Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

Barth (Karl) (suite)

Barth reçoit appel sur appel, est de toutes les conférences et discussions, et, finalement, devient professeur de théologie dogmatique à la faculté de théologie de Göttingen (1921) ; de là, il passera à Münster en Westphalie (1925), puis à Bonn (1930). Il commence à écrire une énorme Dogmatique ecclésiale, qui est son œuvre majeure, quelque 10 000 pages organisées suivant une rigoureuse architecture (prolégomènes, doctrine de Dieu, doctrine de la création, doctrine de la réconciliation), la mort l’empêchant de rédiger la dernière partie, ou doctrine de la rédemption. Il devient le maître à penser de toute une génération, le chef d’une école, celui que nul ne peut ignorer, qu’il se situe pour ou contre lui.

En 1933, les nazis triomphant, K. Barth organise avec Martin Niemöller la résistance spirituelle qui, nourrie par la revue Theologische Existenz heute, va se structurer en « Église confessante » autour de la Déclaration théologique de Barmen (1934), dont il est le principal auteur. En six points, il a formulé les axes d’un témoignage inconditionnel en face de l’idéologie du nationalisme raciste : la seule révélation de Dieu en Christ, le rejet de la séparation entre sacré et profane, la liberté de l’Église à l’égard de toute autorité, le refus du « Führerprinzip », la souveraineté de la Parole par rapport à l’autorité de l’État, la responsabilité de l’Église pour le bien de tous les hommes. Tandis que de nombreux pasteurs et laïcs sont mis en camps de concentration, à la suite de Martin Niemöller, Barth, au printemps de 1935, est expulsé d’Allemagne : c’est de Bâle, qui lui offre une chaire universitaire, qu’il continuera le combat, animant par une correspondance incessante la résistance dans le monde entier.

Mais, dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, on voit que le combat qu’il a mené n’est pas celui d’un partisan, mais d’un témoin : il devient l’avocat des Allemands vaincus et demande aux Alliés des actes de justice et non de vengeance ; plus tard, ayant visité certains pays socialistes et résolument favorable à la révolution inaugurée en 1917, il s’oppose aux déformations et aux excès du socialisme ; il prend partie contre les propagandes de la guerre froide, demande aux chrétiens de s’engager activement contre la politique d’armements atomiques et d’être les artisans de la construction d’une société civile à la taille de l’homme.

En 1956, le septuagénaire va ajouter une étape décisive à son long itinéraire : commencé dans un « non » résolu, prononcé en face de tous les affadissements humanistes du modernisme protestant, poursuivi dans un rigoureux retour aux sources, il aboutit à une remarquable découverte de l’humain, enraciné et défini dans la personne unique du Dieu-Homme. « La divinité de Dieu a, comme telle, aussi le caractère d’une humanité. » C’est l’ouverture vers l’histoire, la culture païenne, la politique et tous les domaines de l’activité de l’homme concret ; c’est la possibilité d’un dialogue authentique non seulement avec les autres chrétiens, mais aussi avec ceux qui ne parlent pas le langage théologique et ne se réclament pas de la foi chrétienne. Nombre d’œuvres de Barth en donnent un témoignage exemplaire et, en particulier, les textes sur Mozart, compléments indispensables de l’Humanité de Dieu.


La théologie de Barth

On a dit de la théologie de Barth qu’elle est une « théologie de la crise ». Cela est juste historiquement si l’on pense qu’elle est une recherche née au cœur des grands bouleversements intellectuels, moraux et spirituels engendrés par la Première Guerre mondiale : comment rendre espérance à un monde désorienté par un conflit venu ruiner l’euphorie de la « belle époque » ? Telle est la question incessamment présente à l’esprit du jeune prédicateur de Safenwil, du combattant contre Hitler et du vieux sage de Bâle. Mais cela est vrai aussi dans un sens plus essentiel : quel est le critère à quoi mesurer l’ensemble de la réalité personnelle et collective, le principe de déchiffrement de l’histoire et de l’existence ? Barth répond : la Parole de Dieu, témoignage rendu à Jésus-Christ, l’homme selon le cœur de Dieu, l’initiateur d’une humanité et d’un univers nouveaux, dans les écrits de l’Ancien et du Nouveau Testament. Cette Parole, constamment rendue actuelle et vivante par le Saint-Esprit, va dévoiler toute situation comme radicalement compromise par le péché de l’homme et totalement ouverte sur l’avenir par la présence de celui qui, en faisant toute chose nouvelle, a déjà manifesté la souveraine « philanthropie de Dieu ». Ainsi les chances à saisir sont-elles toujours plus réelles et efficientes que les périls à conjurer.

On a aussi désigné la théologie barthienne comme « théologie dialectique », ce qui signifie : d’une part, au niveau du langage, que toute affirmation concernant le paradoxe évangélique de l’incarnation brise toutes les catégories existantes ; d’autre part, qu’il s’agit de ne lâcher aucun des termes de la tension, en apparence contradictoire, entre Dieu et l’homme, entre la grâce et le péché, entre la foi et l’incrédulité, entre l’accomplissement de toutes choses en Christ et la construction d’un monde du relatif et du provisoire, entre la justification et le droit, entre l’eschatologie et l’histoire... ; enfin, qu’une théologie de la Parole crée des hommes de dialogue, puisque être chrétien, c’est être en relation avec un autre (d’où la prière comme critère décisif de l’authenticité théologique !) et par conséquent ouvert à tous les autres, disponible pour eux, à leur écoute, responsable d’eux, « proexistant ».

L’Église, pour Barth, n’est vraiment fidèle à sa mission que si elle renonce à toute volonté de puissance, n’étant là que pour les autres, au service d’une Parole libératrice des hommes pour une relation nouvelle avec Dieu et pour l’organisation d’une cité humaine où règne la justice : en l’homme Barth et en ses disciples, le sérieux théologique et la compétence dans ce domaine spécifique de la science du fait chrétien vont donc toujours de pair avec un engagement politique aussi résolu que lucide.