Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
V

Villiers de L’Isle-Adam (Auguste, comte de)

Écrivain français (Saint-Brieuc 1838 - Paris 1889).


Villiers de L’Isle-Adam ne descendait pas plus du dernier grand maître de l’ordre de Malte qui défendit Rhodes contre Soliman le Magnifique qu’Arthur de Gobineau n’était issu d’Ottar Jarl, mais, comme Nerval, il était prince de Chimère. Il appartenait à une famille bretonne noble et ruinée. Son installation à Paris en 1857 ne lui apporta que déceptions ; il vécut pauvre et mourut dans le dénuement. Refusant de composer avec une société avilie et cupide, il ne rêvait que chevalerie, prouesses et victoire de l’absolu. Il incarna sa haine du matérialisme et de l’athéisme, qui triomphaient vers 1870, dans le personnage du docteur Tribulat Bonhomet, à la fois Homais et « gigantesque Joseph Prudhomme de l’enlaidissement et de la souillure », selon ses propres termes.

Ses Premières Poésies (1859) passèrent inaperçues, ainsi que son roman Isis (1862). Aucun directeur de théâtre ne voulut monter ses drames. Ellen (1865), Morgane (1866) et la Révolte (1870) ou le Nouveau Monde (1875) ne dépassèrent pas les cinq représentations. Mais ses Contes cruels (1883) le vengèrent de cet échec. En effet, il créa un genre nouveau, dans lequel il substitue au fantastique, à la manière de Hoffmann et de Poe, la satire morale et la cruauté. Il fustige ses contemporains en dénonçant leur niaiserie, leur bassesse, leur prétention burlesque et leur cupidité.

Tribulat Bonhomet (1887) réunit de façon plutôt maladroite un mémorandum du docteur qui n’est autre que la première des Histoires moroses de 1867, Claire Lenoir et un épilogue. Dans Claire Lenoir, Villiers ridiculise Bonhomet en le forçant à constater avec son microscope ce que refuse d’admettre sa raison. Ce récit est destiné à montrer la supériorité du christianisme sur la philosophie de Hegel, prônée par le mari de Claire Lenoir, et sur le positivisme de Comte, défendu par Bonhomet.

Avec Véra et l’Intersigne, on quitte la satire pour le fantastique pur. Véra (1874) illustre l’amour, plus fort que la mort : la défunte Véra, pour laisser à son mari un témoignage de sa venue, laisse dans le lit nuptial la clé du tombeau. L’Intersigne (1867) ne le cède en rien en puissance hallucinatoire à Ligéia de Poe ; Villiers y proclame la supériorité de la foi sur l’intelligence. « La lumière des siècles est plus importante que le siècle des lumières », affirme-t-il. Le Secret de l’échafaud (1888), macabre récit pseudo-scientifique, la Torture par l’espérance, le Chant du coq, l’Enjeu, tout en faisant une large part à l’insolite, au bizarre et au terrifiant, expriment un but spiritualiste et chrétien.

L’Ève future (1886) compte parmi les chefs-d’œuvre de la science-fiction : c’est que Villiers a su faire de celle-ci un usage poétique. Edison devient une sorte d’enchanteur Merlin, et Hadaly, la créature qu’il a fabriquée et dans laquelle il fait passer une âme, surpasse tous les automates du xviiie s. et s’apparente à la Kundry de Parsifal.

Villiers acheva son œuvre par un poème dramatique, Axel (1890), qui peut se comparer aux deux Faust de Goethe. C’est un acte de foi dans les pouvoirs transcendants du génie : Axel renonce au monde et se suicide, non par désespoir et lâcheté, mais afin de fuir le mensonge des apparences et de s’établir dans l’éternité.

Bien plus qu’à Goethe, c’est à Wagner qu’il faut en appeler pour comprendre Axel : Villiers a voulu donner à la France l’équivalent du drame musical wagnérien. Un des premiers, il a pris fait et cause pour le génie de Wagner, et il a contribué par ses articles comme par ses exécutions pianistiques à révéler l’œuvre du maître à une époque où il était honni en France. C’est en écoutant Villiers jouer sur son mauvais piano Tristan et Isolde que Baudelaire a reconnu que ses intuitions au moment de Tannhäuser se trouvaient justifiées. Mallarmé, sur qui l’œuvre et l’esthétique de Wagner devaient prendre une si grande influence, eut d’abord connaissance de sa musique par Villiers. Celui-ci eut le privilège de fréquenter plusieurs fois le maître lui-même et voir sur la scène en Allemagne presque tous ses drames. Villiers de L’Isle-Adam, à travers Poe et Wagner, prépara la venue du symbolisme en France, et c’est pourquoi, à la fin de sa vie, il fut reconnu comme un maître de l’art littéraire par la plupart des symbolistes. Cette consécration tardive n’a été que partiellement confirmée par la postérité : sa fierté aristocratique, son art idéaliste et mystique rebutent nos contemporains. La malédiction dont Villiers souffrit pendant sa vie pèse encore sur sa mémoire.

M. S.

 M. Daireaux, Villiers de L’Isle-Adam, l’homme et l’œuvre (Desclée de Brouwer, 1936). / P. G. Castex et J. Bollery, les « Contes cruels » de Villiers de L’Isle-Adam (Corti, 1956). / F. A. Burguet, Villiers de L’Isle-Adam (Mercure de France, 1965). / A. W. Raitt, Villiers de L’Isle-Adam et le mouvement symboliste (Corti, 1965). / J.-P. Gourévitch, Villiers de L’Isle-Adam (Seghers, 1971). / J. H. Bornecque, Villiers de L’Isle-Adam, créateur et visionnaire (Nizet, 1974).

Villon (François)

Poète français (Paris 1431 - † apr. 1463).


Présentant son édition de 1533, Clément Marot se plaignait que la tradition n’ait livré de Villon qu’une œuvre corrompue et « gâtée ». Il faut tenir compte de cette « brouillerie » des textes manuscrits ou imprimés (la première édition de Pierre Levet date de 1489) dans l’interprétation de sa poésie, plus encore que du mystère dont se serait entouré l’auteur, maintenant identifié avec François de Montcorbier, reçu maître ès arts de l’université de Paris en 1452. Ces difficultés fondamentales ne font que stimuler la légende littéraire et l’analyse scientifique. L’histoire des interprétations qu’on a données du poète témoigne de l’étonnante densité de son système d’écriture, car chacun essaie de le déchiffrer à sa manière. Miracle d’une poésie qui se présente à la fois comme une énigme et une communication, elle donne l’impression d’intimité malgré la distance, d’authenticité malgré le masque, de complicité malgré le scandale.