Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

Belgique (suite)

Le Moyen Âge

Le premier auteur connu, Hendrik Van Veldeke († av. 1200), poète déjà évolué et raffiné du Limbourg, auquel nous devons l’ouvrage cité plus haut, adapta également l’Énéide, dans le style courtois, consacrant plus de mille lignes à l’épisode entre Enée et Didon, quand six vers suffisent à Virgile. Se trouvant au carrefour de la culture romane et germanique, le poète transmit ce style à l’Allemagne. La poésie épique, s’inspirant des modèles français, bretons et orientaux, atteint son apogée au xiiie s. : Karel ende Elegast, du cycle de Charlemagne, ne compte qu’environ 1 440 vers, mais abonde en humour, et son bon sens populaire brave les siècles. Dans les abbayes et les nombreux béguinages se développe parallèlement la mystique flamande, dont une femme, Hadewijch, est l’énigmatique interprète. La vie de celle-ci est peu connue, mais sa personnalité se révèle rayonnante dans la langue imagée de sa poésie, première manifestation en Europe de la littérature mystique en langue vulgaire. Cette spiritualité trouve son contre-pied dans l’épopée animale Van den vos Reinaerde, issue d’une branche française du Roman de Renart. Connaissant parfaitement le monde féodal, les animaux et le paysage flamands, le poète Willem montre les hommes en proie à la bêtise et la corruption. Cette satire a suscité de nombreuses adaptations modernes. Mais, « s’épanouissant comme les fleurs des champs », les légendes de Marie ont laissé un ouvrage dont le charme profond a conquis les auteurs contemporains Maeterlinck et Teirlinck : la légende de Beatrijs, récit d’un miracle de Marie ; la simplicité et la souplesse des vers en font un joyau des lettres du Moyen Âge. Jacob Van Maerlant (v. 1225 - apr. 1291) apporte cependant son érudition et ses réflexions morales au public, qui prend goût aux œuvres didactiques. C’est l’époque où la bourgeoisie se développe, réaliste, plus forte que la noblesse, à bout de souffle ; Van Maerlant fait suivre les romans courtois de ses débuts de trois gros ouvrages encyclopédiques. C’est un artiste, en revanche, que Jan Van Ruusbroec (1293-1381). Ce prêtre s’exprime en prose, fait rare jusque-là. De sa retraite en forêt de Soignes, près de Bruxelles, ses traités, sobres et élevés, parfois lyriques, atteindront l’étranger, exerçant leur influence jusqu’à Thomas a Kempis. Le théâtre profane fait son apparition au xive s. Les plus anciennes pièces européennes sont écrites en néerlandais et furent découvertes par hasard dans une vente publique en 1811. Ce sont les « abele spelen » (jeux habiles, c’est-à-dire artistiques), au nombre de quatre. Toutes sont suivies d’une farce, réaliste à souhait. Cette inspiration survit dans les « chambres de rhétorique », corporations vouées au théâtre, aux concours littéraires et aux fêtes publiques. Ces chambres contribuèrent à créer des pièces de valeur, dont Elckerlijc, devenu célèbre par la traduction anglaise Everyman, repris par Hugo von Hofmannsthal (1874-1929) dans Jedermann et par Van de Woestijne dans Le paysan qui meurt. Tout en accueillant les nouveaux courants de pensée, elles permirent aux traditions littéraires de se maintenir pendant les longues années de déclin culturel.


Réforme et Renaissance

Les conflits politiques et religieux qui secouent le pays au xvie s. donnent naissance à des ouvrages violents et polémiques. Anna Bijns (1493-1575) aiguise sa plume pour défendre l’Église contre les hérétiques, tandis que Marnix Van Sint-Aldegonde (1540-1598) sert la cause protestante et la rébellion contre l’oppression espagnole. Les « chants de gueux » sont l’expression de cette époque de lutte et de souffrances, qui finira par l’indépendance du Nord et la soumission des provinces belges. Il est regrettable que ce siècle si riche en talents et en vigueur n’ait pas eu de grand poète pour donner forme à sa légende de Tijl Uilenspiegel, qui ne sera publiée que trois cents ans plus tard en français.


Romantisme et nationalisme

Le Sud va connaître une longue période d’apathie sous la domination espagnole, autrichienne, puis française, et il faudra attendre la fin du xviiie s. pour voir renaître lentement les lettres flamandes. Après une courte réunion infructueuse avec les Pays-Bas, le nationalisme flamand cherche à regagner le terrain perdu. Les jeunes écrivains sont influencés par Walter Scott et se rattachent au romantisme. Hendrik Conscience (1812-1883) exalte le passé glorieux, évoquant dans le Lion de Flandre (1838) la bataille des Eperons d’or. Il communique son enthousiasme à la jeunesse, et ses œuvres connaîtront une longue popularité. Mais, en matière de poésie, le goût semble plus timoré. Personne ne remarque le génie d’un jeune prêtre, Guido Gezelle* (1830-1899), qui chante son pays, la nature, les fleurs, les choses les plus humbles dans une langue pure et musicale. Recherchant le mot juste, les locutions rares, le verbe poétique, Gezelle joint une technique brillante à la fraîcheur émouvante dont il a le secret.


Ouverture européenne

Le naturalisme et le symbolisme ne tardent pas, cependant, à révéler d’excellents écrivains. La « Jeune Belgique » d’expression française, avec Maeterlinck et Verhaeren, le « Nieuwe Gids » en Hollande existent depuis près de dix ans lors de la parution, en 1893, de la revue Van Nu en Straks (Aujourd’hui et demain) à Bruxelles. L’animateur de cette revue, August Vermeylen (1872-1945), en exprime l’idéal : « Nous voulons être Flamands pour devenir Européens. » Auteur du roman symbolique le Juif errant, essayiste et critique d’art, Vermeylen fut avant tout un initiateur et un guide. Mais trois grands auteurs s’imposent vers 1900 : Karel Van de Woestijne* (1878-1929), poète symboliste, partagé entre la sensualité et l’esprit, las de vivre, souvent proche de Baudelaire et de Verlaine ; Stijn Streuvels (1871-1969), neveu de Gezelle, profondément lié à la campagne, son domaine ; Herman Teirlinck (1879-1967), au talent d’une rare diversité : il donne l’impulsion au théâtre expressionniste, inspiré par le cinéma (le Film au ralenti, Je sers) ; son activité au « Vlaamsche Volkstoneel » se situe entre 1924 et 1930 ; après 1940, Teirlinck reviendra au roman et remportera en 1956 le « Prix des lettres néerlandaises », lorsque celui-ci sera décerné pour la première fois en commun par la Belgique et la Hollande. Le conteur exquis Félix Timmermans (1886-1947) occupe une place à part en dehors de tout courant littéraire, débordant de vitalité et d’humour dans ses récits ruraux (Pallieter, 1916).