Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
Y

yiddish (littérature) (suite)

Le maître de cette époque ultime est Elia Levita (1468 ou 1469-1549), plus connu comme grammairien de l’hébreu que comme poète : son chef-d’œuvre est une reprise d’un roman courtois, Bevis of Hampton, italianisé en Buovo d’Antona, ce qui donnera le Bovo-Buch (1541), reflet d’une époque et expression du tempérament exceptionnel d’un homme qui alliait la piété traditionnelle, les scrupules du savant et le scepticisme esthétique de la Renaissance.

Mais bientôt le roman courtois puisera son inspiration dans la Bible et transposera en chevalier le roi David : ses exploits amoureux, il est vrai, se prêtent à ravir à cette adaptation, farcie d’extraits du Midrash.

Cependant, la prose va se développer rapidement à travers des ouvrages religieux et didactiques. On édite le Pentateuque dès 1544 à Augsbourg et à Constance. La Bible, elle-même, sera traduite grâce à Jekuthiel Blitz et à Joseph Witzenhausen à la fin du xviie s. Puis apparaîtront des traductions du rituel, commandes de femmes de la société aisée. On voit même naître des ouvrages composés par des femmes pour les femmes : la plus célèbre de ces poétesses est Sara Bas-Tovim, dont l’œuvre se présente comme un « remède pour l’âme en ce monde et dans l’autre ».

Trois genres s’établissent ainsi et s’organisent : le manuel satisfait les besoins de l’étude ; le livre de prières ceux de l’âme ; le livre populaire assure le divertissement.

Deux phénomènes marquent cette époque : 1o l’épopée se familiarise et se condense en une collection, le Maasse-Buch (1602), source de la littérature narrative en yiddish ; 2o la paraphrase biblique atteint sa perfection dans la Tseene u Reene (Sortez et voyez), amalgame de commentaires et d’évocations allégoriques ; une foi populaire et naïve baigne ce « livre d’heures de la femme juive ». Son influence s’est exercée sur la littérature yiddish tout entière, même la plus moderniste.

Le rôle de la femme se verra, d’ailleurs, consacré par les mémoires de Glückel von Hameln (1645-1724) : la modeste chronique d’une famille devient ici œuvre d’art.


Rationalisme et piétisme

Deux mouvements amorcent la transition vers les temps modernes. L’un croit en la toute-puissance de la Raison : ce sont les Lumières du Haskalah ; l’autre croit en celle du sentiment : c’est le hassidisme (ou piétisme).

En Europe occidentale, le yiddish jette ses derniers feux à la fin du xviiie s. avec une traduction de Robinson Crusoé (1750) et les comédies des années 90 Reb Henech ou Qu’en fait-on ? d’Isaac Euchel (1756-1806) et Légèreté et bigoterie d’Aron Wolfson (1754-1835), qui font tout à la fois la satire du formalisme de la vieillesse et de l’insouciance des jeunes émancipés. Mais, parallèlement, s’esquisse un renouvellement de l’esprit religieux, appuyé sur l’imagination populaire, qui marque le hassidisme. Le yiddish n’est plus seulement une langue d’usage : il est promu à la prière. « Le monde, écrit le petit-fils du fondateur du hassidisme, Rabbi Nahman de Braslav (1722-1811), croit que les contes sont bons à endormir et je dis que les récits, les contes sortent les gens du sommeil. » Le monde hassidique est désormais une source inépuisable d’inspiration. Au conte populaire se superpose la vision mystique. Les récits s’interprètent comme l’Écriture sainte, se lisent à plusieurs niveaux, avec leur sens allégorique, moral, anagogique, l’homme de la rue se contentant du sens littéral.


La littérature moderne

La littérature moderne s’annonce dans le Livre des remèdes de Moïse Marcuse (Mojzesz Markuze), qui est plus qu’un ouvrage de médecine, car il traite de questions culturelles, économiques et sociales. Mais aussi dans le livre des Proverbes, traduit par Mendel Levin, et dans le théâtre (le Monde à vau-l’eau [Di Hefkervelt]) d’Isaac Ber Levinson (1788-1860).

Israel Aksenfeld (1787-1866) est le père du roman juif, Salomon Ettinger (1803-1856) le créateur du théâtre juif (Serkele), mais le véritable initiateur de la littérature yiddish fut Eisik Meir Dick (1814-1893), qui sut à la fois diffuser ses livres à près de 100 000 exemplaires et faire passer sous une apparence traditionnelle les idées des lumières. Son air de moraliste bonasse rassurait. Il prépara la voie à ses successeurs en édifiant trois principes majeurs : 1o utiliser plutôt l’humour que la satire ; 2o choisir ses sujets dans l’histoire juive ; 3o utiliser toutes les ressources du folklore. Ses personnages annoncent en effet les types d’Abramovitz*, de Cholem* Aleichem et de I. L. Peretz.

L’industrialisation accélérée de la Russie après l’émancipation des serfs, le développement des chemins de fer permirent aux Juifs de devenir comptables ou employés des fournisseurs des magasins gouvernementaux. La culture devenait moyen de vivre. Or, ces groupes subirent l’influence de l’intelligentsia russe et furent marqués par le populisme, qui toucha, entre autres, Abramovitz et J. M. Lifshitz. L’attention accordée au peuple entraînait le respect de sa langue, qu’on cherchait non seulement à laïciser, mais encore à ennoblir et à enrichir. Tandis que se développe un journalisme en yiddish (A. Zederbaum, Lifshitz, J. J. Gerner, Moshe Leib Lilienblum [1843-1910]), qu’apparaît une poésie nouvelle (Eliakum Zunser [1836-1913], Yehudah Leib Gordon* [1830-1892], Abraham Goldfaden [1840-1908]), trois grands classiques vont émerger : Chalom Yaacov Abramovitz, dit Mendele-Mocher-Sefarim (1836-1917) ; Cholom Rabinovitch, dit Cholem Aleichem (1859-1916) ; Isaac Leib Peretz (1852-1915).

La littérature yiddish, avec eux, passe du stade d’une littérature de colporteurs à la dignité de la création esthétique. Isaak Joel Linetzki (1839-1915) [le Petit Gars de Pologne, 1868], Mordekhai Spektor (1858-1925) [le Moujik juif, 1884] et Jacob Dineson (1856-1919) [Yossele, 1899] avaient cherché à informer la masse, à décrire la vie populaire et à apporter la joie dans le foyer juif. Ils ne s’élevaient guère au-dessus du monde spirituel du lecteur moyen. Avec Mendele (Abramovitz) ou Peretz, la littérature a désormais d’autres ambitions. Ce sont des écrivains du peuple, qui vont créer une littérature nationale. Mais ils s’adressent aussi à l’homme cultivé, au docte. Ils cherchent à atteindre les nouveaux intellectuels qui ont déjà bénéficié de la culture européenne, qui ont goûté à la littérature russe, polonaise ou occidentale. Avec Peretz, la jeune littérature yiddish part sur la grand-route. Elle cherche le « si ce n’est plus haut » de la vie juive et intègre les influences créatrices de la littérature mondiale.