Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
V

viole de gambe (suite)

Le xviiie s., s’il voit, dans ses débuts, se prolonger la suprématie des violes, va aussi assister à leur déclin en raison de l’ascension rapide du violon. Celui-ci fait de très grands progrès techniques sous l’influence conjuguée des luthiers de Crémone et d’artistes italiens exceptionnels, qui parcourent et étonnent l’Europe : Corelli*, G. Tarlini (1692-1770), P. A. Locatelli (1695-1764). De plus, il correspond mieux à l’évolution du goût, de la musique intime à la musique puissante dans les cours royales ou princières. Enfin, dans la seconde moitié du xviiie s., la conception de l’art musical passe du divertissement spirituel à l’expression sensible et personnelle du préromantisme. Les violes sont peu armées pour suivre cette transformation. Seule la basse, plus sonore, peut tenter d’opposer une résistance au violon. La querelle connaît une violence particulière en France, où elle s’inscrit dans le contexte des deux plus grandes batailles de l’époque : celle des nationalités — France contre Italie — et celle des générations — Anciens contre Modernes. Elle provoque invectives et pamphlets, dont le plus célèbre reste celui que l’abbé H. Le Blanc a publié en 1740 : la Défense de la basse de viole contre les entreprises du violon et les prétentions du violoncelle. La viole doit, cependant, s’incliner et fait partie, avec le clavecin, du monde qui disparaît avec l’Ancien Régime.

Pendant tout le xviiie s., l’école française est sans conteste la plus brillante. Elle compte trois dynasties d’artistes remarquables : celle des Marais (Marin et ses fils Roland et Vincent), celle des Caix d’Hervelois (Lyonnais d’origine) et celle des Forqueray (Antoine et Jean-Baptiste). Tous ces artistes ont composé de nombreux livres de suites ou des pièces séparées pour leur instrument. Alors que les Italiens, partisans déclarés du violon, n’ont rien écrit pour la viole, l’Allemagne l’utilise volontiers. G. Ph. Telemann* lui consacrera des suites, et J.-S. Bach* trois sonates avec clavecin. Il l’emploie fréquemment dans les airs de ses Passions pour lui confier la ritournelle. Les Abel sont les plus célèbres violistes de ce pays : Christian Ferdinand, qui vit à Köthen entre 1715 et 1737 environ, semble être le dédicataire des sonates de Bach ; un de ses fils Karl Friedrich (1723-1787), grand ami de Johann Christian Bach et disciple de son père, est le dernier gambiste virtuose allemand.

La basse de viole fait sa réapparition de nos jours dans le sillage du clavecin. Cependant, jusqu’à présent, les compositeurs modernes ne lui ont pas consacré d’œuvres en soliste.

S. M.

➙ Lutherie / Violon.

 J. Pulver, Dictionary of Old English Music and Musical Instruments (Londres, 1923). / G. R. Hayes, Musical Instruments and Their Music : 1500-1750 (Londres, 1928-1930 ; 2 vol.). / C. Sachs, The History of Musical Instruments (New York, 1940). / N. Bessaraboff, Ancient European Musical Instruments (Greenwich, Connect., 1941).

Viollet-le-Duc (Eugène Emmanuel)

Architecte et théoricien français (Paris 1814 - Lausanne 1879).


Passé leur siècle, bien peu d’hommes célèbres continuent à entretenir les passions. Ce rare privilège — exceptionnel en architecture —, Viollet-le-Duc le doit à son rôle sans précédent de restaurateur, à l’âpreté de son action pour une réforme de l’enseignement des beaux-arts, sans doute aussi à la nature même d’une œuvre qui a été jugée dans ses réalisations par des érudits et dans sa partie théorique par des hommes d’action, les uns et les autres mal préparés à l’intransigeant témoignage de l’architecte le plus révolutionnaire de son temps.

Une indépendance ombrageuse, une carrière solitaire, un cercle de disciples et non pas d’élèves ont donné un accent faussement romantique à cet esprit solide, dominé par sa raison de bourgeois progressiste et son ardeur civique ; en fait, Viollet-le-Duc est authentiquement un classique, en rupture avec l’académisme.

Au sortir du collège, une prodigieuse aptitude au dessin fait entrer ce petit-fils d’un entrepreneur parisien (chantiers de l’Odéon et de la Monnaie) chez l’architecte Jean-Jacques Marie Huvé (1783-1852), puis à l’atelier Achille Leclère (1785-1853). En dépit des conseils de Charles Édouard Isabelle, de Charles Percier et de Fontaine*, Viollet-le-Duc refuse la férule de l’École des beaux-arts et lui préfère un contact direct avec les édifices. Son père, conservateur des résidences royales, est un classique convaincu, qui a réédité Nicolas Boileau tout en collectionnant la littérature médiévale. Cette bibliothèque sera précieuse à l’adolescent, comme les leçons de son oncle, le critique Étienne Jean Delécluze (1781-1863), élève du peintre Louis David, ou comme l’influence des lettrés qui fréquentent le salon familial : Stendhal, Sainte-Beuve, Mérimée, Ludovic Vitet, le botaniste Adrien de Jussieu.

À partir de 1831, Viollet-le-Duc parcourt la France ; en 1836-37, il passe dix-sept mois en Italie, en Sicile, à Venise et à Rome. Il découvre la supériorité de Bramante* sur Palladio* et, dans les fouilles de Campanie, la richesse d’une antiquité vivante. À son retour, il va prendre conscience de la valeur structurale des édifices français, aidé par les publications qui se multiplient alors dans un souci de protection du Moyen Âge, mais plus encore par ses exceptionnelles facultés d’analyse. Prosper Mérimée*, inspecteur général des Monuments* historiques, lui fait confier le périlleux sauvetage de l’abbatiale de Vézelay (1840). Puis c’est la restauration de la Sainte-Chapelle et de Notre-Dame de Paris (avec Jean-Baptiste Lassus [1807-1857]), des cathédrales d’Amiens, de Chartres, de Narbonne, de Reims, de Sens, de Toulouse et de Troyes, de la basilique de Saint-Denis, de nombreuses églises et d’édifices civils (remparts de Carcassonne, salle synodale de Sens...). Chirurgien de causes désespérées, Viollet-le-Duc a dû prendre parfois des décisions que n’autoriseraient plus le progrès des techniques ou un péril moins pressant. Mais pourquoi le tenir responsable des restitutions de ses confrères ou de ce qui fut à Pierrefonds, à partir de ruines incertaines, la création d’un décor pour la cour impériale ?