Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

Belgique (suite)

La Première Guerre mondiale a exercé une grande influence sur la génération nouvelle, qui, dans un élan humanitaire, s’écarte de l’individualisme et des traditions. Celle-ci fonde la revue Ruimte (1920), dont l’existence sera courte, mais efficace, et se tourne vers la poésie française (Apollinaire) et l’expressionnisme allemand. Le poète Paul Van Ostaijen (1896-1928) prône le vers libre, la « poésie pure » et domine ses contemporains de son talent à mille facettes. L’œuvre révolutionnaire de cet écrivain mort jeune a fortement influencé les « expérimentaux » de 1950 (Ville occupée, 1921 ; le Premier Livre de Schmoll, 1928). Le roman se penche sur le destin de l’homme. Les personnages de Maurice Roelants (1895-1966) n’ont pas un destin hors ligne, ne s’affrontent pas dans des conflits exceptionnels ; leur vie intérieure offre assez de variété tragique dans la recherche du bonheur. Gerard Walschap (né en 1898) s’oppose aux conceptions morales et religieuses de son époque et au style trop recherché, qui pourrait faire oublier l’essentiel du récit, la vie de tel ou tel individu, souvent débile mental ou obsédé sadique (Houtekiet, 1939 ; Sœur Virgilia, 1951). L’œuvre de Willem Elsschot (1882-1960) est froide et ironique en apparence, frémissante dans le fond (le Feu follet, 1946). Marnix Gijsen (né en 1899) se révèle en 1947 avec le Livre de Joachim de Babylone, confession sincère et sobre, un classique de la nouvelle littérature. Les noms de Filip de Pillecijn, de Maurice Gilliams et de Karel Jonckheere s’ajoutent à cette succession de talents.


Le poids du monde moderne

Pendant les années de terreur allemande, l’occupant ne put appliquer sa dure politique culturelle dans la Belgique bilingue, où une certaine continuité des lettres fut renforcée par deux jeunes auteurs : Louis Paul Boon et Johan Daisne (nés en 1912), cependant tout différents d’inspiration et d’esprit. Les romans de Boon sont issus de sa vie. Celui-ci exerce le métier de peintre en bâtiment jusqu’à la guerre. À son retour de captivité, il publie Le faubourg s’étend, qui pose le problème de l’individu face à la société et qui inaugure les récits réalistes de ce révolté, lugubres, sans espoir. Ni religion, ni patriotisme, ni amour ne trouvent grâce à ses yeux. Pendant des années, Boon est pour beaucoup objet de scandale, mais les temps changent : il conquiert le grand public avec De kapellekensbaan (1953). Piet Van Aken (né en 1920) subit l’influence de Faulkner et de Hemingway, tout en gardant une forte personnalité (Klinkaart, 1954). Avec Johan Daisne, on passe dans un autre monde. Le cinéma, dont il est un critique éminent, l’a incité, dit-il, à écrire. Dans sa prose et sa poésie pleine de fantaisie, le surnaturel touche toujours la réalité : il crée ainsi le « réalisme magique » (l’Homme au crâne rasé, 1948 ; la Narine de la muse, 1959). Hubert Lampo (né en 1920) suit la même voie dans son roman la Venue de Joachim Stiller (1960), balançant entre le rêve et la réalité.


Tendances actuelles

Vers 1950, un nouveau courant se dessine. Ses jeunes protagonistes fuient toute tradition figée et créent la poésie « expérimentale ». Découvrant Van Ostaijen et les surréalistes français, ils construisent leurs œuvres à partir du mot, évocateur d’analogies, d’images, d’idées même. Cette expression poétique trouve un accueil enthousiaste, auquel les moyens modernes de diffusion contribuent efficacement. D’abord poète, Hugo Claus (né en 1929) écrit à dix-neuf ans un roman noir, De Metsiers, suivi de Canicule (1952), puis d’Étonnement (1962) ; Sucre (1958) sera le sommet d’une brillante carrière théâtrale. Traductions, nouvelles, scénarios, essais, poèmes se succèdent et sont traduits en plusieurs langues. Claus est également peintre. Si Paul Snoek et Huugh C. Pernath se rangent parmi les « expérimentaux », les rares recueils de Jos de Haes (né en 1920) [Azuren holte, 1964] sont de forme traditionnelle, ainsi que ceux de Christine D’Haen (née en 1923). La prose, d’un naturalisme souvent cruel, reste teintée de ce spleen si particulier aux jeunes écrivains de l’après-guerre. Les écrits de Hugo Raes (né en 1929), dans lesquels méditations, souvenirs, impressions et rêves se suivent apparemment sans cohérence, sont en réalité structurés de façon fort originale (les Rois fainéants, 1961). Les romans de Jos Vandeloo (né en 1925) mettent l’accent sur l’insécurité actuelle de la condition humaine et, adaptés pour la télévision, reçoivent une plus grande audience. Le talent de Ward Ruyslinck (né en 1929), maître de la nouvelle, ne cesse d’évoluer depuis la parution de son premier roman, les Dormeurs dégénérés, en 1957. Ivo Michiels (né en 1923), critique d’art averti, cinéaste, romancier de réputation déjà internationale (Journal brut, 1958), incarne avec Paul Van Wispelaere (né en 1928) la diversité et la vigueur des lettres belges d’expression néerlandaise.

W.-H. B.

 F. Closset, Esquisse des littératures de langue néerlandaise (Didier, 1941). / J. Weisgerber, Formes et domaines du roman flamand, 1927-1960 (Renaissance du Livre, Bruxelles, 1963).


La musique belge

Si l’État belge actuel, né en 1830, se réclame d’une glorieuse tradition musicale commune à ses deux ethnies et connue fort justement sous le nom d’école franco-flamande (xve-xvie s.), la différence des langues et des affinités culturelles, soulignée par la tendance « nationaliste » propre au xixe s., justifie cependant l’examen séparé de l’école flamande, tournée vers l’Allemagne, et de l’école wallonne, tournée vers la France.

Le plus grand compositeur wallon, César Franck*, Liégeois d’ascendance rhénane, appartient d’ailleurs à la France par sa carrière, ses disciples, et même sa naturalisation, mais son rayonnement en Belgique demeure intense.

La vie musicale belge au xixe s. atteignit à un niveau remarquable sur le plan de l’enseignement et de l’interprétation. Les plus grands noms de la musique wallonne furent alors ceux de savants musicologues (François Joseph Fétis [1784-1871] et François Auguste Gevaert [1828-1908]) ou de violonistes-compositeurs illustrant l’éclat de la glorieuse école liégeoise : Charles Auguste de Bériot (1802-1870), Henri Vieuxtemps (1820-1881) et surtout Eugène Ysaye (1858-1931), dont la tradition se poursuit aujourd’hui avec Arthur Grumiaux (né en 1921).

Parmi les disciples belges de Franck figure au premier rang Guillaume Lekeu (1870-1894), fauché en pleine jeunesse, et dont on connaît surtout l’admirable sonate pour violon et piano. Les frères Joseph (1873-1953) et Léon (1884-1969) Jongen ont perpétué les traditions de la Schola à côté de bien d’autres.