Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Waller (Fats)

Organiste, pianiste, chanteur, compositeur et chef d’orchestre américain (New York 1904 - Kansas City 1943).



Sa vie

C’est surtout comme une sorte de clown chanteur, interprète ironique et tendre de rengaines à succès, que Thomas dit « Fats » Waller fut apprécié durant les années 30. Mais amateurs et critiques ne furent pas longs à le reconnaître comme l’un des plus grands pianistes de jazz, en fait une figure principale de cet art. C’est son père, Edward Martin Waller, pasteur de l’église baptiste abyssine, qui lui apprit l’harmonium dès l’âge de six ans. Waller joue ensuite dans un orchestre d’amateurs sous la direction d’Edgar Sampson et remporte en 1919, au Roosevelt Theatre, un tournoi en interprétant Carolina Shout. À seize ans, il travaille comme organiste dans divers établissements de New York, en particulier au Lincoln Theatre. Aidé et conseillé par James P. Johnson, il assure de nombreux engagements dans des clubs et des revues musicales, enregistre à partir de 1922 des rouleaux pour piano mécanique et ses premiers disques, puis accompagne les chanteuses Sara Martin, Anna Jones, Hazel Meyers et Bessie Smith. En 1926, il est avec Louis Armstrong* au Théâtre Vendome de Chicago. L’année suivante, il travaille à New York avec Fletcher Henderson. Sa popularité s’affirme alors à Harlem, où il est surnommé « Fats » en raison de sa corpulence. Animateur et auteur de comédies musicales, il participe aussi à des séances d’enregistrement avec Thomas Morris et les McKinney’s Cotton Pickers, et il grave en 1927 une série de solos d’orgue. En 1929, il dirige le groupe « Fats Waller and his Buddies » et signe un contrat d’exclusivité avec la compagnie des disques Victor. La même année, il s’associe avec le parolier Andy Razaf, neveu de Ranavalona III, reine de Madagascar. En collaboration avec Razaf et Louis Armstrong, il monte la revue Hot Chocolate, avec laquelle il part en tournée. En 1931, il révèle ses dons de vocaliste, enregistre avec Ted Lewis et Jack Teagarden, puis se rend à Londres (1932) et passe, en touriste, à Paris. De retour aux États-Unis, il réunit, pour animer un programme régulier de radio, un sextette avec Herman Autrey (trompette), Ben Whitet (saxophone-clarinette), Al Casey (guitare), Billy Taylor (basse) et Harry Dial (batterie).

Cette formule consacrera son succès auprès du grand public, qu’il touche par la radio et le disque. John « Bugs » Hamilton et Bill Coleman remplaceront parfois Autrey ; Gene Sedric et Rudy Powell succéderont à Whitet, tandis que John Smith se substituera de temps en temps à Casey, Charlie Turner et Cedric Wallace à Taylor, Yank Porter, Arnold Bolden et Slick Jones à Dial sans que l’esprit du groupe (Fats Waller and his Rhythm) soit profondément modifié. Fats Waller tourne des courts métrages (1935), interprète de la musique pour dessins animés et apparaît dans le film King of Burlesque. En 1938, il retourne à Londres, compose et enregistre la London Suite, grave des solos d’orgue et quelques morceaux en compagnie de solistes locaux, et fait un bref séjour au Danemark. En 1939 et en 1940, il est la vedette du Famour Door et de l’Apollo de Harlem, et il participe à de nombreuses tournées aux États-Unis. En 1941, il dirige un grand orchestre et présente un nouveau show : Early to Bed. En 1943, il est comédien et musicien dans Stormy Weather, film musical entièrement interprété par des Noirs (avec Lena Horne, Bill Robinson et Cab Calloway) et diffusé afin de stimuler le moral des troupes américaines. Amoindri physiquement par les effets d’une cure de désintoxication alcoolique, il succombe à une pneumonie dans une voiture-lit du train « Santa Fe Flyer » à quelques miles de la gare de Kansas City.


Le jazz au service de la chanson

Avant de perfectionner son style pianistique grâce aux conseils de James P. Johnson, Fats Waller utilisait l’orgue. Pionnier dans l’utilisation « jazz » de cet instrument (pas encore électrifié), il en tire des effets de masse et réussit à le dominer avec clarté et logique. Cette maîtrise n’est pas étrangère à son autorité au piano. D’une main, il couvrait douze touches, ce qui autorisait les combinaisons les plus opulentes, comme le fait remarquer Michel Laverdure, son meilleur exégète. La base de son style réside dans l’équilibre entre le travail de la main gauche, qui entretient le rythme et explore jusqu’en ses tréfonds l’harmonie, et les broderies percutantes et enrichissantes d’une main droite qui enjolive, invente et vagabonde au fil de mélodies issues d’une imagination généreuse. Le toucher est expressif, subtil ou « gras » selon les besoins d’un improvisateur capable de traduire digitalement toutes les couleurs sonores dont il veut habiller sa pensée. Le ragtime tient une grande place dans le répertoire des débuts de Waller avant la découverte, à partir de 1931, de son talent de chanteur, ce qui le détermina, sous l’influence aussi bien de Louis Armstrong que de vocalistes de revues, à interpréter nombre de thèmes empruntés à la chanson populaire. Les paroles, humoristiques ou sentimentales, sont détaillées avec une diction très nette, soulignée d’un accent personnel, calin ou truculent. Une naïveté voulue se mêle au burlesque, le tout restant soumis à une implacable volonté de valoriser le rythme, de susciter le « swing », comme l’exigeait la tradition « hot » dans l’art négro-américain de l’époque. Grâce à sa complaisance vocale, Fats Waller élargit son auditoire. Ses dons de comédien, ses mimiques lui assurent le succès auprès d’un public qui ignore souvent son génie d’instrumentiste. Autour de lui, presque toujours, cinq musiciens composent un petit groupe d’improvisation libre, soutenu par une section rythmique où le guitariste, producteur de solos en accords, impose un tempo qui rebondit sur la sécheresse du contretemps du batteur. Les deux complices mélodiques (trompette et saxophone-clarinette) aident à l’exposé des thèmes, prennent de courts solos souvent cocasses, toujours entraînants, soulignent des riffs simples. Encouragés, interpellés par Fats, omniprésent par la voix et le piano, ces musiciens, apparemment de second plan, donnent le meilleur d’eux-mêmes dans un climat souvent survolté. La combinaison de ces éléments multiples contribue à la création d’un « son » original qui assure à la presque totalité des sept cents morceaux que Fats Waller a gravés un cachet unique. Parfois, Fats joue ses propres compositions, dont certaines deviendront des « classiques du jazz » : Honeysuckle Rose, Ain’t misbehavin’, Squeeze me, I’m Crazy ’bout my Baby, Black and Blue.