Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

baroque (suite)

Rome

La patrie d’origine, nul ne le conteste, est l’Italie* et singulièrement la ville des papes, Rome*. Dans une large mesure, d’ailleurs, le baroque reste un art surtout religieux, marqué par le triomphalisme de la Contre-Réforme. On a, abusivement d’ailleurs, parlé d’« art jésuite ». Les principaux responsables du baroque restent les papes, qui, au début du xviie s., entreprennent une œuvre grandiose de bâtisseurs et d’urbanistes, donnant à la Ville éternelle un visage nouveau. Le premier artiste marquant, Carlo Maderno (1556-1629), chargé de la façade de Saint-Pierre, ne se départit pas d’une certaine timidité, mais, dans la façade de Santa Susanna, il donne les prototypes des frontispices d’églises baroques. Sans doute en trouverait-on l’amorce dans la façade du Gesù, et Maderno apparaît-il comme un successeur du Vignole*. Mais ce qui est nouveau, c’est l’articulation plus accentuée, les décrochements, le souci d’éviter la platitude et d’animer la surface. Les éléments ne sont plus fonctionnels, ou conformes à Vitruve, mais concourent à l’effet, un effet volontiers théâtral, avec des jeux subtils d’ombres et de lumière.

Ces tendances vont s’affirmer avec le Bernin*, sculpteur de formation qui devient le principal maître d’œuvre des entreprises pontificales grâce à l’appui d’Urbain VIII. Dans une église comme Sant’Andrea al Quirinale, le Bernin fait un emploi systématique de la ligne courbe et ajoute à la lumière la couleur des matériaux, le contraste des marbres polychromes, du bronze, du stuc. La féerie se précise, toujours dans une note grandiose, et cette féerie est parfaitement organisée, savamment orchestrée. Tous les arts interviennent, non pas chacun à sa place et selon ses propres lois, mais intégrés dans une synthèse où tous se plient et se renforcent ; l’œuvre est avant tout un prodigieux travail d’imagination qui cherche constamment à se renouveler, à aller toujours plus loin dans la contrainte de la matière. Il est incontestable que la personnalité de Michel-Ange* hante le Bernin. Michel-Ange, dans son dynamisme tourmenté qui va jusqu’au monstrueux, est bien un ancêtre du baroque. C’est sous la coupole de Michel-Ange que le Bernin place son colossal baldaquin, et il fallait la chaire de Saint-Pierre, avec sa gloire rayonnante qui fut tant imitée, pour compléter cet ensemble solennel, comme à l’extérieur la colonnade, solution audacieuse mais parfaite. Les réalisations du Bernin dans le domaine de l’architecture civile (palais Barberini) et de l’urbanisme (fontaines de la place Navone) sont tout aussi exemplaires.

Borromini*, architecte avant tout, fait franchir à l’édifice baroque l’étape décisive qui lui confère une personnalité encore plus accusée. Le Bernin, par souci du monumental, n’avait pas su franchir cette limite. Borromini joue inlassablement avec les lignes et les surfaces, ne leur laissant aucun répit, préférant toujours sinuosité, ondulation à ce qui est droit et plat, obsédé par l’ovale et l’ellipse. Ses principales œuvres, San Carlino alle Quattro Fontane, Sant’Ivo alla Sapienza, la façade de Sant’Agnese, exerceront une influence très longue et très lointaine, et la meilleure part de l’architecture baroque danubienne lui doit son existence. L’autre grand créateur qui cause un ébranlement comparable à celui de Borromini a laissé ses œuvres majeures dans le nord, à Turin*, non loin du domaine germanique. Le père Guarino Guarini* est un moine théatin qui a mené une vie errante, théoricien, visionnaire plus que constructeur. Lui aussi joue avec les lignes courbes, dénature et torture les ordres classiques, cherche les effets d’éclairages mystérieux et des solutions inédites pour les voûtes.

À côté de ces géants, les autres architectes pâlissent quelque peu, même s’ils ont produit davantage. Ainsi Carlo Rainaldi (1611-1691), à qui Rome doit quelques-unes de ses plus belles églises (Santa Maria in Campitelli), Pierre de Cortone*, heureusement inspiré lui aussi, et dont le génie éclate dans le décor peint. Plus tard, au xviiie s., les grandes traditions sont maintenues à Rome avec Alessandro Galilei (1691-1736) [façade de Saint-Jean-de-Latran] et Ferdinando Fuga (1699-1781) [palais Corsini, Santa Maria della Morte].


Architecture baroque en Italie

Au Piémont, Juvara* se pose en rival plus qu’en continuateur de Guarini, sensible à la majesté plus qu’au jeu des courbes (palais Madame à Turin, château de Stupinigi). Son audience internationale étend son influence au xviiie s. Bernardo Vittone (v. 1705-1770) continue les recherches de Guarini dans un esprit rococo. À Venise*, Longhena* opte pour un art essentiellement scénographique, et son chef-d’œuvre, Santa Maria della Salute, est partie intégrante du décor de la lagune. Des artistes originaires de Bologne, les Galli, dits Bibiena, acquièrent au xviiie s. un renom international dans le domaine de l’architecture, de la peinture en trompe l’œil et de la scénographie ; ils construisent un peu partout des salles d’opéra et imaginent des décors de scène en spéculant sur les effets de perspective. On retrouve le même goût du spectacle dans les grands centres urbains : Gênes*, avec ses palais ; Naples*, qui se baroquisera avec Luigi Vanvitelli (1700-1773). Mais des variantes régionales apparaissent à Lecce, dont les façades surchargées suggèrent une influence espagnole. La Sicile* une fois encore se montre originale dans son interprétation ; après un tremblement de terre (1693), toute une ville baroque surgit, Noto, restée telle qu’elle a été conçue dans son urbanisme concerté.


Le baroque, art de fête

Le souci de constituer des ensembles, des perspectives, des points de vue appartient bien à l’esthétique baroque, qui sait y intégrer même les monuments d’un autre âge. Comme on peut le sentir à Rome sur la place Navone, où est reprise la forme allongée du stade de Domitien, ponctuée en son centre par les fontaines du Bernin, magnifiée par la grandiose composition de Borromini pour Sant’Agnese, bordée de palais, le tout organisé pour la scénographie : et l’on sait précisément que la place était le lieu privilégié des grands déploiements féeriques pour les célébrations, avec feux d’artifice, architectures éphémères, voire joutes nautiques. Le goût de la fête transparaît non seulement dans les façades où le soleil produit mille effets changeants selon les heures du jour, mais aussi dans les intérieurs. Là scintillent les ors et les bronzes, tandis qu’à la polychromie des marbres répond le chatoiement des fresques mettant en tourbillon un peuple allègre et coloré ; là les architectures feintes et audacieuses où se meuvent les personnages semblent prolonger à l’infini l’architecture réelle dans une illusion, un trompe-l’œil qui les mêle intimement ; à ces troupes peintes se joignent les groupes en stuc, débordant sur les arcs et les corniches au risque de noyer quelque peu les membrures de la construction, tout étant sacrifié à l’effet de féerie, voire même de fantasmagorie. Le baroque s’écarte du réel pour verser dans l’évocation d’un monde supraterrestre, où tout devient mystère de l’au-delà, vision immatérielle, assemblée céleste, domaine où la raison cède la place à la mystique, et cela dans un langage parfois ésotérique pour l’homme du xxe s., en ce qu’il est soumis à une iconologie complexe où la symbolique chrétienne fait bon ménage avec une mythologie païenne annexée sans gêne. Cet univers est celui de la grâce, de la grâce sensible qui aboutit à l’optimisme et à la ferveur, à l’extase dans la communion des saints, si l’on veut à une sorte d’antihumanisme qui renie la sévérité et le pragmatisme de la Renaissance. On se défie de l’intelligence, c’est aux sens que l’on s’adresse. Le système artistique du baroque répond donc bien à une conception du monde, des rapports de l’homme et de Dieu, très spécifique, éloignée aussi bien de la philosophie antique que de la théologie médiévale et des remises en question de la Renaissance.