Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
V

Viêt-nam (suite)

L’essor est manifeste dans certains secteurs de l’économie touchant la production des matières premières (houille, étain, tungstène) et des produits agricoles exportables (thé, café, épices). Mais il n’en demeure pas moins que seule une petite couche de la population vietnamienne profite de cet essor économique (bourgeoisie compradore, notables), au détriment de la majorité paysanne.

Sous le régime précolonial, le paysan vivait en économie plus ou moins fermée, essayant de soustraire à sa subsistance un surplus de production pour ses échanges et payer l’impôt en nature. Avec la colonisation, il est obligé de tout régler en numéraire. Or, le secteur monétaire de l’économie n’est ni assez important, ni suffisamment efficace pour permettre un emploi salarié au paysan ou, tout au moins, un marché de surplus agricole à des prix stables. En conséquence, la colonisation entraîne deux faits importants : d’une part, un déclin du niveau de vie de la paysannerie ; d’autre part, en raison du remplacement des institutions communales traditionnelles par l’Administration et les services des contributions, la disparition des rapports d’assistance mutuelle familiale.

Ces deux phénomènes entraînent une détérioration de la cohésion sociale et engendrent une instabilité politique.

Or, le Viêt-nam n’est pas entièrement soumis. Les lettrés du Nord et du Centre, gardiens des traditions, maintiennent dans les mentalités des liens d’attachement moral avec un passé glorieux, opposé au joug colonial, et parfois idéalisé. Aussi, la France se heurte-t-elle, dès le début de son occupation, à leur patriotisme.

Après la signature du traité de protectorat (1884), la cour de Huê se partage en deux tendances : l’une accepte une collaboration provisoire qui permettrait de gagner du temps pour manœuvrer ; l’autre, plus intransigeante, considère qu’il s’agit seulement de trouver l’opportunité pour entreprendre la lutte de résistance. Cette dernière tendance, représentée par le jeune souverain Ham Nghi (1884-1888) et le régent Ton Thât Thuyêt, s’oppose bientôt par la force à l’occupation française, mais elle est vaincue. La France obtient de nouvelles concessions, en particulier la désignation d’un nouveau monarque, le prince Dong Khanh (1885).

Ces événements soulèvent une forte agitation, qui débouche sur l’« Insurrection des lettrés » (1885-1896), menée par les mandarins nationalistes dans une lutte inégale et sanglante. La guérilla continuera avec des chefs de valeur (Phan Dinh Phung, Tan Thuât, Hoang Hoa Tham).

Après la capture de Ham Nghi, bientôt déporté en Algérie, les lettrés restent divisés sur la politique à suivre. Les événements internationaux, et tout particulièrement l’éveil du Japon et de la Chine, donnent à penser à l’élite vietnamienne que la résistance est liée à une modernisation des institutions en même temps qu’à une révision des objectifs politiques et tactiques.

Phan Bôi Châu (1867-1940), un lettré du Nghê An, rassemble des nationalistes survivants du mouvement de 1885 et d’autres autour du prince Cuong Dê, qu’il persuade d’émigrer au Japon en sa compagnie pour y méditer l’exemple de modernisation. C’est l’époque de la guerre russo-japonaise* (1904-05), qui voit la victoire décisive d’un pays asiatique acquis au modernisme. Aussi, pour Phan Bôi Châu, qui rencontre Sun Yat-sen et de nombreux exilés vietnamiens, la libération nationale passe-t-elle par la modernisation du pays et, éventuellement, par l’aide matérielle de l’étranger.

Phan Châu Trinh (1872-1926), méfiant à l’égard de l’impérialisme naissant du Japon, compte plutôt sur une évolution dans les esprits de ses compatriotes. En 1906, il fonde à Hanoi le Dông-kinh nghia-thuc, une école de diffusion des sciences modernes, des idées nouvelles et du patriotisme militant. Mais cette école ne tarde pas à attirer les foudres du gouvernement français, qui la ferme et arrête ses promoteurs.

À la veille de la Première Guerre mondiale, avec l’émergence d’une mince bourgeoisie nationale largement influencée par les appels nationalistes, divers mouvements se font jour, usant parfois du terrorisme, et en 1916 a lieu le dernier mouvement de lettrés avec la rébellion de l’empereur Duy Tân (1907-1916), qui sera exilé à la Réunion.

Aux lendemains de la guerre, les nationalistes vietnamiens mettent de grands espoirs en la France, puissance de premier ordre, qui amorce une orientation moderne dans les secteurs économiques (dont profitent surtout les entreprises métropolitaines) et une évolution plus libérale envers la minorité intellectuelle. Le fait que des « tirailleurs annamites » ont loyalement servi la France durant le conflit engendre aussi des promesses quant à l’avenir politique du pays.

Cependant, le refus de faire participer les masses populaires à l’essor économique, l’absence d’institutions démocratiques et le rejet de toute idée d’opposition légale vont peu à peu jeter le Viêt-nam dans la voie révolutionnaire.

Las de brandir des pétitions, les nationalistes songent à la lutte armée. En 1925, le Thanh-niên cach-mang (Jeunesse révolutionnaire) regroupe autour de Nguyên Ai Quôc (le futur Hô Chi Minh*) les éléments exilés les plus révolutionnaires et qui sont en contact avec la IIIe Internationale communiste (Lê Hông Phong, Vô Nguyên Giap*, Pham Van Dông, etc.). Parallèlement, beaucoup d’étudiants partis pour la France vont militer et véhiculer les concepts révolutionnaires en fondant, à l’instigation de Nguyên Ai Quôc, des périodiques qui ont un impact manifeste sur les travailleurs vietnamiens (le Paria en français ; Viêt-nam hôn [l’Âme du Viêt-nam], Lao-dông [le Travailleur] et Lao Nông [Ouvrier et paysan], en vietnamien et publiés à Paris). En 1927, le groupe de Nguyên Thai Hoc crée le Viêt-nam Quôc Dân Dang (parti national du Viêt-nam), qui s’inspire de Sun Yat-sen. En 1928, Nguyên An Ninh lance un mouvement agrairien de tendance socialiste.

En janvier-février 1930, Nguyên Ai Quôc, qui, dix ans plus tôt, a participé au congrès de Tours et à la fondation du parti communiste français, parvient à unifier les diverses tendances communistes au Viêt-nam pour fonder à Hongkong le Viêt-nam Công-san Dang (parti communiste vietnamien), qui a pour programme de faire du Viêt-nam un pays indépendant et socialiste.

Les communistes vietnamiens agissent au lendemain de l’arrestation et de l’exécution de Nguyên Thai Hoc et d’autres membres du Comité central du parti nationaliste après l’échec de la révolte de Yên Bai (10 février), qui entraîne la désagrégation de ce parti.