Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

baroque (suite)

La sculpture baroque en Italie

Le baroque n’est donc pas seulement architecture, mais davantage art du décor qui englobe toutes les disciplines, et en premier lieu celle du sculpteur. La sculpture décorative élabore un répertoire de prédilection, cartouches et trophées, formes typiquement baroques dans leur variété infinie. La statuaire tout naturellement participe au faste et au spectacle, et cela d’autant plus facilement que la ductilité du stuc lui permet toutes les contorsions, toutes les fantaisies. À Rome, le grand maître, là encore, est le Bernin. Il montre à la fois sa piété envers l’Antiquité et sa formation maniériste dans les grands groupes en marbre de la villa Borghèse, d’où procède une bonne partie de ceux qui peuplèrent les parcs royaux et princiers de l’Europe. Son influence dans le domaine de la sculpture religieuse est encore plus considérable : le type de l’ange berninien envahit le monde occidental, de même que ses saints révulsés dans l’extase ou pantelants dans le martyre. Plus faible en regard apparaît le retentissement de l’œuvre de son rival, l’Algarde*, qui se veut plus respectueux de l’héritage antique. Le drapé berninien, défiant les lois de la pesanteur et se jouant de la matière, emporte l’adhésion enthousiaste, même si les émules l’alourdissent. Il fera école jusqu’à Canova*, et se réclameront de lui de grands artistes comme Domenico Guidi (1625-1701), Antonio Raggi (1624-1686), Camillo Rusconi (1658-1728) et Filippo Della Valle (1697-1768). L’empreinte du Bernin se retrouve aussi chez des étrangers sensibles à sa magie et à son art extrême d’animer le marbre : c’est le cas de Pierre Legros (1666-1718) et de Michel-Ange Slodtz*. Il faut aussi chercher son influence dans les autres centres d’Italie, à Gênes notamment, où elle se combine avec le souvenir de cet autre grand sculpteur baroque qu’est Puget* et où, autour de Giacomo Filippo Parodi (1630-1702) et de Francesco Schiaffino (v. 1690-1765), s’organise une véritable exportation de statuaire religieuse dans toute l’Europe ; à Venise et dans le Nord avec Giovanni Bonazza (actif entre 1695 et 1730), où les formes berniniennes s’amenuisent, s’énervent, frôlent la caricature et sont prêtes à passer les Alpes pour alimenter le rococo germanique ; à Florence avec Giovanni Battista Foggini (1652-1725), à Naples avec Antonio Corradini (1668-1752) et Francesco Queirolo (1704-1762), en Sicile avec l’infatigable Serpotta*, qui pousse le stuc dans ses dernières limites.

À côté de la sculpture d’église prospère une statuaire mythologique qui peuple les jardins et les salons et qui ressortit bien à la même esthétique. Au cours du xviiie s., l’art de cour et l’esprit galant venus de France pénètrent la péninsule et s’adaptent sans peine au système baroque, comme on peut le constater dans les jardins de Caserte. Et jamais la sculpture liée à l’urbanisme n’aura créé une œuvre plus séduisante, dans son fracassement d’eau limpide, que la fontaine de Trevi à Rome. Le bassin de Neptune à Versailles*, qui en procède, n’atteint pas à son allégresse, de même que l’Enlèvement de Proserpine de Girardon, malgré son habileté, reste en deçà du groupe souverainement traité par le Bernin.


La peinture baroque en Italie

Le problème de la peinture baroque est plus complexe, car les traditions léguées par la Renaissance et le maniérisme restent plus vivaces et apparemment moins empressées à se plier au nouveau système. Il subsiste toujours un courant classique et Poussin poursuit son œuvre au-delà des modes. Il en est de même d’un Vélasquez en Espagne ou d’un Rembrandt en Hollande, en apparence insensibles aux impératifs baroques. Il serait pourtant téméraire de les couper ainsi arbitrairement de leur époque ; une analyse sans préjugé révèle qu’ils ont été touchés eux aussi par cette nouvelle vision du monde et n’ont pu s’en abstraire complètement.

Autre courant, le caravagisme (v. Caravage [le]) n’est-il pas en harmonie avec le baroque, qui lui aussi étudie les effets d’ombre et de lumière ? En vérité, il vivifie la grande peinture baroque et l’empêche souvent de tomber dans la déclamation vide et superficielle, il sert d’aliment à son sens du drame et à son goût du contraste. Cependant, en Italie et à Rome en particulier, au xviie s. c’est la seconde génération bolonaise (v. académisme) qui triomphe, avec des artistes superbes, très maîtres de leurs moyens, comme Guido Reni, le Dominiquin, l’Albane, le Guerchin, qui n’ignorent pas l’apport du Caravage et entretiennent l’héritage des Carrache*, mais avec une ampleur nouvelle et en servant une iconologie qui est incontestablement baroque, c’est-à-dire que leurs tableaux ou leurs fresques, tout en manifestant un métier admirable et un don d’observation souvent scrupuleux, évoquent le monde irréel des saints ou des héros entourés de leurs symboles dans des attitudes tourmentées et extatiques.

Un des grands inventeurs du baroque occupe à Rome une place essentielle dans le décor peint. Pierre de Cortone* fait éclater sous les voûtes du palais Barberini les fanfares de sa peinture joyeuse, témoignage à la fois d’une imagination toujours en éveil et d’un sens de la couleur qui n’est plus désormais l’apanage des Vénitiens. Giovanni Lanfranco (1582-1647) apporte une note corrégienne à ses grandes compositions (coupole de Sant’Andrea della Valle). Plus tard, Carlo Maratta (1625-1713), le P. Andrea Pozzo (1642-1709) [voûte de Sant’Ignazio], Luca Giordano (1632-1705), fougueux et inépuisable, attestent la vitalité de cette peinture. Il restera au xviiie s. à explorer des formules plus originales, tant il est vrai que l’art baroque se prête aux mutations sans perdre de sa force créatrice. L’intérêt se déplace quelque peu en dehors de Rome, où l’un des plus doués est un Français acclimaté à la ville des papes, Subleyras*. Venise retrouve une nouvelle splendeur avec Giovanni Battista Piazzetta (1682-1754), mais surtout avec Giambattista Tiepolo*, artiste qui porte la peinture baroque à l’un de ses plus hauts degrés par la fantaisie inépuisable de ses compositions, animées d’une allégresse qui sait traduire des nuances subtiles, servies par un don de la couleur légère et transparente. Ses personnages aigus, ses draperies claquantes seront transposés dans les grands monastères rococo, et l’un de ses chefs-d’œuvre est le décor du palais épiscopal de Würzburg.