Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

Barth (Karl) (suite)

Si l’homme ne saurait décidément s’élever jusqu’à Dieu, l’abaissement de Dieu libère l’homme et le mobilise pour une existence désintéressée de service des pauvres et captifs et de prise au sérieux des appels que le monde lui adresse. Être chrétien, ce n’est donc pas s’évader dans l’espérance du royaume de Dieu, c’est s’enraciner activement dans le présent et l’avenir de ce monde en transformations. Ainsi Barth a-t-il, sans le savoir lui-même, ouvert la voie aux théologies contemporaines de l’herméneutique, de la sécularisation et de la révolution. Son incomparable grandeur est d’avoir décisivement fécondé et libéré pour l’aventure théologique des générations de disciples qui ne sont pas des répétiteurs serviles mais des inventeurs audacieux.

Les œuvres de Barth

1. Exégétiques (prédications, commentaires divers) ;
2. Historiques : Fides quaerens intellectum (1931), trad. fr. Fides quaerens intellectum : la preuve de l’existence de Dieu d’après Anselme de Cantorbéry (Delachaux et Niestlé, 1958) ; Die christliche Gemeinde in der Anfechtung (1942), trad. fr. les Communautés chrétiennes dans la tourmente (Delachaux et Niestlé, 1943) ; Gemeinschaft in der Kirche (1943) ; Die protestantische Theologie im 19. Jahrhundert (1947), trad. fr. la Théologie évangélique au xixe siècle (Labor et Fides, Genève, 1958) ;
3. Dogmatiques : Das Wort Gottes und die Theologie (1924), trad. fr. Parole de Dieu et Parole humaine (Éd. « Je sers », 1933) ; Credo (1935), trad. fr. Credo (Éd. « Je sers », 1936) ; Die kirchliche Dogmatik (12 vol. ; 1932-1939), trad. fr. Dogmatique (Labor et Fides, Genève, 1953-1969 ; 15 vol.) ; Die Menschlichkeit Gottes (1956), trad. fr. l’Humanité de Dieu (Labor et Fides, Genève, 1957) ;
4. Politiques et littéraires : Wie können die Deutschen gesund werden ? (1945), trad. fr. Guérison des Allemands ? (Delachaux et Niestlé, 1945) ; Die Kirche zwischen Ost und West (1949), trad. fr. l’Église entre l’Est et l’Ouest (Labor et Fides, Genève, 1950) ; Hegel (1954), trad. fr. Hegel (Delachaux et Niestlé, 1955) ; W. A. Mozart (1956), trad. fr. Mozart (Labor et Fides, Genève, 1956).

G. C.

 H. Bouillard, Karl Barth (Aubier, 1957 ; 2 vol.). / H. Küng, Rechtfertigung (Einsiedeln, 1957 ; 4e éd., 1964 ; trad. fr. la Justification, Desclée De Brouwer, 1965). / G. Casalis, Portrait de Karl Barth (Labor et Fides, Genève, 1960). / S. A. Matczak, Karl Barth on God. The Knowledge of the Divine Existence (New York, 1962 ; trad. fr. le Problème de Dieu dans la pensée de Karl Barth, Nauwelaerts, 1968). / H. Zahrnt, Aux prises avec Dieu. La théologie protestante au xxe siècle (Éd. du Cerf, 1969).

Bartók (Béla)

Compositeur hongrois (Nagyszentmiklós 1881 - New York 1945).


La fin misérable et assez obscure de Béla Bartók fut suivie d’une gloire posthume immédiate et fulgurante. Débordant le cercle étroit des spécialistes, la musique de Bartók prenait place en peu d’années au premier rang des classiques du xxe s. De pair avec celle de Stravinski, mais de manière bien plus exhaustive, elle faisait la conquête des publics les plus vastes. Ses six quatuors ont acquis une audience comparable seulement à celle des quatuors de Beethoven, ses concertos sont parmi les plus joués du xxe s. Il s’est fait autour de cette œuvre si pure, si noble, si racée, une unanimité qu’aucun compositeur depuis Ravel n’avait rencontrée.

Cet homme d’une fierté ombrageuse, ascétique en son énergie tendue, en sa volonté d’acier bridant une fébrilité tragique, refusa tout compromis, tant humain qu’artistique, et s’imposa ainsi cette existence unie et effacée, singulièrement dépourvue d’événements saillants.

La double découverte, simultanée, des richesses du folklore et de Debussy permet à Bartók de trouver sa véritable voie, à partir de 1906 environ. Après des pages de jeunesse d’essence romantique et lisztienne, il donne ainsi ses premiers chefs-d’œuvre (du premier quatuor au Prince de bois) durant une décennie à la fois folklorisante et impressionniste dominée par le Château de Barbe-Bleue. La phase suivante, celle du Mandarin merveilleux et des sonates pour violon, expressionniste et révolutionnaire, est la plus audacieuse, celle où Bartók se rapprochera le plus des recherches atonales de l’école viennoise, sans jamais rejoindre les rangs sériels. Pas plus que ses contemporains, Bartók n’échappera à la vague de néo-classicisme et de « retour à Bach », mais, pour une nature d’élite comme la sienne, avec des résultats singulièrement bénéfiques, dénués de tout effet de pastiche ou d’exercice de style. Cette influence en profondeur illumine les concertos pour piano nos 1 et 2 et la Cantata profana. Entre 1934 et 1939, l’art de Bartók atteint à son zénith, à son point d’équilibre et de synthèse, incarné par les trois chefs-d’œuvre que sont le 5e quatuor, la Musique pour cordes et la sonate pour deux pianos et percussion. L’effroyable tristesse du 6e quatuor (1939), chant d’exil et de mort, ouvre le douloureux épilogue américain, au cours duquel Bartók arrache au silence de rares œuvres, mais qui n’atteignent plus qu’exceptionnellement (sonate pour violon seul) à la perfection fulgurante des œuvres de la haute époque.

Le style musical de Bartók est né de la nécessité de créer un langage adapté au folklore primitif de la Hongrie, mais aussi des pays avoisinants ou lointains (Slovaquie, Roumanie, Bulgarie, Turquie, Afrique du Nord), qu’il prospecta toute sa vie sans relâche, muni de cylindres d’enregistrement, et dont il ramena un trésor de près de dix mille mélodies. Il s’efforça de démontrer que tous ces chants avaient des racines structurelles communes ; cette conception d’un folklore universel rejoignait son pacifisme généreux et fraternel. Il avouait avoir passé parmi les paysans les meilleurs moments de sa vie, ajoutant : « Les paysans sont animés de sentiments pacifiques ; quant à la haine sociale, elle est le fait des couches supérieures. » Mais il constata très vite que ces mélodies échappaient aux lois du langage classique traditionnel, à l’harmonie tonale tout comme aux rythmes mesurés réguliers. Liszt avait déjà intuitivement pressenti tout cela, mais ce fut le coup de baguette magique de la fée debussyste qui permit à Bartók, libéré du passé académique, de forger ce langage neuf. Fixé dans ses grandes lignes vers 1910, il ne cessera d’évoluer et de s’enrichir dans le détail. L’auteur ne le codifia jamais, mais d’éminents exégètes s’en chargèrent, notamment Ernö Lendvai.