Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
Y

yiddish (littérature) (suite)

La dignité du yiddish

À l’origine, il s’agit de démontrer l’utilité du yiddish. Au lieu de déplorer l’enfermement du ghetto, son style de vie périmé, de mépriser sa langue comme un « jargon », des esprits éclairés surent avoir une attitude positive à l’égard de l’homme juif et comprirent les besoins de ce peuple. C’est ainsi que le docteur Marcuse, établi en Pologne dès 1774, rédigea en yiddish son livre de médecine populaire Sefer Hareques (le Livre des remèdes, 1790) ou que Mendel Levin (ou Lefin, 1749-1826) se mit à traduire la Bible en une langue accessible au plus grand nombre. Un pas décisif est fait avec Kol Hamnaser (la Voix qui annonce), le premier journal juif qui commence à paraître en Russie en 1862. Yehoshua Mordekhai Lifshitz (1829-1878) et Aleksander Zederbaum (1816-1896) y affirment la valeur et l’utilité du yiddish, le premier notamment dans son essai Quatre Classes et dans un dialogue rimé, Yual et Judith (les Juifs et leur langue), où Judith montre à son mari que les autres langues ont été un jour plus laides qu’elle :
Elles avaient de bonnes situations, on les a soignées jour et nuit
C’est pourquoi elles jouent de grands rôles, on danse avec elles et on rit,
Essaie de bien m’attiffer, me peigner, me poudrer,
Tu en auras quelque sueur, mais tu auras le plaisir après.
En 1908, au congrès de Tchernovtsy (Czernowitz), le yiddish est reconnu comme langue nationale juive. I. L. Peretz* montre que le yiddish est un moyen de garder unie la nation à travers les générations et les continents. Expression de la conscience juive, le yiddish devient un instrument de création de formes de vie modernes. Peretz voulait que le yiddish se pénétrât du martyrologue juif, du hassidisme* et de la cabale* (ou kabbale) : il voyait dans cette langue la conscience du temps et le lieu de regroupement des forces créatrices d’Ashkenaz pendant mille ans. Pour Haim Zhitlovski (1865-1943), le yiddish est le véhicule de la modernité juive : à l’époque des pogroms, il appelle les étudiants juifs qui portent l’uniforme à parler yiddish. Quant à Nathan Birnbaum (1864-1937), il voit dans cette langue populaire un moyen de faire du Juif un homme qui bâtit et qui vit.

La période de l’entre-deux-guerres voit se développer une nouvelle phase : l’intérêt pour le yiddish correspond à un changement d’attitude à l’égard du peuple. Considéré jusqu’alors comme une masse inculte, même par les révolutionnaires, le peuple n’était qu’objet de philanthropie ou de pitié. Mais, dans le premier quart du xxe s., c’est du peuple que surgissent les écrivains, les militants, les savants. C’est auprès du peuple qu’on apprend la sagesse malicieuse des proverbes, la beauté des chants ancestraux.

Le peuple est le gardien des trésors culturels de la nation. Ce n’est pas par hasard que Peretz s’adresse au hassidisme, qui réunit deux aspects capitaux : les luttes de l’individu solitaire, mais aussi sa proximité de la masse. La langue est la plus belle création du peuple, qui trouve son expression dans le folklore yiddish, dans le théâtre, dans l’art populaire.

Ce renouveau culturel a sa réplique sociale avec le mouvement du « yidichisme », dont les leaders sont Zalman Reisen (1897-1941) à Vilna (Vilnious) et Noé Prilutski (Zui Prilucki) à Varsovie.

La dernière étape dans l’évolution du yiddish est celle des années de guerre et de l’holocauste. Le Juif du ghetto — le survivant et le disparu — a fait du yiddish une langue sacrée.

Le yiddish est non seulement un objet d’étude livré à l’analyse des linguistes, mais le bien du peuple qui l’a fait croître et le fera vivre, comme le célèbre dans la Joie du mot juif (1961) Jacob Glatstein (né en 1896) :
Ô, laissez-moi accéder à la joie du mot juif (yidich)
Donnez-moi des jours entiers, pleins
Liez-moi, tissez-moi
Dévêtez-moi de toutes mes vanités
Nourrissez-moi par des corbeaux, offrez-moi des miettes
Un toit troué et un lit dur.
Mais donnez-moi des jours entiers, pleins
Ne me laissez pas oublier même un instant le mot yidich (juif).

En fait, l’histoire littéraire du yiddish se divise en deux moments majeurs : une « préhistoire » qui se prolonge jusqu’au Siècle des lumières et la période de conscience littéraire et culturelle qui se manifeste alors et se prolonge jusqu’à nos jours.


La littérature en vieux yiddish

Trois courants caractérisent la littérature en vieux yiddish : le genre épique, le roman courtois (le mot maasse, qui, en hébreu, veut dire « action », signifie « récit » en yiddish), les œuvres religieuses (traduction du Pentateuque, rituels de prières).

On voudrait voir volontiers dans l’apparition des genres une succession qui irait du profane (l’époque du trouvère) au sacré (l’époque édifiante). Il est vrai que des poètes errants, jongleurs ou trouvères, déclamaient en public des poèmes en vers psalmodiés selon une mélodie empruntée au folklore germanique. La collection la plus importante de chansons — celle de Menahem Oldendorf — date de 1450 (la métrique et la mélodie du chant « Hoch rief der Wächter » se retrouvent dans le chant bilingue hébreu-yiddish « De l’amour, de l’argent »). Ce genre influença même les talmudistes, qui composèrent sur l’air du « Herzog Ernst » un exposé des règles de l’exégèse, sous le titre de Hilchosse kemon.

Jusqu’au xve s., la littérature épique (chansons de geste, romans courtois) trouve un écho en yiddish. Le plus ancien texte en yiddish, après le Rituel de Worms de 1272 et le manuscrit de Cambridge de 1382, n’est qu’une transposition de l’épopée de Gudrun, sous le titre de Dukus Horant. Il existe également une adaptation du cycle de la Table ronde qui se réduit à une simple aventure amoureuse.

En fait, la poésie épique connaît une évolution : dans un premier temps, on imite ; dans un deuxième, les thèmes bibliques sont restructurés selon l’esprit du temps ; dans un troisième, enfin, émergent des œuvres originales.