Viollet-le-Duc (Eugène Emmanuel) (suite)
Par-delà son rôle de technicien, Viollet-le-Duc entendait appliquer au Moyen Âge la raison d’un architecte classique, moins d’ailleurs en historien qu’en scientifique, et opposer la leçon nationale à celle de l’Antiquité. Ses deux Dictionnaires raisonnés, consacrés l’un à l’architecture (10 vol., 1854-1868) et l’autre au mobilier (6 vol., 1858-1875) du Moyen Âge français, qui gardent toujours leur valeur d’analyse, avaient pour objet d’établir les principes d’un renouveau artistique. Viollet-le-Duc n’eut guère le loisir de mettre en œuvre des théories dont la rigueur tranchait avec l’éclectisme* régnant. Son projet pour l’Opéra de Paris (1861) fut un échec, et ses quelques réalisations furent jugées peu probantes ; ce solitaire secouait trop de routines, bousculait trop d’intérêts. Il finira par renoncer à ses fonctions d’inspecteur général des édifices diocésains de Paris, et la mort le surprendra au service de la ville de Lausanne.
Une ironique réponse au manifeste de l’Académie des beaux-arts, en 1846, avait marqué le début d’une lutte qui faillit aboutir à une réorganisation de l’École des beaux-arts en 1863. Les élèves, manœuvres, s’opposèrent aux réformes et forcèrent Viollet-le-Duc à abandonner un enseignement amorcé sept ans plus tôt avec des élèves d’Henri Labrouste (v. fer [l’architecture du fer]). Son cours fut publié en 1863-1872 sous forme d’Entretiens sur l’architecture : huit de ceux-ci seulement sont consacrés aux édifices anciens, surtout antiques ; les douze autres envisagent la composition, les moyens d’exécution et insistent sur l’emploi du métal. Le vieux courant rationaliste français, cherchant dans les structures anciennes matière à raisonner, s’y retrouve ; mais, face aux exigences économiques et sociales, aux matériaux produits par les ingénieurs, il acquiert un accent tout nouveau. Par-là, Viollet-le-Duc est bien le chef d’une école rationaliste qui, avec ses disciples, Anatole de Baudot (1834-1915) et autres architectes des Monuments historiques, jettera les bases d’une révolution architecturale par l’emploi du ciment armé (v. bétonnage).
Mais son rôle aura été plus vaste encore. Cet architecte expert en sciences naturelles, en botanique et en géologie a voulu éviter l’écueil d’un enseignement abstrait, dont il dénonçait les résultats néfastes, par une constante référence à la nature. C’était tempérer la raison par le sentiment, ouvrir la voie à d’autres formes d’art, et d’abord à celui qui devait fleurir en 1900. Un Victor Horta, un Hector Guimard (v. Art nouveau), un Antoni Gaudí* et aussi bien un Frank Lloyd Wright* ou un Auguste Perret* ont d’ailleurs reconnu tout ce qu’ils devaient à la leçon de Viollet-le-Duc.
H. P.
P. Gout, Viollet-le-Duc. Sa vie, son œuvre, sa doctrine (H. Champion, 1914).
CATALOGUE D’EXPOSITION. Eugène Viollet-le-Duc, hôtel de Sully, Paris (Caisse nationale des Monuments historiques, 1965).