Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
V

Viollet-le-Duc (Eugène Emmanuel) (suite)

Par-delà son rôle de technicien, Viollet-le-Duc entendait appliquer au Moyen Âge la raison d’un architecte classique, moins d’ailleurs en historien qu’en scientifique, et opposer la leçon nationale à celle de l’Antiquité. Ses deux Dictionnaires raisonnés, consacrés l’un à l’architecture (10 vol., 1854-1868) et l’autre au mobilier (6 vol., 1858-1875) du Moyen Âge français, qui gardent toujours leur valeur d’analyse, avaient pour objet d’établir les principes d’un renouveau artistique. Viollet-le-Duc n’eut guère le loisir de mettre en œuvre des théories dont la rigueur tranchait avec l’éclectisme* régnant. Son projet pour l’Opéra de Paris (1861) fut un échec, et ses quelques réalisations furent jugées peu probantes ; ce solitaire secouait trop de routines, bousculait trop d’intérêts. Il finira par renoncer à ses fonctions d’inspecteur général des édifices diocésains de Paris, et la mort le surprendra au service de la ville de Lausanne.

Une ironique réponse au manifeste de l’Académie des beaux-arts, en 1846, avait marqué le début d’une lutte qui faillit aboutir à une réorganisation de l’École des beaux-arts en 1863. Les élèves, manœuvres, s’opposèrent aux réformes et forcèrent Viollet-le-Duc à abandonner un enseignement amorcé sept ans plus tôt avec des élèves d’Henri Labrouste (v. fer [l’architecture du fer]). Son cours fut publié en 1863-1872 sous forme d’Entretiens sur l’architecture : huit de ceux-ci seulement sont consacrés aux édifices anciens, surtout antiques ; les douze autres envisagent la composition, les moyens d’exécution et insistent sur l’emploi du métal. Le vieux courant rationaliste français, cherchant dans les structures anciennes matière à raisonner, s’y retrouve ; mais, face aux exigences économiques et sociales, aux matériaux produits par les ingénieurs, il acquiert un accent tout nouveau. Par-là, Viollet-le-Duc est bien le chef d’une école rationaliste qui, avec ses disciples, Anatole de Baudot (1834-1915) et autres architectes des Monuments historiques, jettera les bases d’une révolution architecturale par l’emploi du ciment armé (v. bétonnage).

Mais son rôle aura été plus vaste encore. Cet architecte expert en sciences naturelles, en botanique et en géologie a voulu éviter l’écueil d’un enseignement abstrait, dont il dénonçait les résultats néfastes, par une constante référence à la nature. C’était tempérer la raison par le sentiment, ouvrir la voie à d’autres formes d’art, et d’abord à celui qui devait fleurir en 1900. Un Victor Horta, un Hector Guimard (v. Art nouveau), un Antoni Gaudí* et aussi bien un Frank Lloyd Wright* ou un Auguste Perret* ont d’ailleurs reconnu tout ce qu’ils devaient à la leçon de Viollet-le-Duc.

H. P.

 P. Gout, Viollet-le-Duc. Sa vie, son œuvre, sa doctrine (H. Champion, 1914).
CATALOGUE D’EXPOSITION. Eugène Viollet-le-Duc, hôtel de Sully, Paris (Caisse nationale des Monuments historiques, 1965).

violon

Instrument à cordes frottées, dont les origines remontent au xvie s.



L’historique

C’est au pluriel que s’emploie le mot lorsque pour la première fois il est fait mention dans une pièce d’archives des « bandes de petits et grands violons ». Il désigne alors, comme les violes de bras, l’ensemble de la famille d’instruments à cordes et à archet issue des vièles, des gigues et des rebecs du Moyen Âge. On trouve plusieurs représentants de la famille : le dessus, qui deviendra notre violon actuel, accordé par quintes (so2, 3, la3, mi3) ; la taille, accordée comme l’alto (do2, sol2, 3, la3) ; le ténor ou la quinte (fa1, do2, sol2, 3) ; enfin, au grave, la basse (si1, fa1, do2, sol2).

Groupés en « bandes » au service des princes et des rois, les petits et grands violons ont une sonorité éclatante, mais rude ; leur technique primitive, si on la compare à celle des luths et des violes — les grands favoris du moment —, les fait réserver avec les instruments à vent aux fêtes de plein air, bals, processions et réjouissances champêtres. Leur répertoire se limite donc aux suites de danses et aux chansons à boire. Les textes qui nous renseignent à leur sujet sont surtout les traités de Sebastian Virdung (1511), de Martin Agricola (1528-1545), de Silvestro Ganassi (1542), de Diego Ortiz (1553), de Ludovico Zacconi (1592).

Le xviie s. va affiner dans de nombreux domaines cet état rudimentaire : dans la conception de l’instrument tout d’abord. Rapidement, le violon, se distinguant des autres membres de la famille, s’impose au premier plan. Il franchit le stade rythmique de simple meneur de bal pour rejoindre celui de l’imitation, puis de l’expression. En 1636, un texte de l’Harmonie universelle de Mersenne* résume bien les étapes de cette prise de conscience : « Le violon a cela par-dessus les autres instruments qu’outre plusieurs chants des animaux, tant volatiles que terrestres, il imite et contrefait toutes sortes d’instruments comme les voix, les orgues, la vielle, la cornemuse, le fifre, etc. ; de sorte qu’il peut apporter la tristesse comme fait le luth et animer comme la trompette, et que ceux qui le sçavent toucher en perfection peuvent représenter tout ce qui leur tombe dans l’imagination. »

Affirmer ces fonctions implique d’avoir fait un inventaire assez large de ses possibilités techniques. Les Italiens sont les premiers à s’apercevoir des avantages qu’il présente sur la voix : ampleur de la tessiture, tenue du son, variété des effets, richesse des nuances. Salomone Rossi publie en 1607 la première sonate pour l’instrument, suivi bientôt par Biagio Marini, Giovanni Battista Fontana, Giovanni Battista Bassani. L’Allemagne s’attache davantage à la prouesse spectaculaire, comme Mathias Kelz dans ses Primitiae musicales (1658), ou aux talents descriptifs évoqués par Mersenne. Johann Jacob Walther n’imitera-t-il pas le chant du rossignol ou le caquetage d’une basse-cour dans ses Scherzi (1676) et son Hortulus chelicus (1688) ? Quant à l’expression, peut-être trouvera-t-elle sa consécration officielle lorsque J.-B. Lully*, en 1666, met un violon et non plus une lyre entre les mains d’Orphée pour exprimer dans le Ballet des Muses la « douleur languissante et le dépit violent » qui bouleversent son âme.