Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
V

Versailles (suite)

Déchue, ravalée au rang de ville de province, Versailles somnole pendant presque tout le xixe s., atteignant péniblement 50 000 âmes à la fin du second Empire. Seul facteur positif de cette époque : la liaison ferroviaire avec Paris, qui est assurée à partir de 1839. L’agglomération revient au premier plan de l’actualité en 1870 : les Prussiens l’ayant choisie comme siège de leur quartier général, Bismarck et Guillaume Ier y logent ; ce dernier choisit d’ailleurs de s’y faire proclamer empereur d’Allemagne dans la célèbre galerie des Glaces.

C’est encore à Versailles qu’est conclu l’armistice du 28 janvier 1871. Sous la Commune*, l’ancienne cité royale abrite le gouvernement et l’Assemblée nationale, revenue de Bordeaux, recouvrant ainsi sa fonction de capitale ; Thiers dirige la lutte contre l’insurrection parisienne de la préfecture, et concentre ses troupes dans les environs. La Commune vaincue, le Parlement, en majorité royaliste, n’en décide pas moins de rester à Versailles, jugée plus sûre, et il faudra attendre l’arrivée au pouvoir des républicains (1879) pour que le gouvernement et les deux chambres regagnent Paris. La ville retombe alors dans une torpeur interrompue seulement par la conférence de la paix (1919).

C. M.


Le domaine royal de Versailles

Haut lieu de l’art français, le domaine de Versailles reflète principalement la volonté créatrice et les goûts de Louis XIV*. On y trouve pourtant l’apport de ses successeurs ainsi que le souvenir du petit château de chasse que Louis XIII avait fait construire de 1624 à 1634 : un corps de logis avec deux ailes en retours d’équerre et quatre pavillons d’angles, le tout en brique et en pierre. Respectant la demeure paternelle, qui est devenue le noyau de l’ensemble versaillais, Louis XIV décida de l’amplifier. La chute de Fouquet mettait à sa disposition l’équipe de Vaux-le-Vicomte* : Le Vau*, Le Nôtre*, Le Brun*, des sculpteurs et divers spécialistes. Au cours d’une première campagne, de 1662 à 1665, Le Vau enrichit le château d’ornements et lui ajouta, du côté de l’arrivée, deux bâtiments de communs, en brique et en pierre, encadrant une avant-cour plus large que la cour initiale. Le Nôtre commença le tracé régulier du jardin et du parc, donnant déjà à l’axe est-ouest un rôle primordial.


Le premier grand Versailles de Louis XIV

En 1667, Louis XIV fixait à Versailles sa résidence et y installait sa cour. Il entreprit de transformer le domaine selon l’idée qu’il se faisait de la fonction royale. Le Vau (relayé par D’Orbay) eut la charge des grands travaux d’architecture. Du côté de l’arrivée, les deux ailes des anciens communs furent surélevées et reliées au château par des corps de bâtiments en équerre dans le même style. Ainsi prit forme cette vaste cour d’aspect coloré, pittoresque, mouvementé, dont les ressauts successifs conduisent le regard à la cour d’origine, alors embellie et devenue, sous le nom de cour de Marbre, une sorte de sanctuaire. Du côté ouest, les travaux furent plus importants. De 1669 à 1671, le château de Louis XIII fut enveloppé par trois corps de bâtiments dessinant un énorme bloc rectangulaire. La façade frontale comportait au-dessus du rez-de-chaussée, entre deux avancées latérales, un profond retrait occupé par une terrasse au niveau de l’étage noble. Cette disposition n’a pas été maintenue. À cela près, l’ordonnance fixée par Le Vau subsiste dans ses grandes lignes ; le sens classique de l’équilibre y tempère un faste italianisant. On remarque l’appareil à refends du rez-de-chaussée, les hautes baies et les pilastres ioniques de l’étage noble, l’attique, la balustrade ornée de trophées et de vases qui dissimule la toiture, l’animation obtenue par la saillie légère de plusieurs avant-corps à colonnes détachées.

L’intérieur fut décoré sous la direction de Le Brun. Le magnifique escalier des Ambassadeurs (1671-1679) conduisait aux grands appartements de l’étage noble, ayant vue sur les parterres. Au nord, l’appartement du Roi a gardé l’essentiel du décor d’origine, témoignage de l’adaptation de formules italiennes au goût français, avec ses revêtements de marbres polychromes, ses plafonds peints par les collaborateurs de Le Brun et représentant les allégories des planètes, ses stucs, ses bronzes ciselés et dorés ; des meubles d’argent contribuaient à sa splendeur. Vers le midi, l’appartement de la Reine a été très remanié au xviiie s. ; la salle des Gardes y conserve cependant son placage de marbres et ses peintures de Noël Coypel*.

De 1667 à 1678, Le Nôtre agrandit et remodela les jardins. Il prit soin d’en lier l’ordonnance au château, dont il dégagea les abords au moyen de parterres de broderies. Pour animer les plantations, il assigna un rôle important à la statuaire et aux eaux, tranquilles ou mouvantes. Devant le château, le grand axe est-ouest rencontre un premier axe transversal, qui commande le tracé du parterre du Nord et de l’allée d’Eau, l’un et l’autre en déclivité. Il passe ensuite entre les fontaines de Diane et du Point-du-Jour, symétriquement placées au sommet du grand degré qui s’abaisse vers le bassin de Latone ; on le retrouve dans l’allée Royale, ou Tapis vert, qui débouche, au bas de la pente, sur l’esplanade entourant le bassin d’Apollon. Au-delà, le Grand Canal prolonge la perspective et semble l’ouvrir sur l’infini ; son tracé en croix fait apparaître un second grand axe transversal. À droite et à gauche de l’allée Royale, les quatre bassins des Saisons marquent les intersections d’allées plus étroites, dont le quadrillage délimite des bosquets. Ceux-ci représentent la part de la fantaisie, de la surprise. Leur décor fragile, de goût baroque, n’a guère survécu ; on déplore ainsi la disparition du Labyrinthe, dont les fontaines sculptées illustraient les Fables d’Ésope, mais il reste le bassin d’Encelade et celui du bosquet des Dômes.

Versailles, ville d’art

Les splendeurs du domaine royal ne doivent pas faire oublier que Versailles est une ville d’art, où l’urbanisme et l’architecture classiques sont à l’honneur. C’est le château qui en a suscité l’essor et commandé le plan. De la place d’Armes rayonnent en effet trois larges avenues, entre lesquelles trouvent place, avec leurs majestueuses cours en trapèze, les deux bâtiments des Grandes Écuries (pour les chevaux de selle de la maison du roi) et des Petites Écuries (pour les chevaux de trait). J. Hardouin-Mansart les éleva de 1682 à 1684. On doit au même architecte le Grand Commun (auj. hôpital militaire), dont l’imposant quadrilatère fait face à l’aile du Midi et dans l’alignement duquel Jean-Baptiste Berthier (1721-1804) édifia vers 1760 les deux beaux hôtels de la Guerre et des Affaires étrangères. Mansart avait aussi construit en 1674 pour Mme de Montespan, à l’est et assez loin du domaine royal, le grand château de Clagny, qui disparut en 1769.