Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

baroque (suite)

Dynamique d’une époque : l’âge baroque

La mise en lumière de l’âge baroque permet, derrière les découvertes scientifiques, les mutations politiques, les remises en question philosophiques, de voir s’élaborer un humanisme nouveau, qui prend souvent l’aspect d’un antihumanisme.


Révolution culturelle

La forme de la culture est liée au progrès des connaissances. Copernic a ôté à la terre son privilège cosmocentrique ; Giordano Bruno ouvre aux univers multiples l’infini ; Kepler, par la découverte de l’orbite elliptique des planètes, enlève à la circonférence son privilège de perfection. Un univers baroque, ouvert, polycentré ou décentré, tout mouvement et métamorphose, remplace l’espace clos et les sphères tranquilles de l’astronomie aristotélicienne. La civilisation européenne perd elle aussi ses privilèges : les explorations des nouveaux continents font découvrir des fils inattendus à Adam. Le cercle du savoir s’est brisé ; l’imagination, libérée des contraintes intellectuelles archaïques, fait de nouvelles certitudes avec ses fantasmes. L’homme n’est plus la mesure de toutes choses.


Les désarrois de la raison, les pouvoirs de l’investigation

Ces remises en question entraînent une résurgence du réflexe conservateur : le dogmatisme réactionnaire, parmi les gens établis, se fait d’autant plus dur qu’il se sent menacé. L’illuminisme et l’utopisme, sur des données mal établies, font la même démonstration de fanatisme, en sens inverse. Une voie nouvelle s’offre pour les esprits sensés : celle du doute, d’abord angoissé, et bientôt créateur. C’est ce « que sais-je ? » qui va donner naissance à des investigations positives.

Les uns tirent des conséquences fidéistes de l’impossibilité de connaître par voie rationnelle : on voit sourdre de nouveau le courant de la « docte ignorance », qui tire ses raisons des désarrois de la raison. L’époque est emplie de mystiques. D’un autre côté, les progrès visibles de la science incitent à un approfondissement de la méthodologie rationnelle. Au-delà du néo-aristotélisme rationaliste de l’école padouane, puis du libertinage érudit, le cartésianisme trouve peu à peu sa voie.

La mentalité baroque se forge dans ce foisonnement intellectuel, en ce point de l’histoire où tout se perd, tout se crée, tout se transforme. Riche de toutes sortes de possibilités, ce qui la caractérise, c’est la prédominance de la recherche sur la certitude, de l’effort sur la force, qui l’emplit d’un désir de tout embrasser au risque de mal étreindre.


Unité et multiplicité

Brisures, fissures, ruptures, ces mots propres à l’esthétique baroque s’appliquent aussi à l’évolution politique. La première rupture fut celle, réalisée par une Réforme dépourvue elle-même d’unité, de l’appareil idéologique et politique qui soutenait le christianisme. Ce fut là un grave traumatisme dans l’esprit d’hommes qui restaient malgré tout conditionnés par l’idée unitaire : Dieu est un, Satan est pluriel. De là les fanatismes et les désarrois. Le pluralisme s’impose sur le plan politique : c’est l’Europe des nationalités. Les tentatives unitaires recouvrent des visées impérialistes ou font resurgir de vieilles nostalgies (l’idéal des croisades restauré au moment de l’avancée turque), mais restent lettre morte. L’unité est remise en question à l’intérieur même des États : tentatives d’organisation démocratique qui tournèrent vite à la dictature ; luttes entre oligarchies aristocratiques (la France depuis les Guise jusqu’à la Fronde) ou bourgeoises (Pays-Bas, révolution anglaise) contre le pouvoir centralisé. Selon les cas, on peut aboutir soit à la reconquête de l’unité, comme en France, soit à un libéralisme qui pose comme postulat l’existence d’un pluralisme (Hollande, Suède). Ce qui importe, c’est l’état de tension et de conflit permanent, qui entraîne violence ou dissimulation. Manœuvres clandestines, coups de force, labyrinthes diplomatiques, lignes politiques brusquement infléchies, l’histoire elle-même épouse les ruptures et les recourbements d’une construction baroque.

Ainsi s’éclairent les affinités structurelles de cette période avec d’autres, et particulièrement avec la nôtre. Ces correspondances expliquent les emplois polyvalents du mot baroque et la vogue dont il a pu jouir : ils répondent à la diversité et aux multiples résonances qu’éveillent en nous les objets mêmes qu’il désigne. Il est donc légitime d’y chercher, au-delà d’une mode, une permanence.

C. G. D.

➙ Aubigné (Agrippa d’) / Contre-Réforme / Croce (Benedetto) / Espagne / France / Góngora y Argote (Luis de) / Grimmelshausen (Hans Jakob Christoph von) / Italie / Maniérisme / Montaigne (Michel de) / Ors y Rovira (Eugenio d’) / Tasse (le).


L’art baroque

Il est généralement admis que le baroque désigne une certaine forme d’art dynamique, lyrique et pathétique qui, née en Italie, s’est épanouie en Europe occidentale et dans son annexe, l’Amérique latine, entre la fin de la Renaissance et le retour au classicisme. Il y a le problème des mutations du baroque, dans sa dernière phase, au cours du xviiie s. Le rocaille* fait-il partie du phénomène baroque, ou faut-il soigneusement le distinguer comme étant d’une essence toute différente ? Rocaille et rococo sont-ils deux termes interchangeables, selon une confusion très répandue encore de nos jours ? En marquant bien que le débat est toujours ouvert, nous admettrons la filiation évidente du rococo et du rocaille par rapport au baroque, et nous y verrons deux manifestations tardives du baroque, mais bien distinctes entre elles et pas forcément concomitantes. Alors que le rocaille concerne la France et une mode très particulière qui régna surtout dans les arts décoratifs de la première moitié du xviiie s., avec un apogée entre 1720 et 1740, le rococo constitue l’admirable épanouissement très tardif — entre 1720 et 1780 — d’un style de construction et de décor qui dérive manifestement du baroque italien, mais reçoit aussi des apports français et notamment rocaille.