Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Wordsworth (William) (suite)

Malgré Poems in Two Volumes (1807), annonçant l’inclination austère, sermonnaire et conformiste de The Excursion (1814), The White Doe of Tylstone (1815), Laodamia (1815), The River Duddon (1820), Ecclesiastical Sonnets (1822), Memorials of a Tour on the Continent (1820)... et quoique, célébrité et consécration atteintes, promu poète lauréat en 1843 (à la mort de Southey), Wordsworth s’inscrive fermement dans un contexte d’idées philosophiques, politiques et religieuses de la plus parfaite orthodoxie nationale, il reste devant l’histoire littéraire l’un des pères du romantisme anglais. Et ce romantisme — à une exception près, celle de Keats — revêt un puissant idéalisme humanitaire, égalitaire et révolutionnaire. De même — en tout cas pour les poètes de la première génération — qu’il ne se dissocie pas de cette région des lacs du nord de l’Angleterre qui le virent naître et se développer. Il faut entendre Wordsworth proclamer : « Devenu patriote, je donnai mon cœur/Entier au peuple, et mon amour lui appartint. » Aussi, quelle déception lorsque la Révolution dégénère en Terreur et que l’Empire dévore la République : Composed near Calais..., England !... (1807), French Revolution... (1809), Letter to the Bishop of Llandaff, écrite en 1793, The Convention of Cintra (1809), etc. Un désenchantement tel — quand on y ajoute la détresse de son amour impossible — qu’il s’abandonne un instant à un rationalisme excessif, inspiré de William Godwin, philosophe anarchiste (Guilt and Sorrow, 1794 ; The Borderers, 1795-96 [éd. en 1842], son unique pièce). Mais de plus en plus il laisse les illusions révolutionnaires à la nouvelle génération, celle de Byron, de Shelley. Un autre idéal l’occupe dès 1796. Une autre révolution aussi.


« Le ciel intérieur répandra la rosée, De l’inspiration sur les plus humbles vers... »

À cette révolution s’attache avec le nom de Wordsworth celui de Coleridge et de Southey, ce dernier connu surtout par l’amitié qui le lie aux deux autres « lakistes ». De Samuel Coleridge (1772-1834), que son ami C. Lamb appelle l’« Archange quelque peu déchu », Wordsworth écrit :
Nous étions faits
Pour nous plier aux mêmes disciplines,
Prédestinés [...] à rechercher les mêmes plaisirs.
(The Prélude, VI.)
Et pourtant, tout son caractère devrait l’éloigner de celui qui caresse, avec le futur poète lauréat Robert Southey (1774-1833), le projet de fonder une « pantisocratie » libertaire en Amérique. Mais ce radical admire comme Wordsworth la Révolution française (Poems on Various Occasions, 1796) et, comme lui, il cherche à sortir la poésie de l’ornière traditionnelle. Ode to the Departing Year (1796) préfigure l’effort des Lyrical Ballads. Cette charte du romantisme, publiée anonymement en deux éditions (1798 et 1800), renferme The Rime of the Ancient Mariner, le plus fameux poème de Coleridge avec Christabel et Kubla Khan, publiés en 1816, tous trois d’un rare pouvoir imaginatif et visionnaire décuplé par la drogue (comme chez De Quincey, par ailleurs auteur des fameuses Reminiscences of the English Lake Poets [1834], peu goûtées des intéressés). L’essentiel des poèmes appartient pourtant à Wordsworth, comme les Lines composed a Few Miles above Tintern Abbey. Dans ces pièces et aussi dans des poèmes tels que The Leech-Gatherer (ou Resolution and Independance), Ode on Intimations of Immortality, The Solitary Reaper (1807), etc., et, bien entendu, dans le monument que constitue The Prelude (1850), on peut voir s’affirmer les théories chères aux deux écrivains. Coleridge en précise les « deux points cardinaux » dans sa Biographia Literaria (1817) : « Pouvoir d’exciter la sympathie du lecteur par un attachement fidèle à la vérité de la nature, et pouvoir de créer l’intérêt de la nouveauté en modifiant les couleurs de l’imagination. » Tandis que lui porte ses efforts vers les êtres « surnaturels ou du moins romantiques », Wordsworth se réserve de libérer « l’attention de l’esprit de la léthargie de l’habitude [...] en le dirigeant vers le charme et les merveilles du monde ». D’autre part, à ses yeux, il n’existe pas de sujets que le poète ne puisse traiter. Il ne connaît qu’un seul langage, celui de tous les jours, et de tout le monde. Sa matière, il la puise aux sources de la vie rustique. Comme ses personnages. Il s’attache au permanent plus qu’au grandiose, et il définit le poète non comme un homme de caste, mais comme celui qui réalise l’équilibre entre le penseur, le philosophe et l’être de sensibilité pure (préfaces aux Lyrical Ballads).


« The Prelude, or Growth of a Poet’s Mind »

Le couronnement des efforts de Wordsworth se trouve dans l’œuvre de toute une vie, entreprise en 1798. À l’origine, en effet, Wordsworth rêve d’un poème ambitieux et philosophique qu’il intitulait The Recluse, or Views on Man, Nature and Society. Pour finir, son projet initial se réduit à The Excursion et surtout à The Prelude, or Growth of a Poet’s Mind (le Prélude ou la Croissance de l’esprit d’un poète), autobiographie en quatorze livres, à laquelle il travaille déjà pendant son séjour en Allemagne (1798-99) et qu’il ne reprend qu’en 1804. Tout au long de ce grand œuvre terminé en 1805, mais sans cesse retouché par la suite, coule le flot des idées et des grands thèmes wordsworthiens, à commencer par celui de l’enfance. L’enfant, qu’il peint dans Ode on Intimations of Immortality, est celui qui,
[...] Voyant parmi les aveugles,
[...] sourd et silencieux, déchiffre la profondeur infinie,
Hanté pour toujours par la Mémoire éternelle...
Peu tourné vers l’amour (poèmes à Lucy) ou l’effusion égotiste complaisante à la manière d’un Rousseau ou d’un René, n’ayant pas l’attitude provoquante d’un esprit supérieur et dédaigneux du commun comme celle d’un Byron, son romantisme se fond dans la contemplation de la nature. Vers elle, mère nourricière et véritable initiatrice, Wordsworth se jette en un grand élan panthéiste. Plus qu’à une recherche de la beauté, il demeure attentif aux voix de la terre, du ciel, des vents et des eaux :
Ô présence de la Nature dans le ciel
Et sur la terre ! Vous visions des collines !
Et vous Âmes des lieux solitaires !...
En elle — et ici on sent l’influence de la philosophie de D. Hartley — il capte :
Des associations d’objets et d’apparences,
[...] réduites à dormir
Jusqu’à ce que des temps plus mûrs les rappellent
Pour imprégner l’esprit.
À travers elle encore, il tente d’accéder à l’âme humaine. Car, pour lui, la mission du poète relève du mystique. Pour lui, [...] la mesure poétique vint / D’elle-même pour vêtir d’une robe de prêtre / Une âme rénovée et par le sort choisie, [...] pour une tâche sainte. (Livre I.)

D. S.-F.