Victoria (Tomás Luis de) (suite)
Dans toute sa production, on cherchera vainement la moindre pièce profane, et même le moindre thème populaire. Toute son œuvre est une longue prière, une méditation spirituelle passionnée. Les thèmes eux-mêmes de ses motets et de ses messes sont tirés du chant grégorien ou, tout particulièrement, du vieux plain-chant mozarabe propre à l’Espagne wisigothique du temps des invasions arabes. Et pourtant, malgré ce renoncement volontaire, que de couleur, que de frémissant lyrisme, que d’intensité dans les 21 messes de 4 à 12 voix, les 46 motets de 4 à 8 voix, les 35 hymnes, les 19 cantiques (18 Magnificat et 1 Nunc dimittis), les 12 antiennes (dont 10 à la Vierge), les 7 psaumes de 6 à 12 voix, les 3 séquences, les 2 cantiones sacrae, les Litanies à la Vierge, les Offices de la semaine sainte et des défunts qui forment l’œuvre de ce musicien de génie ! Dans ses dernières œuvres, les trois messes mariales (Salve Regina, Alma Redemptoris, Ave Regina) et la Missa pro victoria œuvre de fête à 9 voix, contenue comme les précédentes dans le recueil de 1600, il adopte l’écriture concertante à double chœur avec accompagnement d’orgue, chose toute nouvelle à l’époque. De nombreux motets pratiquent également l’écriture à double chœur, et, dans la messe Laetatus sum et le psaume Confitemini Domino, Victoria en appelle même à trois groupes vocaux, faisant siennes les conquêtes des Gabrieli. Parmi les messes (qui comprennent les deux requiem : la Missa pro defunctis à 4 voix de 1583 et l’Officium defunctorum de 1605, à 6 voix), onze sont des messes-parodies d’après ses motets. L’ensemble le plus monumental demeure l’Officium hebdomadae sanctae, qui ne comporte pas moins de 37 pièces : nocturnes des jeudi, vendredi et samedi saints, comprenant leçons et répons, Passion selon saint Jean et Passion selon saint Matthieu (où les chœurs alternent avec la monodie grégorienne), impropères, antiennes, Miserere, etc. Jamais l’art de Victoria n’est monté plus haut que dans les bouleversantes Lamentations de Jérémie formant l’essentiel des leçons, ou que dans ces répons où la musique, aux teintes sombres et pathétiques, aux dissonances audacieuses, semble souffrir jusque dans sa chair la Passion du Christ. Dans l’ultime Officium defunctorum, au contraire, ce sont la clarté et la sérénité surnaturelles qui dominent. La radieuse espérance chrétienne de Victoria s’y traduit par des mouvements mélodiques et des cadences résolument ascensionnels, par la prédominance des modes majeurs : la musique semble y participer déjà à l’allégresse de la vie éternelle, à la perspective de contempler à tout jamais la face de Dieu. Cet art admirable, idéalement liturgique, vit de la présence permanente du plain-chant, qui forme le cœur même de la polyphonie de Victoria, laquelle s’articule librement autour de cette ligne conductrice, le plus souvent étroitement intégrée au sein du tissu contrapuntique.
Si l’œuvre du plus grand compositeur espagnol a fait l’objet, par les soins de Felipe Pedrell (1841-1922), d’une édition complète (déjà relativement ancienne et pas absolument exhaustive), l’absence de toute étude d’envergure sur la vie et l’œuvre du musicien, dans quelque langue que ce soit, constitue l’une des lacunes les plus graves et les moins compréhensibles de la musicologie actuelle.
Les œuvres principales
Motecta de 4 à 8 voix (Venise, 1572 ; Rome, 1583 : 33, puis 53 motets) ; Liber primus (messes, psaumes, Magnificat ; Venise, 1576) ; Cantica B. Virginis vulgo Magnificat (avec 4 Antiennes à la Vierge ; Rome, 1581) ; Hymni totius anni (avec 4 Psaumes ; Rome, 1581) ; Missarum Libri duo (contient les Litanies de la Vierge et la Missa pro defunctis ; Rome, 1583) ; Officium hebdomadae sanctae (Rome, 1585) ; Motecta festorum totius anni (Rome, 1585) ; Missae, Liber secundus (Rome, 1592) ; Missae, Magnificat, Motecta, Psalmi (avec orgue ; Madrid, 1600) ; Officium defunctorum (Madrid, 1605).
H. H.
H. Collet, le Mysticisme musical espagnol au xvie siècle (Alcan, 1913) ; Victoria (Alcan, 1915). / F. Pedrell, Tomás Luis de Victoria, abulense (Valence, 1918). / H. von May, Die Kompositionstechnik Tomás Luis de Victorias (Berne, 1943).
