Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
V

Villèle (Jean-Baptiste Guillaume Joseph, comte de) (suite)

Villèle, chef parlementaire de la droite

Jusqu’alors peu connu, le petit gentilhomme gascon va se hisser au premier plan de la scène politique. Il anime la réunion Piet, club ultra où se réunissent les partisans du comte d’Artois. On y brocarde les velléités constitutionnelles de Louis XVIII et surtout on stigmatise l’« odieux » Decazes*, le tout-puissant ministre de la Police qui a réussi à obtenir du roi en septembre 1816 la dissolution de la Chambre introuvable. Villèle et ses amis pratiquent systématiquement la critique de la politique ministérielle et la surenchère démagogique avec autant d’aveuglement que de mauvaise foi.

Chaque débat à la Chambre voit l’ultra Villèle intervenir en faveur de la liberté de la presse, de l’honnêteté des lois électorales ou des économies budgétaires... L’homme se révèle orateur de talent et tacticien habile. Cette opposition de droite favorise en fait la gauche, qui se renforce à chaque élection.

Villèle participe à la fondation du Conservateur, organe ultra destiné à s’opposer à la Minerve française de Benjamin Constant. Inquiet de la progression libérale, il consent à faire certaines concessions pour assurer l’union des royalistes. Il répond favorablement aux avances de Richelieu qui lui offre le portefeuille de la Marine, mais le projet échoue.

C’est l’assassinat du duc de Berry (févr. 1820) qui va assurer le pouvoir à la droite et, par suite, à Villèle.


Villèle, président du Conseil

Après un court intermède dans le dernier cabinet Richelieu*, où il est ministre sans portefeuille, Villèle accède enfin aux vraies responsabilités. En décembre 1821, il est aux Finances et, le 7 septembre 1822, avec l’appui de Monsieur, frère du roi, il devient président du Conseil. C’est pour six ans, et peut-être pour le malheur de la dynastie, un gouvernement, une majorité et un programme de droite. À partir de 1822, le combat contre le libéralisme figure en priorité à l’ordre du jour. Les lois sur la presse créent des délits nouveaux : outrage à la religion, au principe de l’hérédité dynastique, délit de tendances... Villèle est convaincu qu’une administration et une police rigoureuses auront raison de la gangrène libérale.

C’est le règne de la censure, de la haute surveillance de l’Université, dont le grand maître, Mgr Frayssinous, déclare que la rigueur est le premier devoir de l’État. On supprime l’École normale supérieure, on ferme périodiquement les facultés de droit et de médecine. Toutefois, Villèle se révèle d’une remarquable prudence à l’extérieur. Ses conceptions, que l’on juge souvent terre à terre, se ramènent à peu de choses : maintenir la paix, essentielle à la sûreté de la monarchie ; sacrifier le panache et la croisade, génératrices de désordres financiers et d’isolement diplomatique, à la tranquillité publique.

C’est ainsi que Villèle accueille avec réticence le projet d’expédition d’Espagne qui lui sera imposé. Il en assumera les responsabilités, mais n’en recueillera guère les honneurs. C’est que, paradoxalement, le président du Conseil, qui vient pourtant de faire triompher la droite aux élections de 1824, devient la cible des mécontents au sein même de la majorité. Excellent administrateur, il fixe avec rigueur les règles de la comptabilité publique, l’ordonnancement et le paiement des dépenses.

Mais il étend aux autres domaines de la vie publique ses méthodes de gestion parcimonieuse. Regrattier de l’État, il préfère la petite manœuvre discrète, tortueuse et efficace au grand dessein qui en impose. « Un boutiquier plongé dans la contemplation de sa caisse », a-t-on dit de lui. Promu grand argentier et profondément persuadé de l’excellence de son talent, Villèle marchande et soupèse avec scrupule, mais voue aux gémonies la moindre critique. Cette vanité l’entraîne aux pires maladresses. C’est ainsi qu’il rend Chateaubriand*, alors ministre des Affaires étrangères, responsable de l’échec, à la Chambre des pairs, d’un de ses projets de conversion des rentes, laborieusement mis au point, et provoque son renvoi. Faute capitale car l’illustre et orgueilleux personnage qu’est Chateaubriand passe à l’opposition, entraînant avec lui le redoutable Journal des débats des frères Bertin, qui va désormais se déchaîner haineusement contre le « despotisme obscur du petit homme ».

L’avènement de Charles X porte l’impopularité de Villèle à son comble. La gauche libérale reproche en effet au président du Conseil des projets de lois obscurantistes et rétrogrades. À droite, un petit groupe d’irréductibles — les « pointus » — font le compte des échecs de Villèle. Celui-ci endosse la responsabilité de diverses lois particulièrement anachroniques ou impopulaires : le projet de loi sur le droit d’aînesse, repoussé malgré quelques concessions ; la loi sur le sacrilège, inefficace et maladroite, votée en 1825 ; la loi sur la presse — « loi de justice et d’amour », dira le garde des Sceaux —, que le ministère doit retirer en avril 1827. À cette date, Villèle a renforcé l’exaspération des libéraux en ordonnant la dissolution de la garde nationale de Paris, qui avait manifesté son hostilité au cabinet. Assuré de l’appui royal tant que la politique de refoulement de la gauche s’est révélée efficace, il perd la confiance du souverain. En novembre 1827, en effet, malgré les pressions et les fraudes, les libéraux reviennent en force à la Chambre, et les ministériels se retrouvent minoritaires. Villèle démissionne en janvier 1828. La haine accumulée contre lui est telle qu’il se voit accusé de trahison et de concussion. Mais l’affaire n’aura pas de suite.


La retraite

Retiré sur ses terres, Villèle assiste avec passivité à la révolution de Juillet. Oppositionnel intransigeant, il refuse de participer aux élections du nouveau régime. Son activité, fort réduite, consiste à tenter d’animer le Comité légitimiste, périodiquement disloqué par les intrigues, et à inspirer la Gazette du Languedoc. Villèle se tient à l’écart des équipées romantico-politiques de la duchesse de Berry et particulièrement de sa tentative de soulèvement de l’Ouest au début de la monarchie de Juillet (1832). En 1848, il assiste amer et désabusé au ralliement des monarchistes toulousains à la République, puis à Louis Napoléon Bonaparte.

J. L. Y.

➙ Restauration.

 J. Fourcassié, Villèle (Fayard, 1954). / G. de Bertier de Sauvigny, la Restauration (Flammarion, 1955).