Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
W

Woolf (Virginia) (suite)

« Elle jouissait intensément de la vie. Le goût de la jouissance faisait partie de sa nature [...] En elle rien du sens de la vertu morale si révoltant chez les femmes de bien. Elle jouissait pratiquement de tout. »

Un chant intense d’amour de la vie monte de l’œuvre de Virginia Woolf. La vie, sa vraie religion. Car en l’autre elle ne croit pas. Une Mrs. Swithin (Between the Acts), pratiquante sympathique — l’unique —, n’efface pas une Doris Kilman, vieille fille aigrie et complexée, pétrie en dévotion. À travers la voix de Mrs. Dalloway, de Mrs. Ramsay ou d’Eleanor Pargiter, V. Woolf condamne sans appel ce qui, selon elle, engendre seulement hypocrisie, tristesse et morbidité. Certes, le mal existe. Il plane même de façon sinistre sur The Years et Three Guineas. Et la mort fauche les jeunes aussi bien que les autres. Rachel, au moment de parvenir au bonheur. Jacob ou Prue, pleins de promesses, et Neville ou Mrs. Ramsay, alors qu’ils réalisaient l’unité autour d’eux. Bien sûr, V. Woolf ne peint pas d’amour qu’en rose et tendre. La vie conjugale de ses couples passe par des hauts et des bas. On devine que le duo amoureux et heureux au coin du feu (Monday and Tuesday) ne représente pas forcément pour elle le but suprême de l’existence. Au-delà de la mondanité, de la superficialité, du bruit des passions sexuelles, du monde des adultes, elle aspire à la réalité d’une vie authentique. Celle-là même que possède l’enfance. Charmants au physique (Elizabet Dalloway, Prue Ramsay), les enfants de V. Woolf, lucides, critiques, intelligents, attestent de leur supériorité, tels « Jasper, Rose, Prue, Andrew [...], semblables à des guetteurs, à des experts, séparés des grandes personnes et installés au-dessus d’elles ». Sauvages et attirants (la petite Pame ou James), ils frémissent de sensibilité, et leur pouvoir imaginatif — comme pour la petite Rose Pargiter — leur confère une écoute directe sur la nature, à la manière de Jacob enfant ou des jeunes Ramsay. En eux se matérialisent l’effort et la réussite de V. Woolf dans une œuvre qui, en dépit d’une technique savante toujours présente et aux yeux de certains l’entachant d’artificialité, exalte la beauté et la vie, le bon, le poétique et le symphonique. Par petites touches impressionnistes. Avec une étonnante économie descriptive. Trouvant sa perfection et son achèvement dans To the Lighthouse, le plus chaleureux, le plus attachant et partant le plus populaire de ses romans. L’océan et la nuit confondus et le temps qui coule sur la maison de vacances, avec une âme. L’eau cristalline de la mer dont la rumeur et les marées rythment la vie quotidienne, la texture de ses rocs, le monde qui peuple la moindre de ses flaques, le sable envahissant et les vents. Les fleurs violettes sur la blancheur éclatante du mur, la conque rose d’un coquillage, les « anémones de mer douces comme du caoutchouc, collées comme de petits morceaux de gelée ». Le fameux repas autour du bœuf en daube. Et par-dessus tout, « cette délicieuse fécondité, cette fontaine, cette vaporisation de la vie », Mrs. Ramsay, qui crée l’atmosphère de bonté, de finesse et de sensibilité où l’homme plonge, « avide de sympathie ». Et puis l’impression de pléniture réduisant la mort à un accident naturel dans le grand flux de la vie. Elle réussit à donner sur terre le miracle d’un goût d’éternité.

D. S.-F.

 F. Delattre, le Roman psychologique de Virginia Woolf (Vrin, 1932 ; 2e éd., 1967). / B. Blackstone, Virginia Woolf. A Commentary (Londres, 1949 ; nouv. éd., 1972). / M. Chastaing, la Philosophie de Virginia Woolf (P. U. F., 1952). / J. K. Johnstone, The Bloomsbury Group (Londres, 1954). / M. Nathan, Virginia Woolf (Éd. du Seuil, coll. « Microcosme », 1956). / B. J. Kirkpatrick, A Bibliography of Virginia Woolf (Londres, 1957 ; 2e éd., 1967). / J. Guiguet, Virginia Woolf et la quête du réel (Didier, 1962). / L. S. Woolf, Begining again : an Autobiography of the Years 1911 to 1918 (Londres, 1964). / Q. Bell, Virginia Woolf (Londres, 1972, 2 vol. ; trad. fr., Stock, 1973-74, 2 vol.). / C. Jardin, Virginia Woolf (Hachette, 1973).

Wordsworth (William)

Poète anglais (Cockermouth, Cumberland, 1770 - Rydal Mount, Westmorland. 1850).



Introduction

En même temps que Chateaubriand en France, mais d’une façon toute différente, William Wordsworth marque un changement décisif dans la poésie anglaise du xixe s. Contre l’art poétique de l’âge précédent, où l’élégance, la convention et la dignité priment l’émotion, où la « poetic diction » rogne les ailes du lyrisme, il imprime un élan décisif à une réaction déjà amorcée par Blake. Wordsworth, dont la fin de la vie anticipe le victorianisme, se rattache encore au xviiie s. par ses jeunes années. Orphelin de bonne heure, il fait ses études à Cambridge grâce à ses oncles (1787-1791). Études sans éclat. Comme les poèmes, conventionnels, Evening Walk (publié en 1793) et Descriptive Sketches (1792), sur son premier voyage à pied sur le continent (1790). Mais dans l’Europe de 1790 et de 1791, il rencontre la Révolution française et l’amour de Marie Anne Vallon. Deux expériences exaltantes et douloureuses. La déception suit l’enthousiasme révolutionnaire. La guerre le sépare de celle qu’il aime et de la fille qu’elle lui donne (Vaudracour and Julia, 1820). Plus tard, après un séjour en Allemagne (1798-99) en compagnie de Dorothy, sa sœur tendrement affectionnée, et d’un ami très cher, Coleridge, il s’installe définitivement auprès de l’un et de l’autre dans le « Lake District » de son enfance ; en 1804, il y épousera Mary Hutchinson, une amie de toujours. Là, à Dove Cottage (Grasmere) en 1799, ainsi qu’à Rydal Mount à partir de 1813, au rythme d’une vie toute de paix, d’amitié, de contemplation de la nature, sans éclat tapageur, mais radicalement, il bouleverse la vision poétique de l’Angleterre. Il l’ouvre au romantisme.


« Ô temps, où les chemins banals, arides, rebutants, des lois, des statuts civils ou politiques prirent soudain l’attrait d’une contrée féerique... »