancelier doit compter avec des minorités nationales : Alsaciens-Lorrains à l’ouest, Danois au nord, Polonais à l’est.

Chancelier en même temps que président du Conseil de Prusse, Bismarck résout le problème des relations entre le gouvernement impérial et l’État le plus puissant du Reich. À l’origine, le chancelier se fait aider, à l’échelon fédéral, par les ministres prussiens, mais, peu à peu, il met en place des offices impériaux, notamment à l’Intérieur et aux Affaires étrangères. L’autorité du gouvernement impérial souffre surtout de l’insuffisance de recettes fédérales, constituées uniquement par les revenus des douanes et de quelques taxes indirectes. Le chancelier dépend donc des contributions matriculaires que les États acceptent de verser après de longues discussions. La loi douanière de 1879 ne donne pas à Bismarck les revenus espérés, et, dans ces conditions, la caisse fédérale reste insuffisante.

Bismarck s’appuie au Reichstag sur des majorités de rechange. Entre 1870 et 1877, il compte surtout sur les nationaux-libéraux et les conservateurs. À partir de 1877, sa politique douanière, sa lutte contre les socialistes imposent, devant l’hostilité des nationaux-libéraux, le concours du Zentrum, qui entend obtenir, en contrepartie, l’abandon du Kulturkampf. De 1881 à 1890, Bismarck dispose du concours des conservateurs, des nationaux-libéraux et, parfois, du centre. Mais ce cartel conservateur perd de nombreux sièges au début de 1890, mettant ainsi le chancelier dans une situation difficile.

Convaincu que les Alsaciens-Lorrains annexés n’ont qu’un vernis français, le chancelier espère germaniser rapidement le Reichsland par le jeu de la prospérité économique et par une immigration allemande. L’Alsace-Lorraine est d’abord soumise à un véritable régime de dictature ; le président supérieur apparaît comme un agent direct du chancelier. Les fonctionnaires, tous allemands, mènent une rigoureuse politique de germanisation. Ce n’est qu’à partir de 1874 que le Reichsland obtient le droit d’élire quinze députés au Reichstag. En 1879, la substitution d’un statthalter, dépendant de l’empereur, au président supérieur marque une volonté d’atténuer les rigueurs du régime instauré en 1871. Cette concession n’entame nullement l’animosité des annexés à l’égard de la politique bismarckienne ; dans les années 80, le courant protestataire se renforce en Alsace-Lorraine, d’autant plus que, au cours de la crise franco-allemande de 1886-87, les électeurs ont clairement montré où allaient leurs sympathies.

La politique de germanisation pratiquée par Bismarck dans les régions « polonaises » de l’empire n’a pas donné de meilleurs résultats. Convaincu de l’hostilité des populations polonaises, il cherche à saper l’influence du clergé et de la noblesse et à favoriser une colonisation du pays par des paysans allemands. Mais cet effort, comme la lutte contre la langue polonaise à l’école, ne donne pas les résultats escomptés. Les tentatives de germanisation des Danois du Schleswig semblent porter des fruits, au moins jusque vers 1898.


Bismarck et l’Église

Pour quelles raisons Bismarck mène-t-il une lutte difficile contre l’Église catholique et le parti catholique allemand (Zentrum) ? Le Kulturkampf n’est pas inspiré par des mobiles confessionnels. Protestant tolérant, Bismarck se laisse guider par des préoccupations politiques. Il entend briser tout obstacle à la consolidation de l’unité. Soupçonnant le clergé d’être hostile à l’Empire et d’encourager la résistance des nationalistes polonais, Bismarck veut soumettre l’Église à la raison d’État. Le chancelier se méfie de ce clergé plus disposé à obéir à Rome qu’à Berlin, à un moment où le concile du Vatican (1870) proclame le dogme de l’infaillibilité pontificale et où le Saint-Siège, auquel il est hostile, lui semble devoir encourager la formation d’un parti catholique international. Le parti catholique allemand, fondé en 1870-71, se montre favorable à un renforcement de l’autonomie des États de l’Empire, thèse combattue par Bismarck, qui accuse aussi le Zentrum de vouloir former un véritable État dans l’État.

Bismarck impose une série de mesures, entre 1871 et 1873, à la fois comme chancelier et comme Premier ministre de Prusse. La loi du 10 décembre 1871 interdit à tous les ecclésiastiques (catholiques et protestants) de l’Empire de donner et de commenter des nouvelles concernant les affaires publiques de l’État. À ce « paragraphe de la chaire » s’ajoute, le 4 juillet 1872, l’exclusion des Jésuites de l’ensemble du territoire allemand. En Prusse, Bismarck s’en prend surtout aux écoles et aux statuts des Églises, qu’il fait placer sous la surveillance de l’État. Les lois prussiennes de mai 1873 imposent des conditions à la nomination aux emplois ecclésiastiques, permettant ainsi l’ingérance de l’administration et réservant — et encore dans certaines limites — aux autorités ecclésiastiques allemandes tout pouvoir disciplinaire. Ces lois, appliquées aux protestants comme aux catholiques, provoquent une vive opposition des catholiques, car elles restreignent les droits du Saint-Siège, diminuent l’autorité des évêques et imposent le contrôle de l’État protestant sur la formation des clercs. Si la Bavière s’oppose à Bismarck, qui songe à imposer ces lois à l’ensemble du Reich, d’autres États, comme les grands-duchés de Bade et de Hesse, imitent la législation prussienne.